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Décryptage. "Le droit du renseignement Renseignement d’Etat Renseignement économique" Par Olivier de Maison Rouge


Charles Coste et Jean-Claude Javillier




Décryptage par Charles Coste et Jean-Claude Javillier. Le contenu de la présente publication n'engage que la seule responsabilité de ses auteurs et ne saurait être considéré comme constituant une prise de position officielle de leurs institutions.

Pour aller plus loin
Pour aller plus loin
La dualité des mondes juridiques du renseignement d’Etat et de l’intelligence économique et stratégique enfin réunis. Saluons l’audace d’un praticien, avocat et pédagogue, qui donne ainsi toute sa part au droit en ces domaines, dans ses aspects nationaux comme internationaux, sans en ignorer la dimension conceptuelle, sémantique et doctrinale.
Loin des passions françaises et de problématiques stériles, il s’adresse à notre monde marqué au sceau de l’hyper-compétition dans une économie mondialisée, de profondes mutations technologiques et sociétales, ainsi que par une intensification du terrorisme sur la scène internationale.
 Voici donc un ouvrage qui ouvre sur une véritable actualité en exprimant une approche intéressante sur un sujet d’importance rarement abordé dans un corpus de travail unifié.
Ceci dit, ce livre au style fluide ne s’adresse pas au lecteur en quête d’aventures, d’opérations secrètes, de l’art diabolique de la trahison, de la séduction ou du subterfuge. En revanche, ce travail en profondeur fait référence et mérite toute l’attention des professionnels, juristes, responsables d’entreprises ainsi que des universitaires et étudiants intéressés par ce domaine. Sa lecture est tout à fait pertinente pour qui entend contribuer au maintien et au développement de l’Etat de droit consubstantiel aux régimes démocratiques.
 

Les deux mondes du renseignement d’Etat et de l’intelligence économique

Dans cet ouvrage, l’enjeu semble bien d’insuffler une logique d’intelligence au sens anglais du terme à un esprit franco-français très réticent au monde du renseignement considéré comme sulfureux, bien qu’il ait toujours occupé l’esprit des dirigeants à toutes les époques.
L’étude des questions touchant à ce domaine est peu développé en France, encore moins dans ses aspects juridiques et institutionnels. Il est vrai que le titre en lui-même aurait pu apparaître comme une incongruité à nombre d’acteurs il n’y a pas si longtemps encore. C’était avant que la France ne se dote d’un socle juridique unifié organisant la communauté du renseignement et encadrant les activités des différents services, à l’instar de ce qui existait déjà dans plusieurs grandes démocraties, même au Royaume-Uni où ces services avaient été maintenus dans une totale clandestinité jusqu’à la fin du siècle dernier.
Mais Olivier de Maison Rouge ne s’en tient pas qu’à l’arsenal du renseignement d’Etat, outil de stratégie, de puissance et d’influence au service de la Puissance publique. Ce dernier devient même prétexte, par une réflexion en abyme, à un parallèle avec l’intelligence économique, concept multifacétique homologué plus récemment, à laquelle est dédié le second volet de ce livre.

 

L’information, cette évidence furtive

Avant d’en arriver là, dans une introduction en forme de prologue, le narrateur devient théoricien en éclairant avec beaucoup de pédagogie sur la substantifique moelle de cette étude, à savoir la différence opérationnelle entre information et renseignement, lequel vise à une réduction des incertitudes dans un environnement complexe, ainsi que leur définition en termes juridiques, qu’il s’agisse de cerner le renseignement d’Etat ou économique.
Or ces termes ne sont pas qualifiés à proprement parler en droit positif, bien qu’objets de nombre de notions juridiques qui peuvent contribuer à les définir. De même que, tout aussi paradoxalement, divers textes visent à leur protection en tant que patrimoine informationnel, telles les informations sensibles qui relèvent du corpus juridique commercial et financier, sans pour autant englober nécessairement l’information stratégique au cœur de l’entreprise. Ce qui conduit Olivier de Maison Rouge à expliciter ultérieurement comment la nécessité d’harmoniser le régime juridique des secrets des affaires s’est imposée devant l’ampleur du risque de déstabilisation des intérêts économiques européens.
 

Le renseignement d’Etat

Puis sans faire œuvre d’historien, l’auteur brosse dans la première partie une fresque de l’évolution des organes de sécurité interne et externe, par une approche historique dépassant le simple repérage classique. Au fil d’un discours étayé par de nombreuses références, de la Haute police de J. Fouché à l’actuel schéma national de renforcement du renseignement, les notions centrales portant sur la répartition complexe et évolutive de leurs compétences, leurs organisations successives, leurs missions, leurs méthodes de fonctionnement, sans oublier leurs doctrines, sont abordées avec pédagogie.
Pour l’actualité, l’auteur rend compréhensible les dernières lois en vigueur et clarifie l’ordonnancement de la communauté du renseignement dans toutes ses composantes, les conditions juridiques de leurs activités, les dérogations exorbitantes du droit commun reconnues pour mener à bien leurs missions et la contrepartie que sont les diverses modalités de contrôles administratifs, judiciaires et parlementaires.
 

L’intelligence économique, une activité sous droit commun

La seconde partie est consacrée à l’intelligence économique définie comme un outil transverse d’aide aux décisions stratégiques des acteurs économiques privés, mais que l’auteur ne considère pas comme une activité de renseignement en tant que telle dans la mesure où la collecte d’informations stratégiques ne saurait, dans ce cadre, être légalement un travail de renseignement sur des sources fermées.
A cet égard, l’auteur insiste sur la dimension empirique de la démarche associée à une entreprise d’ingénierie en vue d’obtenir des informations pertinentes à partir de sources ouvertes ou encore de les protéger. C’est pourquoi son exercice s’inscrit dans un droit commun à vocation généraliste. Les interdits sont donc fixés par le Code pénal réprimant les actions illégitimes de collecte de l’information privée.
Certes, l’auteur ne méconnaît pas l’émergence d’une nouvelle culture d’interactivité entre le renseignement privé et le renseignement d’Etat en vue de la protection et de la promotion des intérêts économiques. Il se réfère aux trois piliers de l’intelligence économique dans la perception française que sont la collecte de l’information pertinente et son analyse, l’influence efficiente sur l’environnement économique et la protection du patrimoine informationnel. Mais là n’est pas l’essentiel du propos.
Dans un équilibre entre considérations générales et des exemples précis s’appuyant sur une abondance de références jurisprudentielles, Olivier de Maison Rouge aborde les obligations légales de renseignement dans un souci de transparence. Il expose aussi les méthodes licites de collecte des informations sur des entreprises concurrentes ou rivales, sans oublier les procédures étrangères comme le « discovery ».  Enfin, il se livre à un recensement des infractions pénales les plus courantes.
De ce point de vue, l’auteur nous convie à une réflexion stratégique sur l’importance du contentieux et des procès, même et surtout au-delà du cadre national. C’est ainsi que la complexité et l’efficacité du droit des Etats-Unis d’Amérique, son extraterritorialité, constitue sans nul doute un grand défi pour les autres pays, les groupements régionaux et leurs entreprises.
De manière plus générale, l’auteur évoque les bouleversements introduits par la révolution des nouvelles technologies de l’information et de la communication caractérisée par une prolifération d’informations ouvertes, avec pour conséquence une émancipation du secteur privé résultant d’une intensification de sa capacité d’accès au renseignement et même d’en opérer une large privatisation, dans un monde accordant une prévalence à l’activité commerciale. Conscient de l’exigence très contemporaine de la transparence, l’auteur n’omet pas la problématique des lanceurs d’alerte. Nous voici sur ce point en présence d’un droit en mouvement dont l’impact ne pourra être mesuré qu’au fil et sans doute au gré des contentieux.
 

L’affirmation du soft power

Dans un tel contexte, cet ouvrage déjà très dense aurait peut-être gagné à ouvrir davantage à une réflexion sur plusieurs facteurs convergents qui façonnent de nouveaux comportements de l’ensemble de la société civile et de leurs inférences face aux normes du droit positif.
Les Etats peuvent désormais difficilement imposer une légitimité controversée. La contestation des décisions des autorités politiques et administratives se banalise et dépasse de plus en plus le cadre national, avec un risque de judiciarisation croissante susceptible de concerner aussi l’utilisation d’informations ouvertes. D’autant que les Etats n’ont plus le monopole de l’action internationale, l’époque ouvrant largement la voie à l’exercice d’un « soft power » qui peut être exercé en dehors des instances officielles.
C’est ainsi qu’une véritable professionnalisation d’une myriade d’ONG - souvent de culture anglo-saxonnes - est perceptible non seulement dans les institutions de création des normes internationales, mais encore dans les instruments et méthodes de suivi de leur mise en œuvre. Cela pourrait contribuer à produire de nouvelles pratiques gouvernementales, les autorités ne pouvant plus s’en remettre à terme à la coutume diplomatique pour le règlement des affaires d’espionnage en temps de paix, avec des échanges comme celui par exemple d’Anna Chapman devenue à l’époque la coqueluche des médias de son pays.
Sur un autre registre, même si on admet que le renseignement est une activité régalienne et souveraine qui fonctionne en cloisonnant l’information et selon un modèle vertical en relation directe avec le pouvoir exécutif, demeure un autre aspect non négligeable : le traitement du renseignement dans un contexte européen avec des organismes comme Europol, en un temps où on appelle à forger des capacités de développement des coordinations afin de mieux armer des Etats pour faire face à des menaces internes et externes croissantes.
Au regard du traitement de ces périls, il ne serait enfin pas inutile de s’interroger dans une perspective plus politique sur l’équilibre entre l’éventuel renforcement de contraintes sécuritaires non exemptes d’un autoritarisme susceptible de sacrifier les libertés et la prépondérance du judiciaire, conformément à notre tradition juridique et philosophique humaniste de l’Etat de droit.
Reste que l’ouvrage d’Olivier de Maison Rouge nous donne confiance en la capacité du droit à permettre à nos démocraties de relever les défis auxquels elles sont confrontées. Oserions-nous espérer qu’elles le fassent sans réformer à tout instant sous l’empire de l’émotion, ainsi qu’avec la plus grande rigueur technique en droit public comme en droit privé pour les pays qui semblent encore croire à ces distinctions …
 

Auteurs de l'article : Charles Coste et Jean-Claude Javillier

Le contenu de la présente publication n'engage que la seule responsabilité de ses auteurs et ne saurait être considéré comme constituant une prise de position officielle de leurs institutions.

J
ean-Claude JAVILLIER
Jean-Claude JAVILLIER est professeur émérite de droit (Université Panthéon-Assas) et avocat au barreau de Paris. Il préside l’association des auditeurs et auditrices en intelligence économique et stratégique de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale (Ecole militaire, Paris). Il a été directeur du département des normes internationales du travail en l’Organisation Internationale du Travail (BIT, ONU, Genève).
 
Charles Coste
Fonctionnaire de l'Etat – Après un bref passage comme cadre à l’international dans l’industrie parapétrolière, Charles Coste a servi dans différentes administrations depuis 1980. Il a notamment accompli plusieurs séjours à l’étranger, dans diverses ambassades en Afrique anglophone et en Amérique latine, sous statut diplomatique en qualité de conseiller de coopération et d’action culturelle. Il est spécialisé en intelligence économique, relations internationales ainsi qu'en coopération culturelle, scientifique, technique et linguistique. Ancien élève de l’ESLSCA – section Ecole de guerre économique -, il est titulaire d’une maîtrise en droit international et communautaire et diplômé de l’IEP.

 


Présentation de l'ouvrage

Le monde actuel connaît de nouvelles menaces et nécessite de nouvelles réponses, parfois attentatoires, provisoirement ou durablement, aux libertés individuelles.

Les événements tragiques de l’année 2015 ont mis en perspective les réalités, tout autant que les difficultés et les carences de l’État face à ces menaces.Afin de comprendre les grands enjeux contemporains, qu’ils soient militaires, géopolitiques, stratégiques ou encore économiques, l’activité du renseignement est un souci majeur autant qu’un besoin prégnant, malgré les suspicions parfois légitimes entourant la matière.Le renseignement d’État a été profondément remanié depuis 2008, pour aboutir à l’adoption de la loi du 24 juillet 2015, régissant les moyens et méthodes de renseignement et définissant les modes de contrôles institutionnels et juridictionnels.Le droit du renseignement d’État, est un droit d’exception, de police administrative, faisant bénéficier de pouvoirs exorbitants les services compétents mais strictement encadré quant à l’usage des moyens prévus par la loi.
Le renseignement économique est quant à lui essentiellement une activité privée, dont la pratique et les méthodes sont sanctionnées a posteriori par le juge judiciaire, en regard des règles de droit commun, bien que l’information économique intéresse désormais davantage la sphère publique.

Il paraît donc essentiel d’examiner en parallèle ces deux activités concourant au même objectif : connaître l’environnement, anticiper les mouvements systémiques et plus généralement réduire les risques et l’incertitude.


 

Présentation de l'auteur

Olivier de Maison Rouge est avocat et docteur en droit. Il s’est spécialisé en droit de l’intelligence économique (IE) et dans le secret des affaires. Il est membre, en qualité de personnalité qualifiée, du Syndicat français de l’IE (SYNFIE), où il siège au conseil d’administration et au comité d’éthique.
Il est membre de la commission permanente « secret » de l’Association Internationale pour la Protection de la Propriété Intellectuelle (AIPPI). Il est professeur associé à l’École des Relations Internationales (ILERI).
Préface de Jacques Myard
Postface de Jean-Baptiste Carpentier