Personnalités

A la mémoire de Robert, soldat terrassier de l’intelligence économique. Philippe Clerc, un ami de Robert Guillaumot.


Jacqueline Sala


S’il est un pionnier en matière d’intelligence économique en France, c’est bien Robert Guillaumot. Robert eut aimé, j’en suis certain, être qualifié de soldat terrassier, ce « soldat travaillant au terrassement », définition très officielle que les dictionnaires proposent au nom de « pionnier », tant il est vrai que quasiment seul, il a préparé la voie, défriché, sécurisé le parcours que nous allions emprunter plus tard.



« Veilleur de l’avant », il a dû faire face à des obstacles quasi infranchissables, reconsidérer et repartir

Précurseur, il fut en ce domaine découvreur et innovateur tout autant que promoteur : Robert,  cet entrepreneur visionnaire, qui n’eut de cesse de partager sa passion de « l’intelligence ».
Homme de terrain, analyste perspicace, il entreprend dès le début des années 1970 de se positionner sur le marché de la collecte de l’information, en particulier technologique.
Il crée Informa International, prospecte sur la Côte Ouest des Etats-Unis.. Produire et vendre de l’intelligence économique devient une activité partagée avec quelques rares pionniers.  On se souvient, dans les années 80, d’innovation 128,  de FLA consultants, d’Egis consultant, mais aussi  d’Aditech, l’association qui publie les rapports  des attachés scientifiques des ambassades et  des rapports précurseurs tels que : « Intelligence stratégique » de Robert Nadoulek ou « techniques offensives et guerre économique »  de Christian Harbulot. 

 

La Business Intelligence silent revolution

Robert participe à ce que Philippe Baumard,  qui travailla à ses côtés, appelle avec les experts anglo-saxons, « la Business Intelligence silent revolution », un des leviers jamais cité de « la révolution douce » qui amena fin 1980 la carte géoéconomique à se disloquer puis se réorganiser.
C’est ainsi que nous retrouvons Robert participant à la fondation de SCIP Etats-Unis en 1986 avec ses amis  Stevan Dedijer, Qihao Miao et Juro Nakagawa.
Promoteur infatigable de la démarche d’intelligence économique d’entreprise, comme de la politique publique d’intelligence économique et stratégique, à l’écoute permanente des innovations en ce domaine, dans le monde, il crée en 1994 à Boston un groupement international de professionnels de l’IE.
L’objectif consiste à créer une alliance professionnelle et de  « tracer les frontières d’une nouvelle discipline, d’en différencier le contenu de celui d’autres méthodes de management »  pour tenter de « jeter les bases d’une coopétion internationale garantissant le fair-play dans la défense de nos intérêts nationaux » (Robert Guillaumot pour Weka).
 

Analyse comparée des pratiques culturelles de l’intelligence économique. Vers "l'urbanisation de l'intelligence économique"

​Fort de cette volonté, Robert s’investit dans l’analyse comparée des pratiques culturelles de l’intelligence économique poursuivant en cela les travaux de Stephan Dedijer, de Philippe Baumard, de Christian Harbulot, puis du groupe Martre. Il possédait une connaissance fine de ces cultures, dont il suivait méticuleusement les innovations.
Jusqu’à ses derniers jours, il en recomposait les évolutions à partir de ce qu’il appelait - pour dire les prémisses et le terrassement -  «l’urbanisation»  de l’intelligence économique.  A côté des quartiers historiques, viennent se placer, écrivait-il, des quartiers nouveaux intégrant les questions de sécurité nationale, de politiques étrangères, de géographie (démographies, ressources stratégiques…) et ce que nous appelons  aussi les nouveaux territoires de l’intelligence économique (juridique, culturelle, sociétale).  Depuis longtemps, il anticipait la révolution des données, de l’open et du big data et leur impact sur la démarche d’intelligence économique.

Visionnaire tenace, il laisse aux nouvelles générations de praticiens de l’intelligence économique  l’esprit d’entreprendre, la posture de l’écart critique et prospectif  contre tous les risques de cécité. Il laisse la leçon d’un formidable enthousiaste qui jamais n’abandonna la quête formalisée par Edgar Morin : « La connaissance des problèmes clés du monde, si aléatoire et difficile soit-elle, doit être tentée sous peine d’infirmité cognitive…comment acquérir l’accès aux informations sur le monde et comment acquérir la possibilité de les articuler et de les organiser ?... ».

Toujours à son terrassement désormais partagé pour que vive sa mémoire.

Paris, le 8 février 2016.