A lire. "Les Opérations d'Influence Chinoises : Un Moment Machiavélien"

L'ouvrage met en lumière une transformation profonde de la stratégie d'influence chinoise, passant d'une approche basée sur la séduction et le soft power à une posture plus agressive, voire "machiavélienne". La Chine, longtemps désireuse d'être aimée, semble désormais privilégier la crainte pour asseoir son influence sur la scène internationale. Cette "russianisation" de la stratégie chinoise se manifeste par l'adoption de méthodes plus coercitives, s'inspirant notamment des tactiques russes en matière de manipulation de l'information.
 
On peut noter que le Sénat, conscient des influences étrangères, a d'ailleurs consacré le 6 juin 2024 une audition à l'influence chinoise, cherchant à mieux comprendre les objectifs et les modes opératoires de cette nouvelle stratégie.

Le livre, véritable somme de plus de 725 pages, s'articule autour de quatre parties, chacune d’elles étant subdivisées en plusieurs chapitres clés.
 

• L'évolution de la stratégie d'influence chinoise : La Chine a longtemps cherché à construire son soft power en misant sur une image positive et des relations gagnant-gagnant. Constatant l’échec relatif de cette stratégie face au Japon, principal concurrent dans le domaine, celle-ci a petit-à-petit opté pour une stratégie et discours plus agressif. Cette évolution est perceptible dans les discours officiels et les actions concrètes de Pékin depuis le début des années 2010.
• Le concept de "russianisation" : Le livre utilise le terme "russianisation" pour décrire cette transformation, soulignant la similarité entre la stratégie chinoise actuelle et les méthodes employées par la Russie. L'influence chinoise s'inspire des tactiques russes en matière de manipulation de l'information, de cyber-espionnage et de coercition diplomatique. Cette convergence s'explique par un contexte géopolitique tendu et une volonté commune de contester l'hégémonie américaine.
• Les motivations de la Chine : Le livre explore les motivations profondes de la Chine, mettant en avant la volonté de préserver la stabilité du régime communiste et d'assurer son ascension sur la scène internationale. La Chine cherche à contrôler sa diaspora, vue comme une potentielle source de contestation et subversion, et à promouvoir un modèle autoritaire en opposition à la démocratie libérale occidentale. L'influence chinoise vise également à éloigner l'Europe des États-Unis et à affaiblir les alliances occidentales.
• L'exemple de la France : La France, en tant que puissance mondiale et membre permanent du Conseil de Sécurité, constitue une cible privilégiée de l'influence chinoise. La Chine cherche à démonétiser les institutions françaises, à discréditer sa politique étrangère et à affaiblir son influence en Afrique, zone d'intérêt stratégique pour Pékin. L'influence chinoise en France se manifeste à travers les médias, les réseaux sociaux, les instituts Confucius et les relations économiques.

 
Conclusion partielle : Le thème 1 du livre "Les Opérations d'Influence Chinoises : Un Moment Machiavélien" dresse un constat alarmant sur l'évolution de la stratégie chinoise et ses implications pour les démocraties occidentales. Il souligne la nécessité de comprendre les motivations de la Chine, ses méthodes et ses objectifs afin de mieux se protéger contre son influence grandissante.

• Le Parti Communiste Chinois (PCC) : Au sommet de la pyramide se trouve le PCC, véritable chef d'orchestre de la stratégie d'influence chinoise. Le Département du Travail du Front Uni (DTFU) joue un rôle crucial en coordonnant les efforts visant à influencer les opinions publiques étrangères et à coopter les élites. Le Département de la Propagande est également impliqué dans la diffusion de messages et de récits favorables à la Chine.
• Les Médias d'État Chinois : Les médias d'État chinois, tels que l'agence de presse Xinhua, la chaîne de télévision CGTN et le quotidien China Daily, sont des outils de propagande puissants utilisés pour diffuser la vision officielle du PCC et discréditer les adversaires de la Chine. Ces médias opèrent dans de nombreuses langues et ciblent des audiences à travers le monde, notamment en Afrique.
• Les Plateformes Numériques Chinoises : Les plateformes numériques chinoises, comme TikTok et sa société mère ByteDance, sont devenues des vecteurs d'influence majeurs. TikTok, en particulier, est accusé de censurer les contenus critiques du PCC et de promouvoir des messages favorables à la Chine, dissimulés au milieu de vidéos divertissantes. La question de l'influence de TikTok a été souligée lors d'auditions au Sénat français.
• La Diaspora Chinoise : Bien que vue comme un danger, la diaspora chinoise est un atout précieux pour la Chine, souvent instrumentalisée pour promouvoir les intérêts de Pékin à l'étranger. Le livre met en lumière les pressions exercées sur la diaspora, notamment par le biais de menaces et d'intimidations, pour la contraindre à soutenir le PCC. Pour M. Charon, le média "Nouvelles d'Europe", principale source d'information de la diaspora chinoise, est influencé directement par le parti est en situation de dominer. Si quelques médias indépendants existent et font entendre une autre voix, ils peinent à se faire entendre.
• Les Instituts Confucius : Présentés comme des centres culturels et linguistiques, les instituts Confucius sont accusés de servir de relais à la propagande chinoise et d'exercer une influence sur les milieux académiques. Le rapport Gattolin de 2021 met en lumière les vulnérabilités du système universitaire français face à l'influence chinoise.
• Le Milieu Académique : La Chine cible également le milieu académique, cherchant à s'implanter dans les universités étrangères et à influencer les programmes de recherche. Le financement de chaires et de projets de recherche par la Chine peut servir de levier d'influence. Le livre met en garde contre le risque de dépendance et de censure dans le domaine de la recherche.

 
Conclusion partielle : Le thème 2 du livre dresse un tableau complet des acteurs de l'influence chinoise, dévoilant un réseau tentaculaire et sophistiqué. Il souligne la nécessité d'une vigilance accrue face à la pénétration de l'influence chinoise dans nos sociétés et la nécessité de protéger nos institutions et nos valeurs.

• La Manipulation de l'Information en Ligne : La Chine exploite massivement les réseaux sociaux et les plateformes numériques pour diffuser de la désinformation et de la propagande. L'utilisation d'armées de trolls, de faux comptes et de bots permet d'amplifier artificiellement des messages favorables à la Chine et de discréditer ses adversaires. En 2023 TikTok France, dont le directeur des affaires publiques a été auditionné par le Sénat français, est pointé du doigt pour son opacité et son rôle potentiel dans la diffusion de désinformation. Le rapport de l'ARCOM souligne le manque d'informations tangibles pour analyser l'efficacité des mesures mises en place par TikTok pour lutter contre la désinformation.
• L'Infiltration des Médias Traditionnels : La Chine cherche à influencer les médias traditionnels en finançant des médias étrangers, en plaçant des journalistes acquis à sa cause ou en exerçant des pressions sur les rédactions. L'objectif est de contrôler le récit médiatique et de diffuser une vision positive de la Chine. RFI, malgré son travail formidable, dispose de moyens limités face à l'influence de médias chinois.
• La Pression Économique : La Chine utilise son poids économique comme un levier d'influence, en promettant des investissements ou en menaçant de sanctions commerciales pour obtenir des concessions politiques. La dépendance économique de certains pays vis-à-vis de la Chine peut les rendre vulnérables à ce type de pression.
• La Coercition Diplomatique : La Chine n'hésite pas à recourir à la coercition diplomatique pour intimider ses adversaires et faire taire les critiques. Le rappel de ses ambassadeurs, le boycott de produits étrangers ou les menaces militaires font partie des outils utilisés par Pékin.
• L'Exploitation des Tensions Sociales : La Chine exploite les tensions sociales et les divisions internes des pays étrangers pour semer la discorde et affaiblir ses adversaires. La manipulation de l'information et l'amplification de discours extrémistes sur les réseaux sociaux permettent d'exacerber les tensions et de polariser l'opinion publique. Des exemples d'attaques ciblées ont été observés, notamment contre le Japon, les États-Unis, et l'instrumentalisation des tensions sociales après la mort de George Floyd.
• L'Infiltration du Milieu Académique : La Chine cherche à influencer le milieu académique en finançant des chaires, des programmes de recherche et des instituts Confucius. L'objectif est de contrôler les discours et les recherches sur la Chine et de promouvoir une vision positive du pays.

 
Conclusion partielle : Le thème 3 du livre offre une analyse détaillée des méthodes utilisées par la Chine pour étendre son influence. Il met en garde contre la sophistication et la dangerosité de ces tactiques, soulignant la nécessité de développer des stratégies de protection et de riposte pour préserver nos démocraties et nos valeurs.

• Renforcer la résilience des sociétés : Il est crucial de sensibiliser les citoyens aux dangers de la désinformation et de la manipulation de l'information en ligne. L'éducation aux médias et à l'esprit critique doit être renforcée, notamment dans les programmes scolaires. La promotion d'une information fiable et pluraliste est essentielle pour contrer les récits simplistes et biaisés diffusés par la propagande chinoise.
  • Le récent rapport de la commission d'enquête du Sénat français sur les influences étrangères malveillantes souligne la nécessité d'une "mobilisation de toute la Nation" et d'une stratégie globale pour contrer les influences étrangères, notamment en renforçant l'éducation aux médias et à l'information.
  • Inspirant le modèle estonien de "défense psychologique" met l'accent sur la communication stratégique et la confiance dans les institutions pour contrer la désinformation.
• Protéger les institutions et les infrastructures critiques : Les institutions démocratiques, les médias, les universités et les entreprises doivent être protégés contre l'ingérence chinoise. Des mesures de sécurité renforcées, des contrôles plus stricts sur les investissements étrangers et une meilleure coopération entre les services de renseignement sont nécessaires.
  • Le rapport du Sénat français recommande de renforcer la protection du potentiel scientifique et technologique de la Nation (PPST) et de lutter contre la captation scientifique et technologique par des acteurs étrangers.
  • Le dispositif PPST devrait être étendu aux sciences humaines et sociales, et un dispositif de transparence sur les financements étrangers octroyés aux laboratoires d'idées et aux établissements d'enseignement supérieur et de recherche devrait être mis en place.
• Développer une stratégie de contre-influence : Les démocraties occidentales doivent développer des stratégies de communication plus efficaces pour promouvoir leurs valeurs et contrer les récits de la propagande chinoise. La création de médias indépendants et fiables dans les langues des pays ciblés par la Chine, ainsi que le soutien aux organisations de la société civile, sont des actions à envisager.
  • Le rapport du Sénat français préconise d'amplifier l'engagement de la France pour porter l'enjeu de la lutte contre les influences étrangères malveillantes au niveau européen et international.
  • La France devrait étendre la diffusion de France 24, notamment en Chine, pour proposer une alternative aux médias contrôlés par Pékin.
• Coopérer avec les alliés : La lutte contre l'influence chinoise est un défi global qui nécessite une coopération étroite entre les démocraties occidentales. Le partage d'informations, la coordination des actions et la mise en place de sanctions communes sont des éléments clés d'une stratégie de riposte efficace.
  • Le rapport du Sénat français encourage la création d'une "Pléiade d'influence" composée d'écrivains, de scénaristes et d'artistes pour promouvoir l'influence positive de la France à l'étranger.
• Promouvoir un modèle alternatif : Les démocraties occidentales doivent démontrer la supériorité de leur modèle politique et économique sur le modèle autoritaire chinois. La promotion des droits de l'homme, de la liberté d'expression et de la démocratie est essentielle pour contrer l'attrait du modèle chinois.
  • La France, forte de son histoire et de ses valeurs, doit assumer un rôle de puissance d'équilibre sur la scène internationale et promouvoir un modèle de société fondé sur la liberté, la justice et la solidarité.
  • La lutte contre les influences étrangères malveillantes ne doit pas conduire la France à renier ses principes et ses valeurs démocratiques.

 
Conclusion partielle : Le thème 4 du livre appelle à une prise de conscience collective et à une action déterminée pour contrer l'influence chinoise. La protection des démocraties et des valeurs fondamentales est en jeu. Il s'agit d'un combat de long terme qui exige une vigilance constante, une adaptation permanente et une collaboration étroite entre les pays partageant les mêmes valeurs.

• Évolution des techniques d'influence chinoises : Les sources plus récentes mettent en évidence une sophistication croissante des techniques d'influence chinoises, notamment en matière de manipulation de l'information en ligne et d'ingérence dans les processus électoraux.
• Nouveaux exemples d'ingérence chinoise : Les sources plus récentes documentent de nouveaux cas d'ingérence chinoise. Ces exemples illustrent l'adaptation constante des tactiques chinoises et la nécessité d'une vigilance accrue de la part des démocraties occidentales.
• Renforcement du cadre juridique français : Les sources plus récentes mettent en avant le renforcement du cadre juridique français pour lutter contre les influences étrangères malveillantes. La loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France, adoptée en juin 2024, et la loi SREN visent à mieux contrôler les financements étrangers, protéger les institutions et renforcer la coopération avec les plateformes numériques.
• Prise de conscience accrue de la menace : Les sources plus récentes témoignent d'une prise de conscience accrue de la menace que représentent les opérations d'influence chinoises. Les rapports du Sénat français appellent à une "mobilisation de toute la Nation" et à une stratégie globale pour contrer ces influences.

Ce livre passionnant et éclairant nous invite à une prise de conscience collective face à la menace grandissante que représente l'influence chinoise. Il nous appelle à la vigilance, à l'esprit critique et à une action coordonnée pour protéger nos démocraties et nos valeurs. La lutte contre l'influence malveillante nécessite un effort constant d'éducation, de sensibilisation et de renforcement de nos institutions, afin de garantir notre liberté et notre souveraineté face à l'offensive (moins) de charme et (plus) de coercition menée par la Chine.

N'attendez plus, plongez dans cet ouvrage et découvrez les coulisses de l'influence chinoise dans le monde !

 

Paul Charon est directeur du domaine Influence et Renseignement de l’IRSEM. Docteur en Études politiques (EHESS), il a également été formé en langue et civilisation chinoises (BLCU – Denis Diderot), en rhétorique (Harvard – Nanterre) et en lettres modernes (Nanterre). Avant de rejoindre l’IRSEM, il a travaillé plus de dix ans en qualité d’analyste du renseignement puis de conseiller prospective au sein du ministère des Armées. Il a été chercheur associé de l’antenne franco-chinoise en sciences humaines et sociales de l’université Qinghua à Pékin. Ses recherches portent principalement sur la propagande et les stratégies informationnelles des Etats, en particulier celles de la République populaire de Chine. Il s’intéresse spécifiquement à la prolifération des formes narratives dans les propagandes étatiques. Un autre pan de ses recherches est consacré aux activités de renseignement de la Chine. Sur le plan théorique, il œuvre à une hybridation des outils de la narratologie et de la théorie littéraire avec ceux des études stratégiques et des relations internationales. Paul Charon est membre du Réseau des narratologues francophones (RéNaF). Il a publié récemment, avec Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Les Opérations d'influence chinoises. Un moment machiavélien (Equateurs, 2024) et Les Mondes du renseignement. Approches, acteurs, enjeux (PUF, 2024).