Intelligence des Risques

Christian Harbulot nous présente "La Chine vue par l’École de Guerre Économique de Paris" par Giuseppe Gagliano

EPGE


Jacqueline Sala
Dimanche 26 Janvier 2025


La Chine est aujourd'hui l'une des puissances géopolitiques les plus influentes du XXIe siècle, mais aussi l'une des plus difficiles à décrypter. Son ascension, qui combine puissance économique, ambitions militaires et une influence diplomatique sans précédent, est souvent perçue comme un phénomène inévitable et pacifique. Objectif : asseoir la domination chinoise sur le long terme.



La Chine vue par l’École de Guerre Économique de Paris

La chronique publiée par EPGE et recommandée par Christian Harbulot, nous  a donné envie de rencontrer son auteur : Giuseppe Gagliano, Presidente Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis. Il a démontré une réactivité execeptionnelle dont nous le remercions. Nous lui avons simplement posé quelques questions...

La Chine vue par l'École de Guerre Économique de Paris

La Chine est aujourd'hui l'une des puissances géopolitiques les plus influentes du XXIe siècle, mais aussi l'une des plus difficiles à décrypter. Son ascension, qui combine puissance économique, ambitions militaires et une influence diplomatique sans précédent, est souvent perçue comme un phénomène inévitable et pacifique.

Cependant, comme le souligne l'analyse de l'École de Guerre Économique de Paris, cette expansion n'est pas le fruit d'une simple croissance organique, mais le résultat d'une stratégie minutieusement planifiée, intégrant économie, technologie et politique pour asseoir la domination chinoise sur le long terme.

Le développement pacifique : une rhétorique trompeuse

Lorsque Pékin évoque le « développement pacifique », elle dessine une image rassurante d'un acteur international engagé dans la coopération mondiale. Le discours officiel met en avant le respect de la souveraineté des autres pays et la volonté de contribuer à la paix mondiale. Pourtant, la réalité est bien différente. Un exemple emblématique est l'Initiative Belt and Road (BRI), également connue sous le nom de « Nouvelle Route de la Soie », présentée comme un projet visant à promouvoir les infrastructures et le commerce dans les pays en développement.
 
En pratique, la BRI s'est souvent transformée en un piège de la dette pour de nombreuses nations, comme l'illustre le cas du Sri Lanka. Le port d'Hambantota a été cédé à la Chine pour une durée de 99 ans après que le gouvernement sri-lankais n'ait pas pu rembourser les prêts contractés pour sa construction. Ce modèle n'est pas isolé : dans des pays comme le Pakistan ou en Afrique, des projets similaires ont renforcé l'influence chinoise sur des infrastructures vitales. En parallèle, Pékin a étendu son contrôle sur des routes maritimes stratégiques telles que la mer de Chine méridionale, où transite environ 30 % du commerce mondial. Malgré les décisions internationales contestant ses revendications territoriales, la Chine a construit et militarisé des îles artificielles, en contradiction flagrante avec sa rhétorique de coopération pacifique.

La politique des raccourcis technologiques

La Chine a fait de la « politique des raccourcis » un pilier de son développement. Cette approche, perfectionnée par rapport aux modèles utilisés précédemment par le Japon et la Corée du Sud, combine des pratiques légales comme les joint ventures avec des activités moins transparentes, telles que le cyberespionnage. Le secteur aéronautique illustre parfaitement cette stratégie : grâce à des collaborations internationales et des cyberattaques ciblées, Pékin a accéléré le développement du C919, le premier avion commercial chinois conçu pour concurrencer Boeing et Airbus. Depuis 2010, des hackers liés au gouvernement chinois ont attaqué à plusieurs reprises Airbus et ses fournisseurs pour voler des données techniques sur les moteurs et les matériaux utilisés.
 
Cette méthode dépasse le secteur aéronautique. La Chine utilise systématiquement les accords de co-entreprise pour obliger les entreprises étrangères à transférer des technologies avancées comme condition d'accès au marché chinois. Bien que critiquées depuis des années, ces pratiques ont permis à Pékin de combler rapidement son retard technologique dans des domaines tels que les télécommunications et les énergies renouvelables, renforçant ainsi sa position de leader mondial.
 

Le double langage de Pékin

L'un des outils les plus sophistiqués de la stratégie chinoise est son « double langage ». Pékin se présente comme un promoteur de paix et de stabilité, mais ses actions révèlent souvent une ambition bien plus agressive. En mer de Chine méridionale, par exemple, la Chine proclame son engagement pour une résolution pacifique des différends territoriaux, tout en construisant et militarisant des bases sur des îles artificielles.
 
Ce double langage s'étend également au domaine technologique. Tout en promouvant la coopération internationale sur des sujets comme l'intelligence artificielle, Pékin utilise ces mêmes technologies pour développer des systèmes de surveillance de masse et renforcer le contrôle interne. La promotion d'entreprises comme Huawei, fréquemment accusées de collaborer avec le gouvernement chinois pour des activités d'espionnage, a généré des tensions croissantes avec l'Occident.
 
Les implications de cette ambiguïté sont profondes. Les pays occidentaux peinent à distinguer entre les déclarations officielles de la Chine et ses véritables ambitions stratégiques. Cela crée un climat de méfiance qui exacerbe les tensions géopolitiques et rend difficile l'établissement d'un dialogue constructif.

L'aveuglement stratégique de l'Occident

La rapidité de l'ascension de la Chine a été facilitée par les erreurs d'évaluation stratégique de l'Occident. Après la fin de la guerre froide, de nombreux dirigeants occidentaux ont cru que l'intégration économique entraînerait une démocratisation du régime chinois. Cette conviction a permis à Pékin de tirer parti de la mondialisation pour renforcer son pouvoir économique et géopolitique.
 
La pandémie de COVID-19 a mis en lumière cette dépendance, révélant comment la délocalisation de la production vers la Chine a compromis l'autonomie stratégique de l'Occident dans des secteurs cruciaux, tels que les équipements médicaux et les technologies avancées. La pénurie de masques et de respirateurs au début de la crise sanitaire illustre parfaitement cette vulnérabilité.
 
Pour relever ce défi, l'Occident doit réorienter ses politiques industrielles, réduire sa dépendance vis-à-vis de la Chine et investir dans des secteurs stratégiques comme les semi-conducteurs et les technologies émergentes. Il est également crucial de renforcer les alliances internationales afin de protéger les infrastructures critiques et de contrer l'expansion chinoise.

La Chine numérique : le contrôle des données comme levier de pouvoir

La modernisation chinoise ne se limite pas à l'économie traditionnelle. Ces dernières années, le pays a accéléré sa transition vers une numérisation complète. La stratégie exposée dans le document La construction de la Chine numérique vise à faire des Big Data un pilier de la gouvernance étatique. En centralisant le contrôle des données, la Chine optimise ses processus décisionnels internes tout en consolidant son pouvoir social et politique.
 
La Digital Silk Road, une composante clé de la Belt and Road Initiative, étend cette influence au-delà des frontières nationales. En construisant des réseaux 5G et en promouvant le yuan numérique, Pékin redéfinit les normes technologiques mondiales. Cependant, cette centralisation suscite des inquiétudes quant à la liberté individuelle et aux droits économiques, tout en alimentant les craintes d'une fragmentation technologique mondiale.
 

Conclusion : un affrontement inévitable

La Chine n'est pas simplement une puissance économique émergente, mais un acteur stratégique utilisant tous les outils à sa disposition pour redéfinir l'ordre mondial. La combinaison entre la Belt and Road Initiative, la Chine numérique et le contrôle des technologies avancées représente un défi sans précédent pour l'Occident. Pour y faire face, les États-Unis et l'Europe doivent développer une vision stratégique commune, investir dans leurs capacités technologiques et diversifier leurs chaînes d'approvisionnement. Ce n'est qu'ainsi qu'ils pourront contenir l'expansion d'un modèle visant à imposer une nouvelle vision de la gouvernance mondiale.
 
 
Pour une réflexion approfondie sur la Chine du point de vue de l'École de Guerre Économique de Paris (EGE), voici quelques recommandations de lecture, personnalités de référence et événements pertinents, avec une attention particulière aux ouvrages en langue française

Conseils de lecture :

1. "La guerre économique" - Christian Harbulot
Cet ouvrage est une référence essentielle pour comprendre les dynamiques de la guerre économique et le rôle de la Chine dans ce contexte. Harbulot, directeur de l'École de Guerre Économique, explore comment la Chine utilise l'intelligence économique comme outil pour asseoir sa suprématie mondiale.
 
2. "Sabordage : Comment la France détruit sa puissance" - Christian Harbulot
Dans ce livre, Harbulot analyse comment les pays occidentaux, notamment la France, ont sous-estimé le rôle de la Chine dans le contexte global et comment la Chine utilise des stratégies d'influence économique pour consolider sa position.
 
3. "L'art de la guerre économique" - Ali Laïdi
Cet ouvrage explore comment les grandes puissances, y compris la Chine, utilisent l'économie comme un champ de bataille stratégique. Laïdi analyse en détail le rôle de la Chine dans la redéfinition des règles de la compétition économique mondiale.
 
4. "La Chine et la nouvelle route de la soie" - Jean-Baptiste Jeangène Vilmer
Une analyse du projet "Belt and Road Initiative" et de son impact géopolitique, économique et technologique. Cet ouvrage offre une perspective détaillée sur les implications à long terme de la stratégie chinoise.
 

Lien utiles


Biographie

Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d'études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d'étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l'accent sur la dimension de l'intelligence et de la géopolitique, en s'inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l'École de Guerre Économique (EGE)

Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/ et avec l'Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l'Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/