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Christophe Dufrêne : l'interview. La communauté de l'Intelligence Economique accueille un nouveau membre


David Commarmond
Mercredi 16 Septembre 2020




DC : Pouvez-vous nous présenter la genèse des nouvelles routes de la soie lancées par le Président chinois Xi Jinping ?

Christophe Dufrêne : l'interview. La communauté de l'Intelligence Economique accueille un nouveau membre
CD : Les nouvelles routes de la soie ont été présentées pour la première fois par le président chinois Xi Jinping en septembre 2013 lors d’un discours devant des étudiants à Astana (aujourd’hui Noursoultan), capitale du Kazakhstan. Les objectifs présentés sont de mieux connecter commercialement les différentes nations le long de la nouvelle route de la soie ainsi que de favoriser leur développement économique sur le moyen et long terme via « un corridor logistique allant du Pacifique à la mer Baltique. »
 
Le président chinois s’appuie sur l’imaginaire laissé par les anciennes routes de la soie mais les deux routes sont radicalement différentes. En effet, là où la précédente route terrestre était un carrefour d’échange commercial, technologique et intellectuel (diffusion de religions et de préceptes philosophiques) dont les principaux bénéficiaires étaient la Chine et l’Europe, les nouvelles routes seront quant à elles, terrestres et maritimes et toucheront l’Asie du Sud-Est ainsi que l’Afrique. Ainsi, le projet chinois prend une nouvelle tournure : celle de l’investissement massif dans les différentes infrastructures, notamment en Afrique, afin de sécuriser ses approvisionnements stratégiques en hydrocarbures, favorisant l’ouverture de nouveaux débouchés pour ses produits d’exportations.
 
La seconde pierre angulaire du projet : le consensus de Pékin
 
Le projet « One Belt, One Road » (OBOR - les nouvelles routes de la soie) s’inscrit en parallèle avec une autre doctrine de la Chine, celle du Consensus de Pékin. Bien que cette expression ait été théorisée dès 2004, le Consensus de Pékin fait désormais partie intégrante de la stratégie chinoise pour l’Afrique et de son projet. Opposé à la doctrine occidentale du Consensus de Washington qui prône une libéralisation des économies, une lutte active contre la corruption et un contrôle strict des dépenses publiques en échanges d’aides au développement, Pékin accorde quant à lui une grande estime à la non-ingérence dans sa politique de prêt. Idéologique opposé, le Consensus de Pékin progresse à mesure que les occidentaux reculent en Afrique.
 
Ce recul occidental est couplé à la progression de la Chine en Afrique d’autant que de plus en plus de pays africains sont séduits par le modèle chinois. L’ancien président sénégalais déclarait : « Les contrats qui prennent 5 ans à être signés avec la Banque mondiale prennent 3 mois avec les autorités chinoises ; la Chine s'étant battue pour se moderniser à un sens beaucoup plus grand des besoins de développement de l'Afrique, et est plus adaptée au commerce africain que les occidentaux. »
 
Ce modèle de développement et de prêt alternatif qu’apporte Pékin, couplé à la création des nouvelles routes de la soie en Afrique, a permis aux entreprises chinoises de gagner d’importantes parts de marchés en Afrique et d’y gagner en influence.

 

DC : Trois mois au lieu de cinq ans pour obtenir des financements, aucun contrôle, aucune transparence, les états africains ont-ils les moyens de défendre leurs intérêts et de diligenter des équipes, des compétences pour étudier les contrats, les conditions des prêts ?

CD : Le Consensus de Pékin offre aux Etats africains l’avantage de rester pleinement souverain dans leur gestion financière et d’utiliser ce financement comme ils le désirent.
 
Cette indépendance vis-à-vis du bailleur de fonds est, pour de nombreuses nations africaines, une défense de leurs intérêts nationaux.
 
Malgré le manque de transparence des contrats signé entre la Chine et ses partenaires africains, il existe une récurrence structurelle de ces dits contrats. Si les nations africaines se révèlent incapables de rembourser, la Chine accepte d’être payée par des matières premières (hydrocarbures, minerais) ou par la session d’actifs ou d’infrastructures, telle que des terres arables, des ports ou des forêts à exploiter. Pour l’exemple, le Laos vient de céder à la Chine le contrôle de son entreprise nationale de fourniture d’électricité du fait de son surendettement vis-à-vis de cette dernière et de son incapacité à rembourser ses emprunts. 

DC : La stratégie d’investissement de la Chine est-elle complexe et difficilement lisible ?

CD : Les outils d’investissements sont nombreux, divers et de statuts très différents. La Chine a créé plusieurs fonds d’investissements, parmi les plus importants la Banque asiatique d’investissements dans les infrastructures (AIIB). Avec le temps, celle-ci est devenue le fer de lance de Pékin dans ses stratégies d’investissement.
 
En 2007, la Chine avait déjà mis à disposition de ses différentes banques et fonds plus 1 900 milliards de dollars afin de mener à bien différents projets. Par la suite intégrées au projet des nouvelles routes de la soie, ces entreprises d’Etats ont permis à la Chine de mener « une diplomatie des infrastructures  »1 et l’Afrique aurait concentré plus de 1 000 milliards de dollars d’investissement entre le lancement des nouvelles routes de la soie et 2019.
 
Les investissements chinois dans les infrastructures africaines ont connu une croissance vertigineuse. Entre 1990 et 2000, les IDE chinois en Afrique n’étaient de 2,1 milliards de dollars et ont atteint 56 milliards de dollars en 2009.
 
Il est estimé que 40% des investissements chinois en Afrique ont été destinés à la construction et à la rénovation d’infrastructures de transports de marchandises et d’hydrocarbures ainsi qu’à la production électrique et transmission d’énergie.
 
De plus, le gouvernement chinois ne se contente pas de proposer des prêts. Il pousse aussi ses entreprises à s’investir davantage en Afrique. En effet, Pékin a débloqué 10 milliards de dollars au Fonds de développement sino-africain afin d’aider les entreprises chinoises à investir en Afrique. En 2020, plus de 10.000 entreprises chinoises étaient actives dans toute l’Afrique.
 

DC : La Chine n’a donc aucun frein / opposition à ses ambitions sur le terrain ?

CD : Si la Chine a réussi à s’implanter aussi facilement en Afrique, c’est que Pékin se donne les moyens de ses ambitions. La puissance économique et financière de cette dernière est sans égale et seule la Chine est capable de pouvoir financer autant de projets sans se mettre en danger, contrairement aux occidentaux qui ne peuvent plus rivaliser. Aussi, les investissements chinois en Afrique répondent à un besoin des Etats africains : le manque criant d’infrastructures. Pour exemple, au Soudan du Sud, il n’existe qu’une seule route goudronnée et bitumée : la route de Nimule.
 
Le Consensus de Pékin offre aux Etats africains l’avantage de rester pleinement souverain dans leur gestion financière et d’utiliser ce financement comme ils le désire. Cette indépendance vis-à-vis du bailleur de fonds est, pour de nombreuses nations africaines, une défense de leurs intérêts nationaux.
Malgré le manque de transparence des contrats signé entre la Chine et ses partenaires africains, il existe une récurrence structurelle de ces-dit contrats. Si les nations africaines se révèlent incapable de rembourser, la Chine accepte d’être payé par des matières premières (hydrocarbures, minerais) ou par la session d’actifs ou d’infrastructures, tels que des terres arables, des ports ou des forêts à exploiter.
 

Bien que la Chine se veuille hégémonique, il est important de préciser qu’elle n’est pour le moment pas impériale. Pékin a certes étendu son influence économique, politique et diplomatique sur tout le continent africain mais ne l’a jamais utilisé de façon coercitive.  Le 23 juin 2019, la Chine a vu son candidat Qu DONGYU être élu à la tête de la FAO (Food and Agriculture Organization of the United Nations). Cette élection s’est réalisée grâce au concours des nations africaines via un jeu diplomatique sain et non pas des pressions exercées par la Chine sur ses homologues africains.