Dans l’ESRI (Enseignement Supérieur de la Recherche et de l’Innovation), Christophe Stalla-Bourdillon, fait figure de professeur (très) à part : il nous confie ses réflexions sur l’enseignement actuel de l’intelligence économique en France.
Dans l’ESRI (Enseignement Supérieur de la Recherche et de l’Innovation), Christophe Stalla-Bourdillon (66 ans) à la fois ancien cadre dirigeant dans une multinationale industrielle française, officier de marine de réserve très actif dans certains cercles internationaux, et, depuis plus de 15 ans, professeur en intelligence économique (toujours en activité) dans 7 pays et plusieurs grandes écoles comme Polytechnique, l’EM Lyon ou l’ICN Business School, fait figure de professeur (très) à part : il nous confie ses réflexions sur l’enseignement actuel de l’intelligence économique en France.
Mise au point sur les accréditations de programmes (AACSB, EQUIS, AMBA) et des normes internationales.
"L’on me demande souvent comment je vis personnellement, en business school, la fameuse révolution planétaire des accréditations de programmes (AACSB, EQUIS, AMBA) et des normes internationales, toujours imposées de l’étranger et souvent décriées car jugées très contraignantes, bureaucratiques et synonymes de perte de souveraineté pédagogique nationale" lance Christophe Stalla-Bourdillon .
"Aujourd’hui, pour être franc, dans mes cours, toutes ces normes n’ont pratiquement aucune influence" tranche-t-il à contre-courant du discours médiatique. "Une fois que la porte de mon amphithéâtre est fermée, je fais exactement ce que je veux, quand je le veux et comme je le veux."
A ses yeux, les accréditations servent d’abord et avant tout à "séduire et rassurer les parents sur le sérieux pédagogique des écoles accréditées" et puis, bien sûr, à "justifier le coût élevé des études en business school dans un contexte de compétition mondiale exacerbée. Ces accréditations sont donc devenues nécessaires car elles sont des repères pour tous".
"A ce jour, les accréditations internationales" poursuit-il "restent un vrai défi, en continu, mais plus pour les dirigeants et services administratifs des business schools que pour les professeurs eux-mêmes, relativement peu impactés. Et il ajoute "Il est tout de même dommage que les Français ne soient pas plus présents dans la « régulation » de ces accréditations internationales de programmes pédagogiques. Car, en la matière, nous subissons plus que nous influençons."
"Aujourd’hui, pour être franc, dans mes cours, toutes ces normes n’ont pratiquement aucune influence" tranche-t-il à contre-courant du discours médiatique. "Une fois que la porte de mon amphithéâtre est fermée, je fais exactement ce que je veux, quand je le veux et comme je le veux."
A ses yeux, les accréditations servent d’abord et avant tout à "séduire et rassurer les parents sur le sérieux pédagogique des écoles accréditées" et puis, bien sûr, à "justifier le coût élevé des études en business school dans un contexte de compétition mondiale exacerbée. Ces accréditations sont donc devenues nécessaires car elles sont des repères pour tous".
"A ce jour, les accréditations internationales" poursuit-il "restent un vrai défi, en continu, mais plus pour les dirigeants et services administratifs des business schools que pour les professeurs eux-mêmes, relativement peu impactés. Et il ajoute "Il est tout de même dommage que les Français ne soient pas plus présents dans la « régulation » de ces accréditations internationales de programmes pédagogiques. Car, en la matière, nous subissons plus que nous influençons."
"Les classes sont devenues de véritables « spectacles son et lumière. »
Christophe Stalla-Bourdillon nous invite maintenant à découvrir ce qu’il voit dans ses cours : d’abord, "les classes sont devenues de véritables « spectacles son et lumière » qu’il faut «scénariser et théâtraliser », avec des profs qui, eux, sont devenus de vrais acteurs car il faut sans cesse capter et consolider l’attention des étudiants français et internationaux, et c’est encore plus vrai à distance, en visioconférence avec des cours « éclatés » sur plusieurs fuseaux horaires ", dit-il. "Cela signifie donc que tous les profs doivent désormais savoir maîtriser à la fois les jeux de scène et la technique digitale des cours en ligne avec forcément les logiciels ad hoc de référence, et ce sont de réelles compétences à acquérir.
Beaucoup de profs ont d’ailleurs fini par renoncer à l’enseignement, car ce n’est pas du tout évident de dominer toutes ces nouvelles compétences théâtrales, numériques et multimédias, le tout en anglais (Teams, Zoom, Moodle, Compilatio, Google Drive, Premier Pro, SindUp, KB Crawl, Digimind…)."
Beaucoup de profs ont d’ailleurs fini par renoncer à l’enseignement, car ce n’est pas du tout évident de dominer toutes ces nouvelles compétences théâtrales, numériques et multimédias, le tout en anglais (Teams, Zoom, Moodle, Compilatio, Google Drive, Premier Pro, SindUp, KB Crawl, Digimind…)."
Savoir "jouer avec l’outil du doute constructif"
"Je passe un tiers de mon temps en cours à déconstruire, avec bienveillance et patience naturellement, les fausses certitudes de la plupart de mes étudiants. L’influence des réseaux sociaux est aujourd’hui énorme, et les étudiants, en toute bonne foi, croient souvent savoir avec un grand « S » au point d’être parfois péremptoires et intolérants : dans les faits, sur de très nombreux sujets, et ce n’est pas honteux, mes étudiants ignorent tout simplement … qu’ils ignorent et je suis là pour les aider à évoluer.
Aujourd’hui, je suis donc obligé avant chaque cours de lancer des débats tirés de l’actualité immédiate, de jouer avec l’outil du doute constructif, de générer des interactions parfois vives ainsi que des mises en perspective croisées, de m’appuyer sur la petite expérience vécue des étudiants en matière de stages et d’associations, enfin de donner la parole aux étudiants étrangers, pour, petit à petit, ébranler puis déconstruire les fausses certitudes identifiées et, in fine, conduire les étudiants souvent soupçonneux, parfois conspirationnistes, vers un début d’esquisse de connaissance : on ne déconstruit pas en une petite heure mais bien en trois à quatre mois de cours minimum. Tout ceci est vraiment nouveau ! Cette phase de déconstruction obligatoire est devenue absolument nécessaire. "
Aujourd’hui, je suis donc obligé avant chaque cours de lancer des débats tirés de l’actualité immédiate, de jouer avec l’outil du doute constructif, de générer des interactions parfois vives ainsi que des mises en perspective croisées, de m’appuyer sur la petite expérience vécue des étudiants en matière de stages et d’associations, enfin de donner la parole aux étudiants étrangers, pour, petit à petit, ébranler puis déconstruire les fausses certitudes identifiées et, in fine, conduire les étudiants souvent soupçonneux, parfois conspirationnistes, vers un début d’esquisse de connaissance : on ne déconstruit pas en une petite heure mais bien en trois à quatre mois de cours minimum. Tout ceci est vraiment nouveau ! Cette phase de déconstruction obligatoire est devenue absolument nécessaire. "
Christophe Stalla-Bourdillon décrit ensuite une époque où "l’autorité du professeur est désormais « challengée » en permanence et en direct par tous les étudiants.
Christophe Stalla-Bourdillon décrit ensuite une époque où "l’autorité du professeur est désormais « challengée » en permanence et en direct par tous les étudiants : chacune de mes affirmations est en effet immédiatement vérifiée sur internet et même éventuellement mise en doute grâce à l’intelligence artificielle (ChatGPT). C’est presque devenu un jeu ! Un professeur démenti à plusieurs reprises par son auditoire est aujourd’hui décrédibilisé et immédiatement soumis à la cruelle vindicte des étudiants mécontents et, dans le pire des cas, « ricaneurs » car, naturellement exigeants : ces derniers sont en effet très angoissés par la recherche de leur futur emploi et ne tolèrent pas/plus les approximations.
Il est donc indispensable de ne jamais perdre son autorité académique, si fragile, en maîtrisant son sujet à la perfection. Et il n’est pas honteux après tout de dire « Je ne sais pas mais, laissez-moi, s’il vous plaît, votre adresse mail, et je vous répondrai dès que j’aurai la réponse » ."
Il est donc indispensable de ne jamais perdre son autorité académique, si fragile, en maîtrisant son sujet à la perfection. Et il n’est pas honteux après tout de dire « Je ne sais pas mais, laissez-moi, s’il vous plaît, votre adresse mail, et je vous répondrai dès que j’aurai la réponse » ."
"L’émotion et la morale (voire les convictions religieuses) ne doivent pas remplacer la raison".
Autre point important : "Il y a sur les campus beaucoup de prédicateurs, peut-être trop – sur l’environnement, les grandes causes du moment, le wokisme… – et certains groupes de pression ou ONG veulent absolument que, sous couvert d’engagement sociétal et social universel, les professeurs cèdent la parole à ces prédicateurs (qui, parfois, n’hésitent pas d’ailleurs à éructer en cours de véritables anathèmes) : c’est tout à fait nouveau !", observe-t-il avec irritation.
Il ajoute qu’ "en matière de recherche académique, les pressions desdits prédicateurs sont encore plus fortes car c’est finalement le rêve de beaucoup de « croyants » divers et variés de transformer des opinions et croyances en simili-connaissances validées par des thèses doctorales ou des conférences dans la sphère académique.
J’ai beaucoup de remontées de profs en ce sens : les citadelles du savoir sont aujourd’hui attaquées, fragilisées. Il faut sans cesse se battre avec détermination et résister à l’invasion des militants-prédicateurs dont les prêches enflammés n’ont souvent aucun fondement scientifique. L’émotion et la morale (voire les convictions religieuses) ne doivent pas remplacer la raison. Beaucoup d’étudiants internationaux d’ailleurs ne supportent plus ces intrusions militantes dans les cours, et s’en plaignent officieusement car les combats sociétaux des Français ne sont pas forcément ceux de leurs propres compatriotes chez eux."
Il ajoute qu’ "en matière de recherche académique, les pressions desdits prédicateurs sont encore plus fortes car c’est finalement le rêve de beaucoup de « croyants » divers et variés de transformer des opinions et croyances en simili-connaissances validées par des thèses doctorales ou des conférences dans la sphère académique.
J’ai beaucoup de remontées de profs en ce sens : les citadelles du savoir sont aujourd’hui attaquées, fragilisées. Il faut sans cesse se battre avec détermination et résister à l’invasion des militants-prédicateurs dont les prêches enflammés n’ont souvent aucun fondement scientifique. L’émotion et la morale (voire les convictions religieuses) ne doivent pas remplacer la raison. Beaucoup d’étudiants internationaux d’ailleurs ne supportent plus ces intrusions militantes dans les cours, et s’en plaignent officieusement car les combats sociétaux des Français ne sont pas forcément ceux de leurs propres compatriotes chez eux."
" Les étudiants étrangers décloisonnent les visions parfois étroites de certains étudiants français".
"Sur les aspects plus internationaux précisément", Christophe Stalla-Bourdillon note que "la langue anglaise est devenue une évidence dans les enseignements, et que c’est encore un problème en France : certains Français y voient même, à tort, un manque de patriotisme. La présence d’étudiants étrangers est en fait une nécessité car, volens nolens, ils contribuent (par le paiement de leurs frais de scolarité) à l’équilibre économique des écoles. De plus, par leurs interventions, ces étudiants étrangers décloisonnent les visions parfois étroites de certains étudiants français".
" L’apprentissage a changé la sociologie des étudiants, avec aujourd’hui beaucoup plus d’étudiants français issus de milieux défavorisés..."
Christophe Stalla-Bourdillon souligne ensuite que "l’apprentissage a changé la sociologie des étudiants, avec aujourd’hui beaucoup plus d’étudiants français issus de milieux défavorisés et venus de la banlieue des grandes villes. C’est forcément une excellente chose. Et il n’est donc plus vrai que je n’enseigne qu’à « des gosses de riches » " ajoute-t-il avec malice. "En amphi, les débats sont aujourd’hui très différents de l’époque pré-covid : ils sont beaucoup plus animés, ouverts et fructueux qu’il y a 10 ans.".
"En matière d’évaluation, la fraude se banalise, hélas..."
"En matière d'évaluation, la fraude se généralise, hélas" ajoute Christophe Stalla-Bourdillon en soupirant. "Durant la période Covid, ce fut particulièrement vrai mais, à l’époque, nous avons fermé les yeux … par humanité. L’intelligence artificielle rend aujourd’hui la fraude très difficile à détecter. Pour être franc, lors de certains examens, je suis très souvent incapable de dire s’il y a eu triche ou non, avec tout le business de la « sous-traitance pédagogique » qui s’est développé un peu partout sur notre planète", assure Christophe Stalla-Bourdillon.
"Je me suis même vu proposer un jour 10.000 euros pour rédiger la thèse professionnelle d’un étudiant d’une business school étrangère. Naturellement, j’ai refusé.
Sachons malgré tout rester optimistes ! De nouveaux outils numériques anti-fraude vont bientôt être commercialisés en France : j’ai pu (avec soulagement) découvrir début février 2024 les premiers prototypes qui sont encore en phase de test. Ces outils anti-fraude vont déclencher une saine révolution en matière de notation. Sans évaluations honnêtes, pas de diplôme crédible ! "
"Je me suis même vu proposer un jour 10.000 euros pour rédiger la thèse professionnelle d’un étudiant d’une business school étrangère. Naturellement, j’ai refusé.
Sachons malgré tout rester optimistes ! De nouveaux outils numériques anti-fraude vont bientôt être commercialisés en France : j’ai pu (avec soulagement) découvrir début février 2024 les premiers prototypes qui sont encore en phase de test. Ces outils anti-fraude vont déclencher une saine révolution en matière de notation. Sans évaluations honnêtes, pas de diplôme crédible ! "
Si la compétition commerciale internationale est aujourd’hui toujours très rude et « borderline », elle doit, autant que faire se peut, rester « sous contrôle éthique » pour GAGNER.
Pour terminer, Christophe Stalla-Bourdillon rappelle que ses thèmes de recherche de prédilection en intelligence économique sont le « borderline », le gris et donc le « non illégal », espace dans lequel le référentiel n’est pas la loi mais l’éthique (sanctuarisée par cette garde prétorienne que forment les « chiens de garde » et les « lanceurs d’alerte »). C’est en effet dans le gris (plus que dans le blanc et le noir) que se dessinent la plupart des grandes victoires économiques et commerciales internationales.
"Je forme donc mes étudiants à GAGNER dans le BLANC (= Légal) et le GRIS (= Non illégal) ; je les forme aussi à détecter le NOIR (= Illégal) pour mieux s’en protéger et in fine le dénoncer et contre-attaquer. Si la compétition commerciale internationale est aujourd’hui toujours très rude et « borderline », elle doit, autant que faire se peut, rester « sous contrôle éthique » pour GAGNER.
"Je forme donc mes étudiants à GAGNER dans le BLANC (= Légal) et le GRIS (= Non illégal) ; je les forme aussi à détecter le NOIR (= Illégal) pour mieux s’en protéger et in fine le dénoncer et contre-attaquer. Si la compétition commerciale internationale est aujourd’hui toujours très rude et « borderline », elle doit, autant que faire se peut, rester « sous contrôle éthique » pour GAGNER.
"Ceci étant rappelé, dans le monde économique actuel, pour le meilleur et pour le pire, et finalement qu’on le veuille ou non, …" conclut Christophe Stalla-Bourdillon "…très souvent, seule la victoire est belle ! ".
A MEDITER !
A MEDITER !