STRATEGIES

Cibler les Esprits : stratégies de luttes informationnelles.


David Commarmond
Samedi 15 Mars 2025


Lors de la 3e journée du Paris Defense Strategy Forum, la dernière conférence intitulée " Cibler les esprits : stratégies de luttes informationnelles" a mis en lumière les efforts déployés par certains acteurs étatiques pour influencer les perceptions et les comportements des sociétés. Plusieurs intervenants ont souligné l'importance de comprendre comment l'information est utilisée comme une arme pour atteindre des objectifs stratégiques



Cibler les Esprits : stratégies de luttes informationnelles.

Aiguiser l'esprit critique face à l'information

Lors de cette conférence, Mickael Miklaucic, chercheur au Centre de luttes irrégulières de l’Université de Chicago, a mis en lumière l'influence croissante de l'information sur les sociétés contemporaines. Selon lui, si les objectifs à court terme des campagnes de désinformation sont plus aisément contrés, les objectifs à long terme posent des défis bien plus complexes. Illustrant son propos avec des exemples concrets, il a évoqué les tentatives de la Russie pour influencer l’opinion publique en Finlande par le biais de récits visant à discréditer des dirigeants passés. La stratégie de sécurité nationale de la Finlande s'appuie d'ailleurs sur une mobilisation sociétale globale—impliquant autorités, entreprises et citoyens—et souligne l'importance de l'éducation pour aiguiser l'esprit critique face à l'information.

Ivan S., quant à lui, a déclaré que la Russie mène une guerre informationnelle contre l'Occident, estimant que la supériorité dans ce domaine garantira la victoire. Il a insisté sur la nécessité d'anticiper les stratégies de l'adversaire, suggérant qu’une approche offensive pourrait être la meilleure défense. Il a souligné la manière dont le Kremlin identifie et exploite les vulnérabilités occidentales, tout en insistant sur la dimension prolongée de cette guerre, où les victoires ponctuelles ne suffisent pas. Il a également rappelé que l'information est perçue par le ministère russe de la Défense comme une arme stratégique, essentielle aux opérations hybrides et psychologiques qui précèdent toute confrontation militaire.

Celui-ci a également mentionné que l'armée russe valorise un ratio important entre les efforts non cinétiques et cinétiques, considérant que la guerre informationnelle et psychologique prépare le terrain pour une victoire militaire. Il a souligné que la Russie cherche à polariser nos sociétés et à attaquer le centre de gravité occidental, qui inclut les alliances. Il a introduit le concept de "contrôle réflexif", où l'adversaire est alimenté avec des informations qui semblent bénéfiques mais qui servent en réalité les intérêts russes.
 
Ivan a insisté sur le fait que la Russie combine l'aspect technique de la cybersécurité avec les opérations psychologiques, illustrant cela par l'exemple de l'attaque contre TV5Monde. Il a souligné la nécessité d'expliquer comment l'information est une arme et comment elle change le comportement des États et de distinguer la liberté d'expression des opérations d'influence étrangères. Selon Ivan, celui qui a la supériorité informationnelle va gagner cette guerre.

Construire une résilience cognitive au sein des démocraties constitue la première étape

Gary Corm. a abordé la question de la définition de la guerre de l'information. Il a rappelé l'existence de campagnes de désinformation soviétiques antérieures à l'ère numérique, comme celle concernant l'origine du virus du SIDA. Il a souligné que la portée et la vitesse de ces campagnes sont exponentiellement plus importantes aujourd'hui. Gary C. a mis en garde contre une utilisation excessive du terme "guerre", qui a une signification spécifique en droit international. Il a évoqué les concepts d'engagement persistant et de défense en avant comme approches possibles dans le domaine cyber et informationnel. Il a distingué la dissuasion par la menace de l'imposition de coûts et la dissuasion par le déni.
 
Selon lui, la première étape consiste à construire la résilience dans nos sociétés pour reconnaître et contrer les efforts d'influence, notamment par la sécurité cognitive. Il a également mentionné l'importance de contrer le récit et de perturber la capacité de l'adversaire à manœuvrer dans l'espace informationnel. Il a souligné les défis pour les démocraties de contrer ces opérations sans compromettre leurs propres valeurs.

Enfin, Rousan Stephano, directeur au Centre Européen pour les Études Stratégiques, a rappelé que la Russie est perçue comme une menace informationnelle majeure depuis 2014. Il a mis en lumière l'expérience des sociétés ayant subi des "prisons informationnelles" et confirmé que la guerre de l'information est une réalité bien ancrée

Conclusion

Ces discussions ont convergé vers un consensus : la guerre informationnelle est un défi complexe, nécessitant une approche équilibrée entre défense et contre-offensive. Les concepts clés incluent l'information comme arme, la résilience sociétale, la polarisation, et le contrôle réflexif, sans oublier l'importance de distinguer liberté d'expression et ingérence étrangère.