Gouvernance

Colloque. #1 - «L'industrie française en danger, que faire ? » Proposition de Loi N°489 pour donner un nouveau cadre à l’I.E. C. HARBULOT ET ALI LAIDI


David Commarmond, Jacqueline Sala
Dimanche 26 Décembre 2021


Le 20 Novembre 2021 s’est tenu au Sénat dans la salle Clemenceau le colloque «L'industrie française en danger, que faire ? » .Ce colloque fait suite à la Proposition de Loi N°489 pour donner un nouveau cadre à l’intelligence économique.



Colloque. #1 - «L'industrie française en danger, que faire ? » Proposition de Loi N°489 pour donner un nouveau cadre à l’I.E. C. HARBULOT ET ALI LAIDI

Mené sous la présidence de la Sénatrice Marie-Noelle Lienemann, soutenue largement par tout son groupe qui va de la gauche républicaine au parti républicain. Ce colloque, très riche et servi par des acteurs majeurs de la discipline comme Christian Harbulot et Ali Laïdi, deux voix incontournables sur le sujet. Ils sont entourés de jeunes experts, qui ne manquent pas d’esprit et de pertinence dans leurs analyses


Colloque. #1 - «L'industrie française en danger, que faire ? » Proposition de Loi N°489 pour donner un nouveau cadre à l’I.E. C. HARBULOT ET ALI LAIDI
Alors que tout montre l’importance, l’urgence et l’impérieuse nécessité de réindustrialiser notre territoire. « Elle est indispensable pour notre indépendance, notre force économique, la création de richesses et d’emplois ». Un fossé, une fracture s’est installée, entre une majorité de Français qui la souhaite, tandis que les décisionnaires « experts », dans de nombreux partis politiques et de la haute fonction publique, autour d’un discours clament depuis des décennies sur tous les tons « ce n’est pas possible !!!!!!».
Ce sont les mêmes qui l’ont cantonné ou provoqué en cédant aux sirènes de la financiarisation de l’économique, au mythe de l’entreprise sans usines, et aux sociétés de services. Malgré ces Cassandre, cette impression de prêcher dans le désert, de nombreux acteurs s’élèvent contre ce pessimisme ambiant. La crise sanitaire a montré les faiblesse d’un marché mondialisé « grippé », elle a aussi mis à nue nos faiblesses structurelles et les risques effarants en nous exposant à des prédateurs économiques.
 
Force est de constater que notre pays est insuffisamment armé ou réactif, et que nous devons prendre le taureau par les cornes, car une prise de conscience est un premier pas. Mais nous devons aller plus loin : faire converger les forces et les bonnes volontés, la France pour certains étant au point de quitter l’histoire.
 
Organisées en trois tables rondes, elles explorent chacune les différentes problématiques et étages des enjeux, mondiaux, sectoriels, territoriales, nationales, européennes et sociétales et illustrées par de nombreux exemples.
 
La première tente d’analyser les attaques subies par l’industrie française. Ali Laïdi a tenté d’en définir le cadre [1].

Exercice d’autant plus difficile que la mauvaise volonté des acteurs les conduise à casser le thermomètre et nier l’existence du problème (premier point). C’est en effet plus facile ainsi. Les positions sont d’autant plus incompréhensibles que la guerre économique est inhérente à la nature humaine, les comportements de prédations existent depuis l’invention du stockage, c’est à dire depuis des temps immémoriaux (néolithique).

Et l’homme n’a fait que créer de nouvelles formes de prédations tout au long des siècles. Les théories économiques qui depuis quatre siècles tentent de décrire le monde des échanges, et l’idée que la concurrence est pure et parfaite ont toujours été faussées, parasitées par des comportements que l’ont peut qualifier d’illégaux, prédateurs, anticoncurrentiels.

Si la France a renoncé à jouer de ses atouts, d’autres pays  [2] - n’ont pas eu de scrupules à utiliser leurs cartes maîtresses. Deux marqueurs temporels signent deux vagues de transformation. La Seconde Guerre Mondiale qui marque le début de la Guerre Froide, puis la Chute du mur de Berlin en 1989. Le Japon, Les USA, La Chine[ [3] mais aussi l’Allemagne [4] ou l’Angleterre [5] ont tout fait pour favoriser leurs intérêts économiques, industriels et par voie de conséquence l’emploi.

En France, il faut attendre 1994 avec le célèbre Rapport Martre pour acter la création du concept d’intelligence économique, soit presque un siècle après avoir conceptualiser la guerre économique et constater une timide avancée.

Or depuis les années 2010, ces pays sont allés encore plus loin et se sont dotés d’outils d’analyse et de politiques qui étaient impensables autrefois. Ils se sont dotés d’outils de surveillance d’investissements.

Alors que la Grande-Bretagne, il y a encore vingt ans, vendait à tour de bras ses industries avec fierté, elle est aujourd’hui particulièrement sourcilleuse à l’idée que des investisseurs étrangers s’immiscent dans le capital de ses entreprises et captent le savoir-faire de celles-ci.  

Pour Ali Laïdi, la guerre économique n’est pas à prendre à la légère, opérer une prise de conscience sur les enjeux de la guerre économique peut permettre la désescalade, et retarder la guerre «tout court ».
  • Nous sommes en tant que pays, en tant que culture, au bord du gouffre, prêts à quitter l’histoire car nous risquons d’être pris en tenaille entre la puissance Chinoise et la puissance Américaine. « Il faut empêcher tout acteur hégémonique d’uniformiser le monde ». La diversité est une richesse et elle doit être conservée.
     
  • Pourquoi sommes-nous en retard ? La réponse vient comme un coup de fouet, sans ambages : parce que « les élites économiques, politiques, industrielles sont à coté de la plaque » et qu’elles ont peur de leur ombre, peur de la notion de puissance.

Colloque. #1 - «L'industrie française en danger, que faire ? » Proposition de Loi N°489 pour donner un nouveau cadre à l’I.E. C. HARBULOT ET ALI LAIDI

Aujourd’hui, la Guerre économique est systémique, protéiforme, et elle se joue sur plusieurs échiquiers

Christian Harbulot, directeur et cofondateur de l’École de guerre économique, pionnier de l’intelligence économique en France apporte un éclairage sur le changement de nature de la guerre économique et ses nouveaux territoires et le décalage qui existe toujours entre l’approche juridique qui régit encore le sujet.

Cette approche est limitante et crée un « angle mort ». Elle cantonne l’espionnage industriel au pillage technologique et technique, à la prédation économique. Elle a une tonalité militaire. C’est l’emblématique affaire Michelin  qui défraya la chronique il y a quelques années et qui a laissé des traces. 

De plus chaque pays a des modes d’actions différents. Les USA ne sont pas la Chine et la Chine n’est pas la Russie. Dans tous les cas, nous sommes face à une logique de conquête, à un encerclement cognitif . 

A titre d’Exemple, la filière viande a été confrontée à une attaque à plusieurs dimensions. Secteur peu concurrentiel pendant longtemps, deux nouveaux acteurs ont remis en cause son existence. Un premier qui faisait la promotion de viande issue de culture de cellules et de l’autre une association L215 qui montre (à juste titre) des dysfonctionnements de la filière par le biais de vidéo et de coup d’éclats. Association toutefois financée par une fondation américaine à hauteur d’un million de dollars par an. 

L’autre point commun de ces deux approches c’est qu’elles sont dans le camps du bien, « tuer c’est mal », nous sommes des gentils et nous sommes bienveillants. Il est difficile de contredire et d’être contre ce discours. Toutefois cette bienveillance peut cacher des intentions moins bien avouables et les réponses apportées peuvent être inadaptées, irréfléchies, provoquer la déstabilisation de filière.



[1] La définition de guerre économique est difficile, car il n’y a pas de définition académique. En 2009, j’ai tenté lors de ma thèse d’en proposer une. « l’utilisation de moyens déloyaux ou illégaux pour préserver un marché aussi bien en temps de paix que de guerre». Cette définition a deux mérites, battre en brèche l’idée néo-classique de la concurrence pure et parfaite et d’affirmer que la violence est détenue uniquement par les Etats. La concurrence n’a jamais été pure et parfaite et les États n’ont pas le monopole de la violence. Reconnaître la guerre économique, c’est sur le plan politique pour la Droite, reconnaître que l’État n’est pas seul détenteur de la violence. A l’autre bout de l’échiquier, reconnaître ce concept c’était donner au patronat, la possibilité de mettre fin aux acquis sociaux. Ces deux argumentations sont erronées, car la guerre économique c’est tout autre chose. « Il faut préserver le modèle social français, car la guerre économique menace ce modèle ». Histoire mondiale de la guerre économique de Ali Laïdi (Paris, Perrin, septembre 2016) https://www.epge.fr/introduction-legerement-remaniee-de-la-these-dali-laidi/

[2]] Paradoxalement, si ce sujet a longtemps été éclipsé, la France la conceptualisé dès le début du 20e  siècle, suite au conflit 14-18 (Tannerie et d’autres militaires), ils ont alors formé les Anglais et les Américains. Les Anglo-saxons ont continué à réfléchir au sujet, tandis que la France s’en est désintéressé. Tannerie ayant proposé d’adapter le renseignement militaire dans le domaine civil en en faisant du renseignement commercial. « Poser la question sur le plan historique et la placer sur le temps long permet de voir que ce concept n’est pas lié à une idéologie, elle a toujours existé, c’est une question anthropologique. ». Or nous Européens et plus particulièrement Français, nous avons complètement oublié cette dimension. Mais pas le reste du monde.  A la chute du mur de Berlin en 1989, il y a un réarmement des Etats. Et le Japon apparaît comme l’un des 1er acteur, comme le révèle un rapport de la CIA qui démontre la mise en place d’une doctrine d’intelligence économique aussi puissante que discrète qui a permis à un Japon de devenir le premier challenger des Etats-Unis. Les Américains, pragmatiques réorientant leurs activités de la guerre froide vers la nouvelle donne. Tandis que nous Européens restions aux abonnés absents. 

[3] Tandis que la Chine, comblait aussi petit à petit son retard technologique et scientifique, pour aujourd’hui nous passer devant dans certains domaines comme le nucléaire.

[4] Les Allemands ont choisi aussi de mener une politique de réarmement en mettant en place une politique de surveillance des investissements étrangers. 

[5] La Grande-Bretagne qui a crée l’Investissement Sécurity Unit, un service dédié à la surveillance des investissements étrangers. Grand revirement, alors qu’il y a 10 ans l’Angleterre était fière d’accueillir les investisseurs étrangers et de leur vendre ses entreprises.

[6] https://www.cairn.info/manuel-d-intelligence-economique--9782130591405-page-319.htm

[7] https://www.cairn.info/manuel-d-intelligence-economique--9782130591405-page-319.htm https://www.ege.fr/infoguerre/2010/06/les-difficultes-de-la-justice-francaise-a-traiter-les-affaires-de-renseignement-economique

[8]https://www.ege.fr/infoguerre/encerclement-cognitif-par-la-donnee-scientifique-le-cas-du-science-media-center https://www.ege.fr/infoguerre/2010/06/les-difficultes-de-la-justice-francaise-a-traiter-les-affaires-de-renseignement-economique

Cas d’école. Présentation du cas Eurocopter en Inde Guillaume Anjou, Conseil en Stratégie, Etudiant MBA Stratégie et Intelligence Economique à Ecole de Guerre Economique

Pour résumer : Histoire d’un superfail, où comment perdre 600 millions d’euros de contrats, l’apprendre par la presse, sans avoir su capter le moindre signal faible dans les mois qui précèdent l’annonce. Guillaume Anjou décrypte les mécanismes et nous aide à comprendre la psychologie américaine. « Un contrat gagné par un concurrent, n’est pas un contrat perdu ».
Points à retenir :
•    Ne jamais s’avouer vaincu,
•    Respecter les éléments clés d’un contrat (TOUS les éléments clés),
•    Sécuriser ses contrats et être soutenu par son administration,
•    L’association Public / Privé est un atout,
•    Nécessité de travailler l’environnement économique, politique, médiatique pour être vu et perçu favorablement, afin de démultiplier les impacts de son action,
•    Mobiliser intelligemment TOUS les acteurs,
•    Etre cohérent dans sa communication est essentiel 
  • Conclusion : l’approche traditionnelle qui consiste à démontrer la supériorité d’un produit sur son concurrent est une technique insuffisante dans un marché complexe et stratégique lorsque s’affronte de puissants concurrents.  L’influence est un facteur clé qui doit être présent tout au long du processus. La signatutre d’un contrat n’est plus la garantie d’un succès.  Lien vers la vidéo