Quatre tables rondes ont réuni les pionniers, les experts et les décideurs actuels de l’intelligence économique
Il y a trente ans, en 1994, le Rapport Martre jetait les bases du concept d’Intelligence Économique (IE), marquant un jalon majeur dans le paysage du renseignement et de la stratégie économique. Ce rapport a souligné le retard significatif de la France dans ce domaine, ouvrant la voie à une prise de conscience et à une action déterminée.
Dix ans plus tard, En 2003, le député Bernard Carayon a présenté un deuxième rapport intitulé «Intelligence économique, compétitivité et cohésion sociale ». Ce rapport a marqué un tournant décisif, conduisant à la création d’entités institutionnelles dédiées à l’IE au sein des ministères français.
Aujourd’hui ces textes fondateurs témoignent de l’engagement croissant de la France envers l’intégration de l’intelligence économique dans sa stratégie nationale.
Ce colloque a été l’occasion de revenir sur les fondamentaux de la discipline, mais surtout d’investir son avenir, les nouveaux acteurs et la mise à jour des doctrines. Quatre tables rondes ont réuni les pionniers, les experts et les décideurs actuels de l’intelligence économique pour échanger autour des enjeux actuels et futurs de cette discipline stratégique qui traverse un monde de plus en plus complexe. Charles de Bisschop du Portail de l'IE tout au long de la journée mena à bien la conduite de la conférence entre les différentes tables rondes.
Ce colloque a réuni « les trois chevaliers » de l’Intelligence Economique. Introduit de cette manière par Nicolas Moinet, il était tentant de continuer à filer la métaphore. Car le monde ne peut-il pas être comparé à un jeu d’échecs, où ses acteurs ne sont que des pions évoluant dans un monde d’illusions et de faux-semblants ?
Dix ans plus tard, En 2003, le député Bernard Carayon a présenté un deuxième rapport intitulé «Intelligence économique, compétitivité et cohésion sociale ». Ce rapport a marqué un tournant décisif, conduisant à la création d’entités institutionnelles dédiées à l’IE au sein des ministères français.
Aujourd’hui ces textes fondateurs témoignent de l’engagement croissant de la France envers l’intégration de l’intelligence économique dans sa stratégie nationale.
Ce colloque a été l’occasion de revenir sur les fondamentaux de la discipline, mais surtout d’investir son avenir, les nouveaux acteurs et la mise à jour des doctrines. Quatre tables rondes ont réuni les pionniers, les experts et les décideurs actuels de l’intelligence économique pour échanger autour des enjeux actuels et futurs de cette discipline stratégique qui traverse un monde de plus en plus complexe. Charles de Bisschop du Portail de l'IE tout au long de la journée mena à bien la conduite de la conférence entre les différentes tables rondes.
Ce colloque a réuni « les trois chevaliers » de l’Intelligence Economique. Introduit de cette manière par Nicolas Moinet, il était tentant de continuer à filer la métaphore. Car le monde ne peut-il pas être comparé à un jeu d’échecs, où ses acteurs ne sont que des pions évoluant dans un monde d’illusions et de faux-semblants ?
La mise en place des pièces et des obstacles
Alain Juillet, Bernard Carayon et Christian Harbulot ne sont plus à présenter aujourd’hui.
Cependant en 1994 leurs parcours étaient encore à faire, les « trois chevaliers » n’étaient encore que « de jeunes chevaliers » et d’autres pièces sont à se présenter. Edith Cresson, Henri Martre, Le Préfet Rémy Pautrat, pour ne citer que les principaux. Mais on peut rajouter les différents Premiers Ministres, Ministres de l’Economie, du Trésor, Industrie qui ont eu-connaissance du sujet, se sont appropriés ou non la question et appréhender les enjeux.
Tous face à cette question de l’intelligence économique et au développement économique ont eu des approches et des réactions différentes et ont œuvré à freiner ou à développer cet état d’esprit.
Chaque intervenant, dans son parcours a été confronté à des situations marquantes, déroutantes, déstabilisantes qui auraient fait rendre les armes à nombre d’individus. Alain Juillet a ainsi débuté sa mission avec un bureau anonyme, sans budget, ni moyens humains. Bernard Carayon a été confronté à un dilemme : laisser le déclin industriel continuer à s’installer ou mettre en place une politique de puissance. Christian Harbulot a souligné l’inertie des institutions et de l’Administration, citant un échange avec Jean-Pierre Raffarin sur un projet " ..., une mission sur la coordination des services de renseignement. Mais c’est trop compliqué, on ne peut pas faire un rapport public là-dessus". "En consolation, je comprends aussi que l’on va me donner une autre compensation. »
Cependant en 1994 leurs parcours étaient encore à faire, les « trois chevaliers » n’étaient encore que « de jeunes chevaliers » et d’autres pièces sont à se présenter. Edith Cresson, Henri Martre, Le Préfet Rémy Pautrat, pour ne citer que les principaux. Mais on peut rajouter les différents Premiers Ministres, Ministres de l’Economie, du Trésor, Industrie qui ont eu-connaissance du sujet, se sont appropriés ou non la question et appréhender les enjeux.
Tous face à cette question de l’intelligence économique et au développement économique ont eu des approches et des réactions différentes et ont œuvré à freiner ou à développer cet état d’esprit.
Chaque intervenant, dans son parcours a été confronté à des situations marquantes, déroutantes, déstabilisantes qui auraient fait rendre les armes à nombre d’individus. Alain Juillet a ainsi débuté sa mission avec un bureau anonyme, sans budget, ni moyens humains. Bernard Carayon a été confronté à un dilemme : laisser le déclin industriel continuer à s’installer ou mettre en place une politique de puissance. Christian Harbulot a souligné l’inertie des institutions et de l’Administration, citant un échange avec Jean-Pierre Raffarin sur un projet " ..., une mission sur la coordination des services de renseignement. Mais c’est trop compliqué, on ne peut pas faire un rapport public là-dessus". "En consolation, je comprends aussi que l’on va me donner une autre compensation. »
Les déplacements, affronter, contourner, s’allier.
Déjà en 1994, Madame Cresson se rendait bien compte qu’elle se heurtait à beaucoup de problèmes, à un mur, au système étatique français. Mais la durée de vie d’un 1er Ministre, d’un Ministre ou plus généralement d’un Cabinet Ministériel ne permet pas de mener à bien un changement de paradigme. Les élections, les intérêts personnels à court et moyen termes sont autant de grains de sable qui grippent toute volonté de réforme systémique.
A cela on préfère les petites réformes, les réformettes, les aménagements.
Les années qui ont suivi ont montré que nous cultivions cette faiblesse. Dans une première vie, dans le secteur privé, Alain Juillet s’était rendu compte de cet état de faiblesse dans de nombreux domaines, le marketing, l’influence, la gestion de risques suite à une expérience aux Etats-Unis qui l’avait conduit à faire une formation à Berkeley dans le domaine marketing. Toutes ces disciplines, ces dimensions permettaient de faire du Renseignement d’Entreprise.
Malgré quelques avancées, il se révélait encore impossible de faire travailler et collaborer les secteurs public et privé. Il était trop tôt. Des étapes intermédiaires étaient encore nécessaires pour que le changement de culture soit intégré.
Des clés demeuraient manquantes. L’une d’elle était l’absence de mémoire, car la formulation de l’intelligence économique était récente. Depuis la fin de la Guerre, le Général de Gaulle avait mis en place une planification industrielle. Or nous a eu une « rupture mémoire ». Et il fallait combler cette rupture. « C’est-à-dire envoyer des chargés de mission à travers le monde, principalement au Japon et aux États-Unis puisque c’était les deux principales puissances de cette époque en informatique. Des hommes comme Jean-Claude Possin et Bernard Besson ont été parmi des premiers à parler de renseignement économique dans un ouvrage.
Pour comprendre tout le mérite du chemin parcouru, "on peut pas ne pas évoquer les institutions et les personnalités les plus réfractaires" qui ont été plus que des freins, des obstacles. De nombreux chefs d’entreprises, les plus gros ainsi que leurs représentants étaient opposés à cette vision. Nous avancions en terrain miné, et nous aurions aimé le savoir. « C’est-à-dire dans les contradictions de la société française, qui ne demandait qu’à grandir. Donc, cela a été un énorme problème de ne découvrir cela qu’après, bien longtemps après».
« Notre groupe de travail lui aussi rétrospectivement avait ses points faibles » reconnaît Alain Juillet. « Nous voulions une mission sur le renseignement, mais le Commissariat au Plan s’y était opposé car celui-ci était lui-même divisé. Il y avait des mots tabous comme, puissance et économie. L’expérience nous a montré que le monde de l’entreprise n’était pas encore en capacité de comprendre notre démarche, de recevoir de l’information de notre part. Ils étaient comme une poule devant un couteau. Et il en était de même pour les syndicats et plus généralement les partenaires sociaux ».
Enfin, précise Alain Juillet, au sein du groupe tous n’étaient pas convaincus du bien-fondé de celui-ci et de sa mission, certaines personnalités n’auraient peut-être pas dû y participer, car ils affaiblissaient notre colonne vertébrale.
A cela on préfère les petites réformes, les réformettes, les aménagements.
Les années qui ont suivi ont montré que nous cultivions cette faiblesse. Dans une première vie, dans le secteur privé, Alain Juillet s’était rendu compte de cet état de faiblesse dans de nombreux domaines, le marketing, l’influence, la gestion de risques suite à une expérience aux Etats-Unis qui l’avait conduit à faire une formation à Berkeley dans le domaine marketing. Toutes ces disciplines, ces dimensions permettaient de faire du Renseignement d’Entreprise.
Malgré quelques avancées, il se révélait encore impossible de faire travailler et collaborer les secteurs public et privé. Il était trop tôt. Des étapes intermédiaires étaient encore nécessaires pour que le changement de culture soit intégré.
Des clés demeuraient manquantes. L’une d’elle était l’absence de mémoire, car la formulation de l’intelligence économique était récente. Depuis la fin de la Guerre, le Général de Gaulle avait mis en place une planification industrielle. Or nous a eu une « rupture mémoire ». Et il fallait combler cette rupture. « C’est-à-dire envoyer des chargés de mission à travers le monde, principalement au Japon et aux États-Unis puisque c’était les deux principales puissances de cette époque en informatique. Des hommes comme Jean-Claude Possin et Bernard Besson ont été parmi des premiers à parler de renseignement économique dans un ouvrage.
Pour comprendre tout le mérite du chemin parcouru, "on peut pas ne pas évoquer les institutions et les personnalités les plus réfractaires" qui ont été plus que des freins, des obstacles. De nombreux chefs d’entreprises, les plus gros ainsi que leurs représentants étaient opposés à cette vision. Nous avancions en terrain miné, et nous aurions aimé le savoir. « C’est-à-dire dans les contradictions de la société française, qui ne demandait qu’à grandir. Donc, cela a été un énorme problème de ne découvrir cela qu’après, bien longtemps après».
« Notre groupe de travail lui aussi rétrospectivement avait ses points faibles » reconnaît Alain Juillet. « Nous voulions une mission sur le renseignement, mais le Commissariat au Plan s’y était opposé car celui-ci était lui-même divisé. Il y avait des mots tabous comme, puissance et économie. L’expérience nous a montré que le monde de l’entreprise n’était pas encore en capacité de comprendre notre démarche, de recevoir de l’information de notre part. Ils étaient comme une poule devant un couteau. Et il en était de même pour les syndicats et plus généralement les partenaires sociaux ».
Enfin, précise Alain Juillet, au sein du groupe tous n’étaient pas convaincus du bien-fondé de celui-ci et de sa mission, certaines personnalités n’auraient peut-être pas dû y participer, car ils affaiblissaient notre colonne vertébrale.
Choisir ses combats, c’est choisir ses victoires et ses défaites.
Les questions sémantiques étaient un sujet sensible, beaucoup de mots comme « guerre, renseignement économique” étaient interdits , j’insiste aussi lourdement, « comment accroître la puissance par l’économie » était tabou. Et le choix d’intelligence économique était un choix réfléchi. Alain Juillet dévoila quelques éléments de de ce raisonnement « On va être pervers, au bon sens du terme . On va jouer avec les mots. Les Britanniques appellent cela intelligence, nous allons prendre le mot intelligence et nous allons appeler cela intelligence économique.” Je sais que cela a été très controversé».
Alors, on s’est moqué de nous, on a dit «ils sont plus intelligents que les autres», etc. Mais ce que les autres ne comprenaient pas justement, « c’est que c’était vraiment une stratégie voulue pour que nous n’abandonnions pas la double dimension des sources ouvertes ».
Et cela n’a pas manqué, une partie du système a refusé cette expression, mais elle a le mérite d’exister parce qu’elle combine deux univers : le monde du renseignement d’un côté et le monde des sources ouvertes de l’autre.
Dernier élément qu’Alain Juillet considère comme très important. «petit à petit, on a réussi à faire passer une idée essentielle : l’information allait devenir un élément vital du fonctionnement de l’économie et du développement, mais que nous ne pouvions pas la désynchroniser des rapports de force. »
On doit aussi noter que le rapport Martre lors de sa rédaction fait l’impasse sur les conséquences liées aux les institutions administratives et publiques américaines dont il s’est inspiré et tenté d’importer comme le Small Business Administration, le secret d’affaires, de la puissance de l’extraterritorialité du droit américain. Et sur ce plan nous n’en avions pas tiré toutes les conséquences.
Enfin notre culture administrative a aussi ses contradictions. Faire travailler le public et le privé était un défi, mais faire travailler deux ministères ensemble en est un aussi. Tant la concurrence est grande et la culture du silo, un culte, mâtiné de réformes, de fusions forcées».
Alors, on s’est moqué de nous, on a dit «ils sont plus intelligents que les autres», etc. Mais ce que les autres ne comprenaient pas justement, « c’est que c’était vraiment une stratégie voulue pour que nous n’abandonnions pas la double dimension des sources ouvertes ».
Et cela n’a pas manqué, une partie du système a refusé cette expression, mais elle a le mérite d’exister parce qu’elle combine deux univers : le monde du renseignement d’un côté et le monde des sources ouvertes de l’autre.
Dernier élément qu’Alain Juillet considère comme très important. «petit à petit, on a réussi à faire passer une idée essentielle : l’information allait devenir un élément vital du fonctionnement de l’économie et du développement, mais que nous ne pouvions pas la désynchroniser des rapports de force. »
On doit aussi noter que le rapport Martre lors de sa rédaction fait l’impasse sur les conséquences liées aux les institutions administratives et publiques américaines dont il s’est inspiré et tenté d’importer comme le Small Business Administration, le secret d’affaires, de la puissance de l’extraterritorialité du droit américain. Et sur ce plan nous n’en avions pas tiré toutes les conséquences.
Enfin notre culture administrative a aussi ses contradictions. Faire travailler le public et le privé était un défi, mais faire travailler deux ministères ensemble en est un aussi. Tant la concurrence est grande et la culture du silo, un culte, mâtiné de réformes, de fusions forcées».
Les succès et les coups d’après, l’avenir de l’Intelligence économique
Le premier succès que l’on peut reconnaître et dont on peut se féliciter c’est que nous sommes parvenus à former une nouvelle génération, c’est à dire à mettre en place des formations et des diplômes dans toute la France, public et privé. L’EGE est un des acteurs majeurs reconnu à l’international, comme l’Université de Poitiers, de Strasbourg... La liste est longue. Bernard Carayon ajoute que grâce à cela nous avons mis en place des briques pour créer une culture du renseignement.
Le second succès est la création d’un marché de l’information privée : des acteurs importants comme l’Adit, des éditeurs, de nombreuses entreprises privées. Toutefois Bernard Carayon y voit une victoire en demi-teinte, Christian Harbulot précise « qu'il aurait fallu que Bernard Carayon soit au moins secrétaire d’État ou ministre, pour mener à bien sa mission de développer une politique publique d’intelligence économique ». Nous aurions pu aller plus loin. « Cette politique publique de l’intelligence académique est encore dans les cartons alors qu’elle est toujours pertinente ».
Des axes d’améliorations, l’attractivité du territoire est essentielle pour attirer les entreprises et capitaux étrangers. C’est indéniable. Toutefois, cela n’exclut pas une certaine rigueur et des contrôles. Et le mot "réciprocité" ne devrait pas être tabou. Si nous ouvrons notre marché à des entreprises étrangères, il doit en être de même de l’autre côté. Ce qui devrait allé de soi, ne l’est pas.
La crise du Covid et la Guerre en Ukraine ont montré qu’aujourd’hui nous avions franchi un autre palier : la question des dépendances stratégiques.
Poser même cette question était exclu de la pensée publique et privée.
Suivre les évolutions technologiques : L’informatique en son temps avait été un enjeu qui a transformé nos sociétés comme l’électricité, aujourd’hui la data est partout, l’intelligence artificielle et les processeurs sont de nouveaux enjeux, de nouvelles sources de dépendances et de criticité.
Le second succès est la création d’un marché de l’information privée : des acteurs importants comme l’Adit, des éditeurs, de nombreuses entreprises privées. Toutefois Bernard Carayon y voit une victoire en demi-teinte, Christian Harbulot précise « qu'il aurait fallu que Bernard Carayon soit au moins secrétaire d’État ou ministre, pour mener à bien sa mission de développer une politique publique d’intelligence économique ». Nous aurions pu aller plus loin. « Cette politique publique de l’intelligence académique est encore dans les cartons alors qu’elle est toujours pertinente ».
Des axes d’améliorations, l’attractivité du territoire est essentielle pour attirer les entreprises et capitaux étrangers. C’est indéniable. Toutefois, cela n’exclut pas une certaine rigueur et des contrôles. Et le mot "réciprocité" ne devrait pas être tabou. Si nous ouvrons notre marché à des entreprises étrangères, il doit en être de même de l’autre côté. Ce qui devrait allé de soi, ne l’est pas.
La crise du Covid et la Guerre en Ukraine ont montré qu’aujourd’hui nous avions franchi un autre palier : la question des dépendances stratégiques.
Poser même cette question était exclu de la pensée publique et privée.
Suivre les évolutions technologiques : L’informatique en son temps avait été un enjeu qui a transformé nos sociétés comme l’électricité, aujourd’hui la data est partout, l’intelligence artificielle et les processeurs sont de nouveaux enjeux, de nouvelles sources de dépendances et de criticité.
Enfin de nouveaux territoires de conflits émergent :
l’influence, les cyberattaques en sont les derniers exemples.
Le rapport Martre a des mérites, mais il est ancré dans son temps.
l’influence, les cyberattaques en sont les derniers exemples.
Le rapport Martre a des mérites, mais il est ancré dans son temps.