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Conversation avec Véronique Mesguich. Rechercher "L’information stratégique sur le web : sourcing, veille et analyse à l’heure de l’IA".


Jacqueline Sala


La maitrise des IA génératives doit également désormais faire partie de la panoplie des veilleurs. Ils ne seront pas remplacés massivement par des IA…mais peut être plutôt par des professionnels qui maitrisent les IA !




Véronique Mesguich, quelques mots sur votre parcours et votre actualité :

Véronique Mesguich, on ne vous présente plus ! Vous êtes actuellement formatrice et consultante spécialisée en veille stratégique et management de l'information, après avoir dirigé pendant 18 ans l’Infothèque du Pôle Léonard de Vinci.

Vous venez de faire paraître la 3ème édition de “Rechercher l’information stratégique sur le web » aux éditions DeBoeck Supérieur, avec pour sous-titres « sourcing, veille et analyse à l’heure de l’IA”. Le titre de cet ouvrage est très explicite. Si la recherche sur le web reste la matrice fondamentale de votre expertise, vous l’éclairez par vos analyses sur l’intelligence artificielle, ses risques mais aussi les nouveaux horizons qu’elle ouvre.
Nous aimerions cependant que vous nous en disiez un peu plus en répondant à ces quelques questions inspirées de la lecture des titres des chapitres que vous avez retenus.

 

Comment les avancées technologiques, notamment l’IA, ont transformé la manière dont nous recherchons et analysons l’information sur le web ? Quelles autres avancées technologiques vous invitez-nous à découvrir ?

Chaque décennie a apporté une disruption technologique en matière de recherche d’information et de veille : dans les années 90, l’arrivée du web et des moteurs de recherche web, dans les années 2000 la déferlante des réseaux sociaux et des usages mobiles, le big data dans les années 2010, et depuis les années 2020 les IA génératives. Pour autant, ces IA basées sur des modèles de langage n’ont pas été conçues comme des outils de recherche et de veille !

ChatGPT et ses concurrents ont été entrainés sur des grandes masses de données textuelles  pour générer des réponses plausibles, en prédisant les suites de mots les plus pertinents en fonction d’un contexte.   De fait, les IA génératives sont utiles dans la phase préparatoire d’une veille ou d’une recherche approfondie, pour trouver  des idées, effectuer un premier état des lieux, ou encore en aval pour effectuer des résumés, synthèses et extractions de connaissances.

Dans le cadre d’une recherche ou d’une veille  sur un sujet vraiment précis, les bases de connaissances liées aux modèles généralistes comme ChatGPT ou ses concurrents sont souvent trop vagues et trop hétérogènes pour générer des résultats réellement complets et fiables. En revanche, l’avenir est à l’intégration des IA génératives par les éditeurs de contenus à valeur ajoutée, dans les environnements de travail ainsi qu’à la création de GPT spécialisés. De son côté, Google a annoncé pour la fin de l’année la généralisation des « AI Overviews » qui fournira des synthèses de réponses directement sur la page des résultats de recherche. Si ces avancées technologiques s’enchainent rapidement, il s’agit de les conjuguer harmonieusement aux méthodes et outils qui se sont développés et cumulés au fil des années.
 

De fait, les méthodes d’analyse automatisée de l’information ont été bouleversées. Pouvez-vous nous donner des exemples pratiques de cette évolution ?

Les modèles de langage sont très performants en matière de traitement documentaire automatisé :   résumés, synthèses, extraction de connaissances, d’entités nommées, reformatage de données textuelles ou chiffrées…De nombreux outils de veille professionnelle intègrent désormais ces fonctionnalités, afin d’automatiser et de personnaliser l’analyse et la diffusion d’informations stratégiques.
On retrouve aussi ces fonctionnalités d’IA dans des outils de business intelligence et de datavisualisation comme PowerBI ou Tableau Software. Dans l’écosystème ChatGPT, on trouve de nombreux outils   permettant de « chatter » avec un document (ou un corpus documentaire), et de générer des graphiques et diagrammes.
 

Comment les professionnels de l’information peuvent-ils améliorer leurs pratiques et optimiser leurs recherches web afin d’identifier de nouvelles sources pertinentes d’information ?

Les professionnels de l’information disposent de nombreuses approches pour la recherche web et le sourcing : recherche avancée des moteurs web, interrogation de bases de données professionnelles et académiques, mise en place de flux et d’alertes, investigations OSINT dans les réseaux sociaux…auxquelles s’ajoute désormais l’art du prompting pour optimiser l’efficacité  des interactions avec les modèles de langage.

Et bien sûr, la vigilance est plus que jamais de mise quant à la fiabilité des sources, en raison de l’ampleur prise par la désinformation, sous différents formes :  publications scientifiques frauduleuses, faux articles de médias, deep-fakes véhiculés par les réseaux sociaux…
 

Aujourd’hui « la machine apprend ». N’y-a-t il pas un risque pour les veilleurs de se faire « doubler » par cette révolution technologique ? Quels conseils leur donneriez-vous pour garder leur valeur ajoutée ?

La machine apprend…ce que les humains lui donnent à apprendre ! L’IA permet d’automatiser des actions répétitives, mais la plasticité de nos cerveaux humains reste indispensable pour des recherches et analyses approfondies, pour des mises en corrélations intelligentes et créatives, pour une prise de décision éclairée et efficace.
Les IA génératives sont capables de gérer, traiter et analyser d'énormes quantités de données, mais elles manquent de la capacité de jugement et d'analyse critique propres aux humains. La valeur ajoutée des humains réside également dans la validation et la consolidation des informations générées par l'IA, afin de garantir  l'exactitude et la fiabilité des données. Il convient également d’être vigilants quant aux biais potentiels dans les modèles d'IA et tenter de minimiser leur impact.

De nombreux professionnels de la médiation des savoirs  partagent des craintes et inquiétudes - légitimes - face à ces évolutions. Ils et elles disposent pourtant de nombreux atouts et compétences en « intelligence de l’information » : savoir traduire un besoin informationnel en axe de veille, confronter des points de vue opposés, animer un réseau de veille collaborative…La maitrise des IA génératives doit également désormais faire partie de leur panoplie. Les veilleurs ne seront pas remplacés massivement par des IA…mais peut être plutôt par des professionnels qui maitrisent les IA !
 

Dernière question :

Mis à part votre ouvrage soutenu par l’ADBS et préfacé par Anne-Marie Libman n de Bases Publications, pourriez-vous nous recommander la lecture d’un autre livre, d’une revue ?
 Veille Magazine bien-sûr !
 

Véronique Mesguich, merci pour cet entretien.


Véronique MESGUICH est consultante formatrice, spécialisée dans le domaine
de la veille stratégique, des méthodologies de recherche d'informations
et de la transformation numérique des bibliothèques.
Elle a dirigé auparavant l'Infothèque du Pôle Universitaire Léonard de Vinci.
Elle est auteure de nombreux ouvrages et articles sur ces thématiques.
Derniers ouvrages parus :
"Rechercher l’information stratégique sur le web : sourcing, veille et analyse à l’ére de l’IA" (DeBoeck Supérieur, 2024)
"Marketing en bibliothèques et autres milieux documentaires" (Asted, 2024).