Technologies du futur

De l’auto à la mobilité : un exemple de stratégie de réindustrialisation. Geneviève Bouché


Jacqueline Sala


Avec ses 15 % du PIB européen, l’automobile a été un secteur clef de la stratégie industrielle, avec ses succès et ses belles personnalités. Mais, les temps changent. Alors, les stratégies doivent changer. Ne nous trompons pas de combat ni d’ennemis. N’hésitons pas à bouleverser nos dogmes économiques.



De l’auto à la mobilité : un exemple de stratégie de réindustrialisation. Geneviève Bouché

L’automobile, une fierté européenne

L’automobile a été un signe extérieur de richesse pour les consommateurs et un vecteur d’émulation technologique pour les constructeurs en Europe puis aux USA.

La Chine emboîte le pas sur les Occidentaux, mais avec une approche différente : à ce stade de maturité de la notion d’automobile, la compétitivité entre les constructeurs n’est pas dans la performance technologique, mais dans le design, la maniabilité et le confort. Alors, la R & D technologique est mutualisée entre les constructeurs, ce qui permet de réduire les coûts à répercuter sur chaque modèle.

Ainsi, la Chine produit avec des économies d’échelle qui ne sont pas sans rappeler les heures de gloire de cette industrie en Occident. Elle compte bien envahir l’Europe avec ses petites urbaines et les ultra-riches de la planète avec ses mastodontes.

Elle compte le faire et elle en a besoin car ses aléas économiques depuis le covid 19 font qu’elle n’écoule pas autant qu’elle le voudrait sur son marché.

Alors, panique en Europe. Cette panique est inquiétante car les constructeurs européens ont été indolents vis-à-vis du passage au numérique et à l’électrique.
Pourtant, en Europe, chaque constructeur continue à courir dans son couloir. Or, la R & D en mode rattrapage est risquée et coûteuse. Les oiseaux de malheur spéculent déjà sur les drames qui pourraient en découler.
 

Le virage de la mobilité, c’est maintenant

La Chine a sa population à équiper. Chacun veut « sa voiture », comme nous avons adoré cet habitacle familial qui promet de nous emmener où on veut quand on veut, tout en protégeant l’individualité de chacun !
Les Européens sont dans une autre phase.

Les villes écartent les voitures.

Les SUV dégagent une image d’irresponsable vis-à-vis de la planète et des classes en souffrance.

Les urbains veulent des transports en commun efficaces et de la mobilité douce… Même s’ils le veulent plus pour leurs congénères que pour eux-mêmes en raison de la pollution sonore, de l’encombrement des rues et des microparticules. Les amendes et les coûts de stationnement dissuadent. Alors, l’économie de la fonctionnalité s’impose doucement avec sa logique de « ne payer que ce que j’utilise ».

Les ruraux veulent des véhicules sobres, robustes, réparables, durables et évolutifs.

Les néoruraux, adeptes du travail à distance, veulent jongler avec la mixité des modes de transport.

Pour tous, le besoin de mobilité demeure intact. C’est donc de cela que l’industrie européenne doit se préoccuper : les citoyens rêvent de sites dédiés à « l’optimisation multimodale » capable de leur vendre un titre de transport unique qui optimise les moyens possibles pour aller d’un point à un autre avec des horaires précis.

Cela nécessite des véhicules et des infrastructures adaptés, des plateformes spécialisées et des prestations annexes à inventer.
 

Notre 21ème siècle se fait en dehors du bac à sable !

Dès lors, lutter contre les constructeurs chinois n’est plus un sujet d’angoisse puisqu’ils répondent à une demande qui n’est plus la nôtre.

Construisons cette mobilité-là. Certes, elle va chahuter profondément la nature des 15 % du PIB que représente ce secteur. Mais elle va s’inscrire dans le sens de l’Histoire : économie de la fonctionnalité, optimisation des ressources, convivialité.

Cependant, ni la classe politique actuelle, ni la finance ne semblent outillées pour impulser cette mutation. Et pourtant, nous ne sommes pas tentés par une guerre économique avec la Chine qui nous priverait de certains échanges précieux.
Certes, nos voitures européennes sont chères et pas très avancées sur le plan du numérique et des nouvelles motricités. Mais, nous sommes au pied du mur. Celui-ci n’est pas très haut pour nous : nous avons les talents, les savoirs, la culture. Il nous manque l’enthousiasme.

En matière d’innovation, louper une ou deux marches n’a rien de rédhibitoire. Il faut seulement se mettre immédiatement en état de capter la marche suivante et de rattraper le retard en le mettant directement au niveau des nouvelles exigences.

Rester acteur de la saga de cette industrie au 21ème siècle ne se fait pas en poursuivant la quête de la performance au niveau des constructeurs, mais en collaborant dans le sens de l’évolution des besoins et des modes de pensée.
 
En bref : l’Europe a inventé l’automobile, les USA l’ont numérisée, la Chine l’a électrifiée. L’Europe a l’opportunité de la faire entrer dans le maillage de la mobilité… Un sujet passionnant qui se prolonge avec celui des villes et des campagnes intelligentes !

Il suffit qu’elle le décide, sinon, elle sort de l’histoire de l’automobile.
 

Merci Geneviève Bouché

Geneviève Bouché, chef d’entreprise, enseignante, chercheuse, auteure et conférencière, est docteur en sciences des organisations (Dauphine 77). Formation : informatique - télécoms, économie, finance, sociologie et futurologie cybernétique (préparation aux fonctions de commissaire au plan).
Consultante spécialisée sur les questions de management de l’innovation.
Chercheuse indépendante spécialisée dans l’évolution du pacte social et de son incidence sur la monnaie face à la bascule sociétale en cours.