Arnaud Cabal, vous êtes entrepreneur en marketing digital depuis une vingtaine d’années et, depuis trois ans, startuper dans l’univers du e-Tourisme. Pouvez-vous nous parler de votre parcours et de vos expériences ?
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Mon parcours est entrepreneurial, j’ai débuté en fournissant des services et outils propres à la communication et au marketing, il y a une vingtaine d’années, puis progressivement en développant une approche de la stratégie tournée vers les clients finaux. Le sujet du Parcours client qui est celle de mes activités s’appuie sur la prise de conscience qu’il existe une convergence réelle entre le client physique, qui va se rendre en boutique, et le client digital. Nous avons co-construit avec nos clients et dans le temps, une approche combinant les deux dimensions étant donné que ce profil de client est aujourd’hui une norme, une réalité générale. Dans notre jargon, nous disons concentrer les moyens dans une vision Customer Centric, ce qui implique de placer l’individu au centre de la réflexion et plus seulement le produit.
Cette approche générale m’a conduit à m’intéresser aux plateformes digitales de l’hôtellerie, de l’hébergement et du transport. Cet ensemble assez disparate de plateforme a révélé un terrain à peu près vierge : l’univers du loisir et du tourisme. Au cours de ces trois dernières années, j’ai pris le temps de rencontrer les professionnels de ce secteur, de discuter de leurs projets individuellement ou au cours de focus group, et de comparer ce qu’ils me disait avec les attentes des clients finaux. C’est ainsi que j’ai formalisé, avec mon équipe, une offre spécifique au secteur du loisir et du tourisme.
Aujourd’hui, il y a un vrai potentiel de développement pour la dépense touristique car nous sommes (la France) la première destination touristique mais la cinquième en terme de dépense mondiale. Cela provient naturellement du fait que nous sommes un pays de passage, mais aussi du déficit d’organisation permettant de toucher efficacement le consommateur. De fait, la start-up que je lance s’appuie sur l’expérience en Parcours client et outillage digital pour le mettre au service du Tourisme. J’œuvre toujours, soit de manière générale avec le marketing digital soit spécifiquement dans le Tourisme, pour offrir au client une expérience pertinente et sincère, non couverte actuellement pas la concurrence.
En toute objectivité, la transformation digitale en France est un semi-échec et les questions de souveraineté technologiques inondant le débat mettent en exergue cette réalité. Vous qui avez toujours été attentif aux outils et à leurs usages, que pouvez vous nous dire sur cette transformation digitale partielle et sur ses leviers économiques ? Pensez vous que le Covid-19 va avoir un effet déclencheur sur la nécessité de ces outils afin de soutenir le développement commercial ?
Je dirais que notre pays a énormément de retard concernant la transformation digitale. La raison est peut être que notre culture latine privilégie le contact physique et le recours au digital n’était donc pas considéré comme un véritable vecteur relationnel. Cela peut expliquer la raison pour laquelle nous avons pris du retard en matière d’évolutions technologiques, mais pas seulement.
En France, on a tendance à opposer les choses, les visions et les usages. Le digital est vu comme opposé et donc différent de l’approche commerciale en physique, alors que l’un et l’autre fonctionnent de concert aujourd’hui. Oui, on a un retard dans la conception d’outils propres à nos usages courant mais est ce réellement un problème de souveraineté ? Faire de Amazon un sujet politique c’est oublier qu’il s’agit seulement d’un outil. L’outil en lui même s’est simplement penché sur les usages digital-physique et à apporter une réponse à ceci, qui plus est une bonne réponse.
Par ailleurs, le sujet de la transformation digitale est dévoyé, vous allez y mettre autant les concepts d’organisation de l’Industrie 4.0 que le marketing digital. Cette opposition constante pourrait se traduire par le fait que humain et technologie n’avancent pas de concert, c’est même pire lorsque l’on imagine que le robot qui doit remplacer l’humain ferait moins bien le travail. C’est pourtant faux ! Il y a ce qui relève de l’humain et ce qui relève de la machine. La machine n’est qu’un outil qui aide l’humain.
L’outil digital peut sérieusement contribuer à rendre l’activité humaine plus fluide, on le voit même dans l’univers du marketing, de la prospection et de la vente. Je crois que le problème vient du fait que l’on n’a pas, collectivement, pris réellement la mesure du taux de pénétration du digital dans les activités quotidiennes et, de fait, des parcours utilisateurs, clients et collaboratifs sur ces questions.
- En ce sens, la crise du Covid 19 a amené aux entreprises la conscience d’une dépendance vis-à-vis de leur force de vente physique et des outils mobilisés à cette fin. C’est un révélateur.
Aujourd’hui, si ma seule force de vente est fondée sur l’échange physique, je ne peux pas garantir mes transactions et je me retrouve en danger économiquement parlant. Si je suis restaurateur et que mon modèle repose sur l’accueil de mes clients pour leur repas, je suis en danger. Si par contre, j’ai intégré un système de prise en charge par Uber Eats, je peux continuer d’écouler ma marchandise et d’exister économiquement. Cela ne remplacera jamais l’expérience dans le restaurant, c’est certain. Mais en même temps, cela permet à l’entreprise de continuer de travailler en disposant d’un canal d’écoulement des produits particuliers. Une approche mono-canal est extrêmement préjudiciable dans un univers concurrentiel comme le nôtre. Je crois que les dirigeants d’entreprise en ont maintenant une certaine idée, avec le confinement et le Covid-19.
- Ensuite, dans la transformation digitale on a aussi la réflexion sur le mode de management. Là, il y a deux univers très distincts : Paris et la Province.
A Paris, les gens ont découvert le bénéfice du télétravail, ce dernier a cependant soulevé la question de la productivité et plus seulement celui des outils. Le télétravail induit la confiance, les processus et la capacité pour l’employeur à suivre la qualité de la production. Le pur télétravail me semble difficile à adopter, cependant, pour piloter les équipes et un panaché entre présentiel et télétravail est un bon moyen de garantir la productivité et la qualité des relations professionnelles.
En Province, le télétravail a permis de maintenir à flot des entreprises mais pas totalement non plus. La manière de collaborer est différente, car il y a l’humain et la culture latine qui joue beaucoup dans la qualité définitive. Le télétravail est un révélateur car les employeurs ont pris conscience qu’ils devaient certainement être attentifs à la qualité des productions et donc des processus internes, les employés ont aussi pris conscience que la qualité des relations physiques stimule finalement leur propre productivité. Tout cela me semble en évolution, à l’heure actuelle, et ce que l’on peut qualifier de transformation digitale ne va pas s’accélérer mais plutôt infuser progressivement et transformer petit à petit les mentalités.
Le positionnement des PME et ETI, qui sont vos clients aujourd’hui, est étroitement lié à leur marché domestique (Région ou France). L’ouverture sur le monde est difficile, notamment à cause des langues et réglementations, sans parler des différences culturelles. Pensez vous que le marketing digital peut aplanir ces difficultés et peut être démocratisé par cette approche
En fait, c’est les plateformes et leur implantation dans d’autres pays qui ouvrent ces marchés. Quand j’interviens auprès d’un client industriel qui veut accéder à l’Allemagne, je vais optimiser les transactions en employant eBay, concrètement. Donc le moyen utilisé pour promouvoir l’activité B-to-B est assumé par la boutique marchande sur cette plateforme car cette dernière est plus utilisée en Allemagne que d’autres, l’ensemble étant nativement en allemand ce qui élimine la barrière de la langue pour la prospection. C’est grâce à la « plate-formisation » des échanges que les PME et ETI françaises peuvent accéder à des coûts modérés à un marché domestique plus large. C’est ainsi que l’on peut solliciter des clients étrangers et être sollicité également par l’étranger.
Il faut aussi voir que le recours à LinkedIn soutient également ce développement, la solution proposée par Microsoft offre un bouquet de fonctionnalités à son usager. Cela change le paradigme du développement commercial et met en exergue une autre démarche commerciale. Concrètement, on ne peut pas constituer une équipe de développement commercial physique, habitué au relationnel, et les former simplement à utiliser LinkedIn. Oui les frontières s’abaissent, les barrières s’amenuisent grâce au soutien des technologies, toutefois l’usage de ces technologies et la manière d’exploiter les informations qu’elles renvoient n’empêche pas la spécialisation. Seulement, elles amoindrissent les frais liés au déplacement, elles optimisent l’effet de levier, parce que le développement d’affaires soutenu par le digital est bien mené. La démocratisation n’est donc pas à confondre avec le fait que tout le monde peut le faire en se créant un compte, il y a un commercial physique et un « social seller », l’un et l’autre exploitent des canaux commerciaux différents et complémentaires.
Les tensions entre USA, Europe et Chine donnent une allure de « guerre froid 2.0 » au « monde d’après ». Sentez vous qu’il y a un changement dans la raison d’être de l’entreprise et le rôle de l’entrepreneur ? Faut il encore entreprendre et pourquoi ?
- En fait, je crois que dans les PME françaises, il y a assez peu de personnes qui visualisent et perçoivent réellement les enjeux de cette guerre froide entre USA, Europe et Chine.
Cela explique certainement pourquoi les éditeurs de solutions technologiques ne sont pas Français, leur caractère offensif est propre à une autre perception des affaires. L’un des exemples les plus marquant et l’ancienne concurrence entre Viadeo et LinkedIn. LinkedIn est aujourd’hui le leader des réseaux sociaux professionnels alors que Viadeo a pratiquement disparu. Le rapport de force n’a sans doute pas été compris, et les entreprises françaises ont cherché à développer les meilleurs produits quand les Américains ou les Chinois ont cherché à développer l’intermédiation technologique, donc à nous rendre dépendant de leurs technologies par l’usage qu’elles proposaient. Ce fut assez indolore et la réalité est que aujourd’hui, tout notre quotidien est intermédié par des entreprises américaines.
Je pense que le rôle de l’entrepreneur et de l’entreprise va évoluer, surtout en raison des distinctions entre la génération X et la génération Y. L’émergence des nouveaux modèles et la prise de conscience de l’enjeu du local est poussé par ce changement de paradigme. L’individualisation de l’entreprise, phénomène qui se consolide, est peut être une chance dans cette évolution et cette prise de conscience des grandes mouvances se jouant à l’échelle planétaire. On voit notamment apparaître la logique “d’entreprises à mission”, ce qui signifie que l’impact social et environnemental détermine l’adhésion au projet par l’individu.
- La quête de sens touche le monde de l’entreprise.
Par ailleurs, les apparences, les « pipeaux » et le « vent » que certaines sociétés véhiculaient dans leur communication est soumis à un sens critique plus rude par ces générations nouvelles. Ce qui signifie qu’entreprendre est toujours fondamental mais que cela doit reposer sur une démarche sincère et pragmatique car l’entreprise a une mission sociétale avérée. Et les PME devront se mettre à niveau sur cette question, le risque étant, sinon, de ne plus être capable d’embaucher et de voir les modèles économiques s’éroder par la même. L’existence des grands courants américains, chinois et européens sont influencée par les cultures de chacun de ces groupes et les préoccupations de chacun de ces groupes.
Quels enseignements l’univers digital et innovation, des start-ups, peuvent venir enrichir l’approche traditionnelle des entrepreneurs français, selon vous ?
La PME est gage de stabilité. Si elle peut apporter à l’univers de la Start-up, la réciprocité est aussi vrai mais sous certaines conditions. L’ADN de la start-up repose sur le droit à l’erreur. Si on reprend un concept américain, pour le coup, il s’agit du fameux « Test, Learn & Go » qui peut nourrir l’innovation dans les offres et débouchés commerciaux. La Start-up peut faire peur aux PME, mais je crois qu’elles auraient tout à gagner à savoir s’en nourrir pour continuer à développer son approche concurrentielle sur le marché. Il n’est pas nécessaire, pour cela, d’intégrer le management au sein même de la stabilité qu’a su trouver la PME, mais plutôt de créer un service ou une société à côté qui permet d’éprouver le modèle et l’innovation afin de défricher de nouveaux relais de croissance.
Cette approche peut autant servir à élargir le marché domestique qu’à élaborer de nouveaux produits/services avec la conscience fine qu’il peut être parfois nécessaire de renoncer. La PME est moins résiliente car elle est soumise à des contraintes culturelles fortes, surtout en ce qui a trait à l’échec. Un échec, un renoncement, c’est subir les incidences sur la notation à la Banque de France, c’est voir l’EBITDA prendre le risque de se détériorer et donc voir la confiance du banquier s’amoindrir. En ce sens, le modèle américain qui a inspiré la vague de Start-up dans l’hexagone amène un rapport différent à l’échec. Un échec n’est pas une malédiction c’est un apprentissage et une réussite est le fruit d’un apprentissage progressif dans un univers hautement compétitif.
Par ailleurs, l’une des autres raisons pour les PME de s’intéresser à la gestion pratiquée par les Start-ups et de créer des dispositifs pouvant gérer ce développement, c’est tout simplement la réalité de notre tissu économique. Concrètement, les soutiens à l’innovation, et notamment le CIR, impliquent une mobilisation bureaucratique lourde et coûteuse, ce qui explique que les plus gros bénéficiaires de ces apports sont les Grandes entreprises. Ces mêmes grandes entreprises sont alimentées par le réseau de PME. Quand on parle de Airbus, en ce moment, on n’évoque peu le fait que Airbus est un assembleur et que la production est confiée à des PME. Que se passe-t-il quand une Grande entreprise connaît des aléas ? Si la PME n’a pas su développer ce contrôle du risque spécifique, en adoptant notamment une approche « start-up » en parallèle de ses activités stables, elle se retrouve mécaniquement impactée.
La PME doit prendre des risques maîtrisés en s’inspirant de la culture Start-up, des organisations projets digitalisées. Les maîtres mots de l’univers Start-up qui peut garantir la pérennité de la PME dans un univers compétitif sont la
- Coopération (i.e. alliance au sein de l’entreprise, alliance entre entreprises),
- le Discernement (i.e. influences extérieure, poids du juridique)
- et la Solidarité (i.e. modèle durable, tourné vers le vivant et le sens).