Gouvernance

Ecole du discernement. "Se connaitre, s’entourer, durer dans la difficulté." Entretien avec François Bert.


Jacqueline Sala
Mardi 1 Octobre 2024


L'école du Discernement ? Les termes nous intriguaient. Quels sont les concepts porteurs de cette initiative ? Qu'a-t-elle de spécifique par rapport à toutes les offres actuellement disponibles ? A qui s'adresse-t-elle ? Nous avons pensé que le mieux serait de directement poser ces questions et quelques autres à son fondateur, son inventeur : François Bert, qui nous a fait le plaisir de nous répondre. Toute une histoire de vie !



La mission de l’Ecole du Discernement est de « former les décideurs publics et privés à la prise de décision ».

A contre-courant du management actuel par consensus, alors que les crises se démultiplient,
un besoin de chefs et de décideurs s’impose comme la toute première nécessité des gouvernances publiques et privées.
Elle procède en trois étapes : se connaitre, s’entourer, durer dans la difficulté.

Saint-Cyrien, ancien officier parachutiste à la Légion étrangère, et fondateur en 2011 d'Edelweiss RH, François Bert accompagne et forme les dirigeants à la prise de décision sur les sujets humains et stratégiques.

Fort de cette expérience unique et éprouvée, il a fondé en 2019 l'École du Discernement au profit des décideurs publics et privés.

Conférencier et chroniqueur dans de nombreux médias, il est l’auteur de l’essai "Le temps des chefs est venu "(2016) et des romans "Cote 418 " (2018) et "Les feux de Notre-Dame" (2021).

Il publie en septembre 2023 "Le discernement : à l'usage de ceux qui croient qu'être intelligent suffit pour décider ", aux éditions Artège.

Comment les expériences dans votre carrière militaire et civile ont-elles influencé votre approche du discernement et de la prise de décision ?

C’est terrible à dire mais j’ai commencé à apprendre le discernement par l’absurde.
J’ai connu, Dieu merci, des chefs remarquables dans l’Armée mais l’un de mes premiers capitaines en régiment était l’anti-discernant par excellence : rigide obsessionnel sur des points de détail, négligent voire fuyant sur les sujets graves, aveugle sur la trame invisible, humaine et contextuelle, de la vie de l’unité. J’ai été par conséquent plongé très vite dans un tiraillement : obéir aux ordres inconséquents que l’on me donnait, pour sauvegarder la dynamique collective, et écouter ma propre clairvoyance sur la part d’autonomie qui me revenait et les rares occasions ou cas critique où je pouvais/devais exprimer ma contradiction.
Par la suite, j’ai dû poser, notamment à titre personnel, des choix lourds de conséquences et qui ne faisaient pas partie d’un programme de vie que l’on m’avait présenté et que je m’étais figuré : il a fallu alors puiser dans le silence de mon intériorité le discernement nécessaire à prendre, éprouver et tenir mes décisions.
 

Pourquoi le choix de ce terme « discernement » ? Que recouvre-t-il de spécifique qui vous a fait le choisir ?

C’est pour le coup un officier inspirant qui me l’a suggéré, après nous avoir posé à tous cette question : « D’après vous, qu’est-ce qui fait l’officier ? » (Le discernement !)
Il y eut une profonde lumière en moi à l’évocation de ce mot : depuis longtemps je pressentais que, derrière les qualités techniques que le système scolaire nous avait enseignées, il y avait une qualité plus profonde (et si peu valorisée !), capable d’introduire toute cette connaissance dans la relativité des situations pour estimer sans cesse ce qui est juste et prioritaire.
Le discernement est pour moi le sommet de l’intelligence : assembler entre eux (inter-legere) pas seulement les idées (synthèse) ou les gens (consensus) mais aussi les contextes. Ne pas dire seulement ce qui est bon « en soi » mais ce qui est bon « maintenant, pour moi » (mon contexte).
Il ne repose pas sur le raisonnement ou la certitude mais, suivant ma définition, sur « l’écoute accumulée jusqu’à l’évidence » et il a pour finalité de « donner aux choses la portée qu’elles méritent » (« ça c’est grave/ ça ce n’est pas grave »). Nous savons tous, dans la vie des entreprises et la vie de l’Etat, combien cette qualité manque et ne fait pas par conséquent le tri que nous attendons pour que l’effort de tous soit consacré à l’essentiel.
 

Pouvez-vous nous expliquer la mission et les objectifs de l’École du Discernement ?

La mission de l’Ecole du Discernement est de « former les décideurs publics et privés à la prise de décision ».
A cet effet elle investit trois champs majeurs et souvent négligés dans l’approche de la décision : le rapport entre la personnalité et la décision (il y a des décideurs plus naturels que d’autres) ; la répartition du rôle de la décision dans l’équipe (articuler les personnalités plutôt que les compétences) ; les mécanismes intérieurs de la prise de décision (sentir intérieurement ce qui est juste et prioritaire).

Comment l’École du Discernement aide-t-elle les décideurs à améliorer leurs compétences en matière de prise de décision ?

Par sa pédagogie d’abord : il n’y a aucun support numérique ; tout est fait pour plonger l’auditeur dans l’ « ici et maintenant » et son intériorité ; les journées sont très rythmées, enchainant « mises en situation », partages d’expériences, schémas et formules « réflexes » pour aider la mémoire.
Par la variété de ses intervenants ensuite : le général Hervé Gomart, ancien major général de l’Armée de terre et Guilhem de Gevigney, thérapeute et coach en prise de parole, sont venus renforcer l’équipe pour enrichir le cycle de formation.
Par le travail de répétition encore : tous les six mois (notre cycle comporte trois sessions de deux jours réparties sur un an), une journée entière est consacrée à la reprise des cas individuels avec échange de pratique collectif et rappel des schémas appris au départ.
Par la qualité du groupe constitué surtout : l’effort est fait pour constituer des petits effectifs d’origine variée, ce qui permet, outre une attention individuelle à chacun, une très riche dynamique de groupe, nourrie par des expériences multiples et une puissante convivialité.
 

Quels sont les défis actuels auxquels l’École du Discernement est confrontée et comment les abordez-vous ?

Sur le fond il y a deux problèmes spécifiques que nous avons cherché à aborder : la multiplication des parties prenantes du décideur, dans un monde de plus en plus complexe et la réappropriation d’une communication ajustée dans un monde qui en est saturé.
C’est le sens du recrutement de nos deux intervenants, Hervé Gomart traitant de la décision dans la complexité (humaine, notamment avec sa longue expérience de la Légion étrangère, et institutionnelle) et Guilhem de Gevigney de l’articulation entre la vie intérieure et la prise de parole.

Comment voyez-vous l’évolution des besoins en matière de discernement et de leadership dans les années à venir ?

Les drames que nous vivons, en politique intérieure comme à l’international, mettent en lumière quotidiennement l’absence de conscience des priorités.
Ils trahissent la dispersion de l’Etat sur des sujets dérisoires (mais qui ont l’avantage de donner l’impression d’être traités par médias interposés) et sa grande difficulté à entrer dans une stratégie de long terme. C’est peu dire si le besoin d’accompagnement des décideurs au discernement est grand.
Mon souci a été pendant très longtemps d’aider au recrutement de discernants naturels aux postes clés et de construire des équipes complémentaires en favorisant l’équilibre des personnalités (et la présence de décideurs) dans les comités de direction. Il le demeure. Ainsi d’ailleurs que le besoin de construire des subsidiarités authentiques pour que chaque échelon prenne la pleine place de la décision qui lui revient.

Néanmoins, parce qu’il faut faire avec le monde tel qu’il l’est, j’ai développé, outre l’Ecole du Discernement, une pratique du « conseil en discernement », qui vise à adjoindre aux décideurs, déjà pourvus de conseils techniques et en communication, la présence de quelqu’un capable de les aider à prendre du recul et à décider, loin du brouhaha médiatique, en écoutant les évidences prioritaires de la réalité.

François Bert, merci d'avoir répondu à nos questions