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Ecosystèmes d’Innovation : Potentiel et Limites de la Métaphore Ecologique. Marcos Lima et Eric Seulliet


Marcos Lima et Eric Seulliet





Près de 25 ans se sont écoulés depuis la publication de l'article fondateur de James Moore intitulé « Predators and Prey: a new ecology of competition ».

Depuis, « Ecosystèmes d’Innovation » est devenu une expression courante parmi les entreprises, les décideurs et les universitaires. Elle s'est étendue au-delà de la métaphore biologique originale prévue par Moore pour englober toutes les parties prenantes qui produisent ou consomment des produits et services innovants, créant un réseau évolutif de ressources humaines, informationnelles, financières et matérielles.
En tant que tel, le terme peut désigner les « agglomérations » d'Alfred Marshall ou les « clusters » de Michael Porter. La nature évolutive de la métaphore emprunte fortement aux systèmes d'innovation nationaux d’innovation, tout en mettant l'accent sur la dynamique des « marchés de connaissance » et le « capital social » des réseaux d’innovation modernes.
 

Plusieurs autres caractéristiques différencient les « écosystèmes d'innovation »...

... des dénominations alternatives telles que les parcs technologiques, les systèmes régionaux d'innovation et les pôles d'innovation :
  • la numérisation comme moyen de briser les barrières temporelles et spatiales à la collaboration;
  • l'innovation ouverte (emprunts, licences, open-sourcing, crowdsourcing);
  • les interactions systémiques entre les parties prenantes à la fois du « côté production » et du côté « utilisation » de l'innovation ;
  • le phénomène nouveau des interactions grandissantes entre entreprises et startups ;
  • l’émergence d’une économie de « plateformisation » permettant à de puissants acteurs de s’accaparer la majeure part de la valeur ajoutée créée par les usagers.

Certains académiques critiquent l’utilisation du terme « Ecosystème » quand le mot plus simple « Système » semblait décrire le même phénomène depuis le début des années 80.

 Cette critique ignore certaines forces de la « métaphore écologique » :
  • La complexité des connaissances (techniques et de marché) nécessaires à l’innovation impose une interdépendance croissante parmi les innovateurs. Par conséquent, les entreprises innovantes ont d'énormes incitations à créer des réseaux et d’utiliser les plateformes numériques pour étendre leur capacité d’apprentissage au-delà des systèmes locaux ou nationaux d’innovation. D'un point de vue macro, les trois dernières décennies ont façonné le paysage concurrentiel et les conditions environnementales de plus en plus basées sur des principes de collaboration et d’ouverture au-delà des frontières géographiques (open innovation).
  • La notion d’ « évolution et adaptation », est ici poussée à son extrême. Les « organismes » (entreprises, centres de recherche, agents publics) doivent accompagner les « mutations » numériques de la société et s’adapter aux nouveaux « habitats » concurrentiels, sous peine de disparaître. Nouvelles formes de création et distribution de la valeur présentent à la fois une opportunité pour innover et une menace pour ceux qui seront incapables d’évoluer.
  • Les notions de « symbiose » et « parasitisme » sont des métaphores biologiques très utiles pour illustrer certains comportements vertueux des acteurs qui se solidarisent pour innover où au contraire posent des barrières (souvent liées à leur condition de monopole) à la créativité systémique des start-ups et de nouveaux entrants.

Un exemple emblématique du pouvoir de la métaphore écologique pour décrire les systèmes d’innovation 2.0 est celui des chaines de valeurs établies à l’aide de la blockchain.

Grâce à cette technologie on peut voir se concrétiser de nouveaux écosystèmes au fonctionnement autonome, sans unité de contrôle centrale et avec des mécanismes novateurs de création, distribution et capture de la valeur. Ces écosystèmes basés sur la blockchain sont la promesse d’un paradigme d’innovation plus éthique et « scalable » car basés sur la confiance, le collaboratif, les échanges en « peer to peer » et un « fair return on trusted sharing », à l’instar du projet de plusieurs projets très novateurs : un premier exemple est celui de TRUSTinFACT piloté par Patrick Duvaut.  
Ce projet mené en partenariat avec l’Institut Mines Télécom et la Fabrique du Futur consiste à proposer une plateforme d’open innovation et de co-création de nouvelle génération totalement novatrice grâce à la blockchain. Celle-ci apporterait une fonction « nudge », permettant aux divers acteurs d’un écosystème élargi (académique, étudiants, entreprises, startups, institutions, etc.) de maîtriser leurs données personnelles, de se voir correctement attribuer leurs contributions et, ce faisant, d’être reconnus voire rétribuer de façon juste et équitable. Un autre exemple intéressant est celui de la startup WESPR qui est à la fois une maison d’édition et une librairie décentralisées permettant de miser sur un écosystème d’auteurs et de lecteurs, les auteurs se voyant reverser une rémunération incitative constituée des avances liées au volume d’extraits lus par les lecteurs.

Là encore, l’analogie avec la nature semble pertinente

Dans un texte notable le Datascientist Jean-Pierre Malle compare le principe d’open innovation et de coopétition au cœur de la blockchain à ce qui peut s’observer dans la nature où des espèces différentes cohabitent en symbiose au sein de biotopes. Selon lui, cette technologie est un exemple de nouvelles possibilités de coopération ouvertes par les systèmes d’innovation nouvelle génération : « Elle établit un socle commun où les données sont mises en commun et partagées, puis, à un autre niveau, chacun peut les exploiter de façon spécifique à son propre avantage ».

La métaphore écologique n’est pas sans défauts, évidemment.

 Parmi ses limites, les critiques citent souvent la polysémie de l'expression « Ecosystème » et l’effet de mimétisme de mode lié au phénomène. En effet, l’utilisation indiscriminée du terme déprécie sa valeur (si tout est un écosystème, rien ne l’est vraiment).
Un autre danger consisterait à comprendre trop littéralement la métaphore. Les différences entre le monde biologique et économique sont beaucoup plus nombreuses que les similitudes. Quand deux entreprises fusionnent, leur culture organisationnelle (leur ADN) est profondément transformée par l’opération. Un lion qui mange une antilope demeure un félin.
 

Si utilisée avec précaution et en connaissant ses limites, la métaphore pour désigner les « systèmes d’innovation 2.0 » en tant qu’« écosystèmes » semble donc pertinente.

Après tout, ces emprunts du domaine biologique étaient à l’origine même de la notion néo-schumpetérienne de « systèmes nationaux d’innovation ». Effectivement, Richard Nelson et Sydney Winter, deux fondateurs de cette pensée, ont avoué dans leur fameux ouvrage  (« La théorie évolutionniste du changement économique ») avoir emprunté plusieurs idées à la biologie, exerçant ainsi le droit de récupérer une dette « à laquelle les économistes sont attachés pour toujours en vertu du stimulus que notre précurseur Malthus offrit à la pensée de Darwin ».

Ces écosystèmes d'innovation reposent donc sur des principes encore plus poussés de collaboration intégrée, de valeur partagée co-créée dans des environnements réels et virtuels, de technologies partagés et d'adoption extraordinairement rapide. Ils capturent également les caractéristiques élémentaires de la transformation constante des réseaux : le réalignement continuel des relations synergiques des personnes, des connaissances et des ressources pour la co-création de valeur incrémentielle et transformationnelle.
 

C’est dans cet esprit que nous avons lancé la troisième édition du séminaire « Innovation Ecosystems Agora ».

 Fruit d’un partenariat entre le Réseau de Recherche en Innovation, le Pôle Universitaire Léonard de Vinci, la Fabrique du Futur et France Living Labs, cet événement a pour vocation de rassembler les acteurs de l’écosystème français pour partager des nombreux témoignages et cas concrets afin de décrypter ce phénomène.  C’est dans cet esprit que nous avons lancé la Journée INNOVATION 2018 / troisième édition du séminaire « Innovation Ecosystems Agora ».