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Entretien avec Damien Douani : Les nouveaux territoires de la voix, Clubhouse annonce-t-il de nouvelles tendances ?


David Commarmond
Lundi 12 Avril 2021


Interview de Damien Douani, personnalité inclassable : expert tech, entrepreneur, enseignant, auteur podcasteur, tendanceur, animateur / conférencier, et Geek assumé. Il officie depuis trois ans, toutes les semaines dans le podcast des « Eclaireurs du numérique » et « Silicon Carne». L’épisode 76 vient de sortir. Parmi ces dernières interventions, il a publié deux tribunes dans le guide des tendances 2021 de Digimind, ainsi que dans le livre « Web 2.0, 15 ans déjà et après ? » .



DC : Prenons un peu de hauteur, les podcasts prennent leur essor, favorisé par le développement du replay des émissions radios. Clubhouse, nouveau mode de consommation de l’audio, que l’on peut assimiler à des émissions éphémères podcast ou conférences. Cette technologie, cet usage s’est diffusé auprès des autres acteurs, Linkedin, Facebook, développe leur propre version. Que peut-on en dire ?

DD. Historiquement, le podcast est arrivé il y a 15 ans, mais la vidéo a dominé le marché. Il a fallu attendre un certain nombres d’années pour que le podcast prenne sa revanche et que le support soit redécouvert. Radio France, avec la mise en replay de ses émissions, a été un grand pourvoyeur de contenus et a popularisé le phénomène. Aujourd’hui, l’offre s’est diversifiée, elle est encore en train de se structurer avec des offres « natives » de podcasts (des contenus conçus uniquement pour le numérique), et maintenant les formats éphémères.

Pourquoi maintenant ?
Voici mon interprétation : Premier élément, l’audio est plus volatile, plus flexible, et plus simple à produire. Deuxième élément, la généralisation du smartphone a été essentiel pour donner accès à une grande bibliothèque de contenus. Dernier élément, nous sommes à saturation du temps d’attention. L’attention est au coeur de la bataille de Tous les acteurs. Ce qui est intéressant avec l’audio, c’est qu’il est moins « consommateur » que la vidéo. La vidéo est faite pour être regardée, le regard est convoqué, idem pour l’écrit, alors que l’audio peut-être écouté partout, même en faisant ses courses ! Et pour les jeunes générations, le multitâche est une seconde nature, même si notre cerveau n’est pas fait pour cela… L’écoute de la radio a toujours été un compagnon de vie ; l’alignement de la démocratisation des smartphones, de l’explosion du nombre de contenus disponibles à la demande et d’un temps d’attention restreint concourt au succès de l’audio aujourd’hui.

DC : Verra-t-on émerger de nouveaux talents ?

DD : La vidéo a fait émerger de nouveaux talents, les blogs aussi. L’audio fera émerger de nouvelles personnalités et talents. Par contre delà envisager un mercato et des greffes entre les supports, il est encore trop tôt pour se prononcer. Le côté « intuitu personnae » du format fait que l’énergie ou la dynamique de groupe d’un podcast est particulière. Le contenu est lié à son auteur, il est très difficile d’imaginer une autre voix, une autre personnalité dans le rôle de narrateur que celui initialement connu.

DC : Clubhouse est une plateforme émergente, pourrait-elle être un feu de paille, une fois la pandémie terminée ?

DD : Il est vrai que son succès est notamment dû a des circonstances conjoncturelles très particulières : c’était le moment, l’instant T, l’alignement des planètes rarement atteint pour une entreprise. L’offre est aussi très bien marketée, et l’expérience utilisateur optimale. La fin de la pandémie et des confinements en sonnera peut-être le glas, mais pour le moment, elle est en plein développement. En ce moment, la plateforme continue d’évoluer, elle teste des modalités de monétisation. Tous les conférenciers attendent, pour ne pas dire piaffent d’impatience pour pouvoir mettre en place des offres de services comme des « masterclass privatives » payantes. Le modèle économique est toujours délicat toutefois. La logique financière demeure le point d’achoppement, et plusieurs options sont possibles pour rémunérer les créateurs : droits d’auteurs sur les contenus, contrats globaux de type Netflix, économie de la passion (dons fait par les fans), monétisation privative, sponsoring publicitaire… Sans oublier la rémunération de la plateforme elle-même ! Les modèles diffèrent, et ces sources de revenus demeurent souvent faibles dans les phases amont de développement de l’audience.

DC : quels sont les dangers, génère-t-il/elle une nouvelle bulle de filtre informationnelle ?

DD : Difficiles à voir de véritables dangers, c’est beaucoup trop tôt, mais concernant la Social Audio comme ClubHouse il y a de fortes chances que cela maintienne ou accroisse une bulle de filtre. Les algorithmes proposent des rooms, une première filtration basée notamment par des thématiques demandées à l’inscription. Et plus il y aura de monde, notamment avec l’arrivée des utilisateurs d’Android, plus il faudra filtrer pour garder une « lisibilité » aux discussions.

Comment contrer ces effets de bulles ? En suivant notamment des gens pertinents et les producteurs de contenus qualitatifs - car tous les contenus ne sont pas intéressants – et les habitudes feront le reste, il y aura une logique humaine qui s’installera et qui fera le ménage.

DC : Comment les marques peuvent investir dans ces nouveaux supports ?

DD : Pour les marques l’audio n’est pas un univers classique, c’est difficile, mais elles apprendront, car elles ont toujours été capables d’appréhender de nouveaux territoires. Elles l’ont fait pour la vidéo, pour les blogs, elles arriveront pour l’audio. Mais pour le moment, il y a encore peu de podcasts de marques, et quasiment aucune présence sur les plateformes audio sociales. La question se pose de savoir : Comment arriver à communiquer dans l’esprit de ces plateformes, en respecter les codes tout en ayant un message de marque pertinent ?

DC : Google est-il le numéro 1 dans l’indexation des contenus audio ?

DD : La « découvrabilité » et l’indexation des contenus audio sont des sujets cruciaux, et pour le moment il n’y a pas d’acteurs qui ait véritablement émergé. Le sujet est déjà difficile avec les podcasts enregistrés, il est très complexe avec la Social Audio où on ne sait pas ce qui va se dire ! Google n’est pas le meilleur (mais nul doute qu’il veuille l’être), on ne peut pas dire d’ailleurs qu’il y ait un acteur qui se distingue et tire son épingle du jeu. C’est un véritable enjeu à venir qui pourra faire la différence dans l’écosystème. Google a les moyens de développer des outils et d’imposer ses normes. Parallèlement, il y a un acteur historique des podcasts comme Apple qui semble vouloir proposer une sélection qualitative de certains contenus. Et Spotify aussi se positionne fortement. La compétition suit son cours.
 

DC : En se projetant un peu, quels risques représentent les deepfakes audio ?

DD : Bonne question. C’est un risque réel, comme celui des deepfakes vidéo. Mais à la différence de l’image où on peut détecter un « glitch », si une fausse voix audio est bien faite cela peut devenir extrêmement compliqué de la repérer. Surtout si ce qu’on lui fait dire est diffusé sur des plateformes sociales où, à ce jour, il n’y a aucune modération en temps réel. C’est effectivement quelque chose à surveiller.

DC : Quels enseignements retient-on de la campagne américaine ?

DD : en ligne sur les réseaux sociaux, notamment ClubHouse, elle a été sanglante, compliquée, les échanges ont été très vifs entre les camps de Trump et Biden. A ce jour en France les quelques conversations auxquelles j’ai pu assister sur ClubHouse ont été très respectueuses. Mais 2022 arrive… Et on va certainement voir les politiques investir massivement ces nouveaux endroits (ça a déjà été le cas pour Arnaud Montebourg ou Cedric O notamment). Les politiques sont des « animaux audio » par nature. Toutefois, les politiques ont peur des débordements, des dérapages surtout pour les leaders, car ils ont beaucoup à perdre. Par contre les challengers ayant tout à gagner, ils se jetteront dans l’arène. Comme ils l’ont fait à l’époque des blogs, puis de la vidéo.


DC : Peut-on dire que la magie de la voix est de retour ?

DD : Indéniablement un grand OUI. Mais elle prend une nouvelle forme.
 
DC : Quelles sont à votre avis les éléments essentiels/clés nécessaires pour qu’un projet autour de la voix trouve son auditorat ?
DD :
  • Un sujet fédérateur,
  • Une histoire auditivement riche afin de titiller l’imaginaire de celui qui écoute,
  • Un son immersif,
  • Etre en capacité de créer de la conversation.

Pour une mise en voix :