Intelligence des risques

Éthique, guerre hybride et atteinte à la liberté d’opinion. "JD Vance et Elon Musk, entre inculture et manipulation" Par Pascal Cohet


Jacqueline Sala
Mercredi 5 Mars 2025


La récente diatribe du vice-président états-unien à l’encontre de l’Union européenne, qu’il accuse de ne pas garantir la liberté d’expression, doit être décryptée comme une tentative de récupération de l’éthique qui ne parvient pas à masquer une stratégie de manipulation ciblant les populations, en particulier aux États-unis. Cette stratégie porte atteinte à la liberté d’opinion, garantie - tout comme la liberté d’expression - par la déclaration universelle des droits de l’homme.



Éthique, guerre hybride et atteinte à la liberté d’opinion. "JD Vance et Elon Musk, entre inculture et manipulation" Par Pascal Cohet

Les "droits" humains : un ensemble de valeurs

Trois ans après sa création, l’ONU a adopté la déclaration universelle des droits de l’homme, dont Ioanna Kuçuradi nous rappelle qu’ils sont avant tout un ensemble de principes éthiques.
Parmi eux, l’article 19 garantit la liberté d’opinion et d’expression, ce qui pose deux questions : en quoi la position de JD Vance en matière de liberté d’expression est-elle crédible, et en quoi est-elle liée au problème de la liberté d’opinion ?

Liberté d’expression et d’information, surveillance, et manipulation

L’approche cindynique des conflictualités dans la sphère informationnelle considère trois classes de déficits dynamiques pouvant atteindre les flux informationnels : ouverture (création de flux portant atteinte à la confidentialité), fermeture (blocage de flux portant notamment atteinte à la liberté d’expression) et toxicité (génération de flux captieux, manipulation des perceptions et des opinions).

Ces déficits étant liés, il n’est pas possible de débattre de liberté d’expression sans considérer les opérations de manipulation, qui sont une composante majeure des guerres hybrides. De même, l’efficience de la manipulation est décuplée par le recueil des données personnelles, ce qu’a d’ailleurs remarqué Volker Türk en mettant en garde contre les techno-oligarques qui “savent nous manipuler”.

JD Vance, Elon Musk et Thierry Breton

Lors de son intervention à Munich, JD Vance a repris le discours d’Elon Musk, dont l’absolutisme en matière de liberté d’expression semble symptomatique d’une méconnaissance de l’histoire d’Internet.

Historiquement, après le 11 septembre 2001, une série de directives et projets de loi a mené à des mobilisations sans précédent sur Internet en Europe, et notamment en France, pour défendre la liberté d’expression dans la société de l’information. À cette époque, les cyber-activistes ne revendiquaient pas une liberté d’expression absolue, mais simplement que ce soit l’autorité judiciaire qui détermine si des contenus litigieux sont illicites. Elon musk n’existait pas durant ces débats et à l’époque sa position absolutiste lui aurait immédiatement valu de subir le feu informationnel des cyber-activistes, ne serait-ce que parce que cet absolutisme mène, entre autres, à la diffusion de contenus racistes ou néo-nazis.
Par ailleurs, la diatribe de JD Vance pourrait avoir été commandée par Elon Musk en raison de la directive DSA, à laquelle Thierry Breton lui a fréquemment demandé de se plier.

La liberté d’expression comme prétexte pour porter atteinte à la liberté d’opinion

Comme Vladimir Poutine, Donald Trump ne s’embarrasse pas du réel : sa trajectoire est parsemée de manipulations, et celles-ci ne peuvent qu’être favorisées par la suppression de la modération sur les réseaux sociaux.
Par ailleurs, les propriétaires de certains réseaux étant des alliés ou s’étant rapprochés du Président états-unien ont la maîtrise du paramétrage des algorithmes permettant de promouvoir certains contenus. Le discours du clan trumpien sur la liberté d’expression peut ainsi apparaître in fine comme un prétexte pour désinformer en toute impunité et prendre le pouvoir sur les opinions.

Outre qu’elle tue, comme au Niger, à Téra, la manipulation des perceptions et, partant, des opinions, constitue une atteinte flagrante à la liberté d’opinion. Si certains ont tenté de faire passer le blocage de médias dédiés à la guerre hybride russe pour une atteinte à la liberté d’expression, il devrait être clair pour tout le monde que la liberté d’expression, garantie par l’article 19 de la DUDH, ne peut en aucune manière servir de prétexte pour manipuler les opinions, par exemple pour générer des conflictualités ou de la haine raciale, déstabiliser des démocraties et installer des juntes militaires, puisque cela porte fondamentalement atteinte à la liberté d’opinion, garantie par le même article.

Quelle réponse pratique : corsaires ou défense civile ?

Face à la banalisation de la manipulation, une réponse uniquement institutionnelle n’est pas suffisante : si une éducation des nouvelles générations peut permettre une réduction des ductabilités à terme, des réponses immédiates sont nécessaires.
Des solutions de type corsaire peuvent être efficaces, mais ce type de solutions prêtant le flanc à des critiques imparables il serait sans doute plus indiqué d’explorer des solutions reposant sur une adaptation du concept de défense civile.

A propos de Pascal Cohet

Pascal Cohet est le concepteur des Cindyniques Relativisées, qui permettent une approche transversale, transdisciplinaire, trans-sectorielle, trans-culturelle, trans-domaines des situations complexes, où les problématiques de risque, conflit et développement sont intriquées.
Sa démarche s’appuie sur une diversité de domaines parcourus: architecture réseaux, neurosciences, société de l’information, relations institutionnelles et influence législative. Il considère les réalités opérationnelles comme incontournables lors des démarches de conceptualisation, et l’extension des concepts et modélisations cindyniques qu’il propose repose notamment sur son expérience de l’Afrique de l’Ouest et de la lutte informationnelle.