Santé

Etude de cas. Le poids de l’insuffisance rénale chronique en Afrique : le cas typique du Sénégal

Prochain article "La non-observance thérapeutique : 9,3 milliards d'euros perdus par an"


Jacqueline Sala
Dimanche 2 Février 2025


Avec 5 à 11 millions de personnes qui en décèdent tous les ans, la maladie rénale chronique constitue la 7ème cause de mortalité au monde. En constante progression, elle représentera à l’horizon 2040, la 5ème cause de mortalité à l’échelle de la planète.
En intégrant cette pathologie dans sa Couverture Sanitaire Universelle, le Sénégal devient une référence en matière de santé publique.




L’Afrique supporte une part significative de ce fardeau avec une charge économique réelle difficile à estimer avec précision en raison d’une collecte très parcellaire d’informations fiables et d’études robustes ciblés sur cette pathologie mais qui absorbe, dans de nombreux pays africains une part importante du budget de la santé.
 

Une pathologie stigmatisée

En Afrique de l’Ouest, l'insuffisance rénale, surtout lorsqu’elle est stigmatisée par la fistule artérioveineuse qui pulse au niveau du poignet, est entachée d’une dimension sociologique qui l'assimile de principe à une épreuve divine destinée à éprouver la foi ou à la conséquence probable d’un acte de sorcellerie. L’entrée dans la filière de soin et le suivi du patient en sont ainsi compliqués. 
L’insuffisance rénale n’est donc pas qu’un simple problème médical : c’est un enjeu social, culturel et économique. 
 

L’intégration de cette pathologie dans la Couverture Sanitaire Universelle au Sénégal

Le défi de santé publique que représente, de fait, la maladie rénale chronique est pris à bras-le-corps, au Sénégal.
Grâce à un engagement fort du gouvernement la dialyse est désormais prise en charge dans le cadre de la Couverture Sanitaire Universelle (CSU). 
Avec un minimum de 3 séances par semaine, dans un contexte où une séance coûte environ 15 000 FCFA (23 €), cela représente une charge de plus de 2,3 millions FCFA (3 500 €) par an et par patient, sans compter les médicaments. 
40 % du budget de l’Agence nationale sénégalaise de la CSU sont ainsi consacrés à cette prise en charge, démontrant que la dialyse est une priorité stratégique traduite en actions concrètes (3 centres de dialyse en 2010, 25 en 2023, plus de 40 néphrologues). 
Cependant, pour maximiser l’impact de cet investissement considérable, il devient impératif de renforcer l’efficience économique et organisationnelle du dispositif actuel.
 

Une optimisation nécessaire des ressources pour assurer la pérennité de la stratégie retenue

Le principal défi aujourd’hui n’est plus seulement l’accès financier à la dialyse, mais bien l’optimisation des ressources allouées afin de garantir une prise en charge efficace, équitable et durable.
Cela implique une révision des stratégies de planification et de conduite des opérations associées à la dialyse. En premier lieu, il est essentiel de revoir les modalités d’identification des besoins en machines et en consommables dans les différents centres de dialyse du pays. Une planification plus précise, basée sur des données actualisées et fiables, permettrait de réduire les risques de pénurie ou de sur-approvisionnement, tout en assurant une répartition équitable des équipements sur le territoire national.
Ensuite, la sélection des fournisseurs par appel d’offres doit être réévaluée pour garantir d’une part la transparence et la compétitivité et d’autre part, une meilleure régulation des prix des équipements médicaux et des consommables. Des processus d’appel d’offres rigoureux, associés à des critères clairs et mesurables, favoriseraient l’acquisition de produits de qualité au meilleur coût.
Cette démarche, en renforçant la concurrence, contribuerait également à limiter les risques de dépendance à un fournisseur unique et à garantir une résilience accrue du dispositif.
Un troisième axe critique réside dans la logistique et le stockage des consommables. Une gestion centralisée et optimisée des stocks, intégrant des outils technologiques modernes pour suivre en temps réel les niveaux de consommation et les besoins, permettrait de réduire les pertes et d’assurer une continuité de service, même en cas de perturbations externes.
Le suivi des usages, notamment en termes d’entretien des machines et de gestion des consommables, est également un levier essentiel. Mettre en place des systèmes de traçabilité précis et des audits réguliers garantirait non seulement une utilisation optimale des ressources, mais aussi une meilleure gestion des coûts à long terme.
 

Mais aussi, un accès facilité aux soins

La question de l’accessibilité aux centres de dialyse est fondamentale et doit être explorée dans ses deux dimensions essentielles que sont
1) le repérage et l’inscription des bénéficiaires potentiels et
2) les conditions logistiques pratiques des trajets (du domicile au centre de soins).
Ces deux dimensions déterminent la cinétique de montée en puissance du dispositif. Cette question éminemment stratégique doit être planifiée et pilotée de manière adéquate.

L’intégration d’indicateurs de qualité mesurables pour rechercher en permanence à optimiser l’organisation

Le dispositif gagnerait à inclure des indicateurs de qualité robustes permettant d’évaluer en continu la performance des centres de dialyse. Ces indicateurs devraient couvrir à la fois la qualité des soins délivrés aux patients et l’efficacité des processus organisationnels.
Une telle approche favoriserait une culture d’amélioration continue, où les ajustements nécessaires seraient rapidement identifiés et mis en œuvre.
In fine, il serait primordial de bâtir un système propice à l’agrégation des données médico-administratives, dont l’exploitation complète permettra de renforcer et d’adapter les interventions et les traitements médicaux en fonction des singularités de chaque patient.
 

Le Sénégal : un leader régional dans l’innovation en matière de couverture sanitaire universelle ?

En résumé, si le Sénégal peut déjà se féliciter d’avoir fait de la dialyse une priorité dans sa politique de santé publique, le défi à venir réside dans l’optimisation de son modèle de financement et de gestion.
Repenser la planification, la logistique, la sélection des fournisseurs, le suivi des usages et l’évaluation de la qualité apparaît comme une étape incontournable pour maximiser l’impact de cet investissement. 
Ce changement urgent à impulser devra être complété par des politiques de prévention ciblées pour réduire l’incidence de la pathologie, comme par exemple le dépistage précoce de l’hypertension et du diabète. 
Ces évolutions permettraient non seulement d’améliorer la prise en charge des patients, mais aussi de renforcer la viabilité financière du système à long terme.
L’enjeu dépasse le cadre purement technique : il s’agit de bâtir un modèle de référence en matière de santé publique organisé autour du patient qui en est le maillon essentiel. Ce modèle pourrait inspirer d’autres pays confrontés à des défis similaires.
Avec une telle ambition, le Sénégal pourrait consolider son rôle de leader régional dans l’innovation en matière de couverture sanitaire universelle.
 

Auteur

Momar FAYE
Inspecteur en santé publique
Enseignant à l'Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique
Président Fondateur du Cercle Santé Pour l'Afrique

 

Voir le podcast du 14 décembre 2O24

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