
Contexte et enjeux
En septembre 2024, la banque italienne UniCredit a surpris le monde financier en prenant une participation importante dans Commerzbank, le deuxième plus grand établissement bancaire d'Allemagne .
Profitant d'une fenêtre ouverte par l'État allemand – qui avait décidé de vendre une partie de sa propre participation dans Commerzbank – UniCredit est passée à l'offensive. Elle a d'abord acquis 4,5 % des actions mises en vente par l'État, puis a acheté sur le marché une part équivalente, portant sa participation initiale à environ 9 % du capital .
Cette entrée surprise au capital a fait de la banque italienne un actionnaire de poids du jour au lendemain, ravivant les discussions sur la consolidation bancaire en Europe. L'opération a également déclenché de fortes réactions politiques à Berlin, le gouvernement allemand n'ayant visiblement pas anticipé qu'un acteur étranger puisse ainsi s'inviter au capital de Commerzbank .
Profitant d'une fenêtre ouverte par l'État allemand – qui avait décidé de vendre une partie de sa propre participation dans Commerzbank – UniCredit est passée à l'offensive. Elle a d'abord acquis 4,5 % des actions mises en vente par l'État, puis a acheté sur le marché une part équivalente, portant sa participation initiale à environ 9 % du capital .
Cette entrée surprise au capital a fait de la banque italienne un actionnaire de poids du jour au lendemain, ravivant les discussions sur la consolidation bancaire en Europe. L'opération a également déclenché de fortes réactions politiques à Berlin, le gouvernement allemand n'ayant visiblement pas anticipé qu'un acteur étranger puisse ainsi s'inviter au capital de Commerzbank .
En quelques semaines, UniCredit a continué à accroître sa position de manière discrète. En utilisant des dérivés financiers, la banque italienne a pu porter sa participation potentielle à environ 21 % dès la fin septembre 2024 , puis jusqu'à 28 % en début d'année 2025 (sous réserve d'approbation réglementaire) .
Cette manœuvre d'augmentation de part, réalisée en grande partie de façon indirecte, a pris de court la place financière allemande. D'un point de vue européen, l'initiative de l'italienne UniCredit envers la banque allemande Commerzbank représente un tournant majeur. En effet, un tel rapprochement transfrontalier serait inédit par son ampleur, faisant de Commerzbank la plus grande filiale bancaire étrangère en Allemagne en cas de succès . La bataille engagée est ainsi devenue un test emblématique de la capacité de l'Allemagne à défendre ses actifs stratégiques face à un prétendant étranger, et soulève des questions sur la volonté réelle de Berlin de voir émerger des champions bancaires européens .
Cette manœuvre d'augmentation de part, réalisée en grande partie de façon indirecte, a pris de court la place financière allemande. D'un point de vue européen, l'initiative de l'italienne UniCredit envers la banque allemande Commerzbank représente un tournant majeur. En effet, un tel rapprochement transfrontalier serait inédit par son ampleur, faisant de Commerzbank la plus grande filiale bancaire étrangère en Allemagne en cas de succès . La bataille engagée est ainsi devenue un test emblématique de la capacité de l'Allemagne à défendre ses actifs stratégiques face à un prétendant étranger, et soulève des questions sur la volonté réelle de Berlin de voir émerger des champions bancaires européens .
L'offensive d'UniCredit : stratégie et objectifs
La stratégie d'UniCredit s'apparente à une offensive économique soigneusement préparée. Sous l'impulsion de son PDG Andrea Orcel – un banquier d'affaires aguerri – UniCredit a adopté une approche opportuniste et agressive pour entrer au capital de Commerzbank. Orcel a profité de la mise en vente partielle des parts de l'État allemand début septembre 2024 pour s'inviter au capital de Commerzbank, réalisant ce qu'on peut qualifier de coup de maître en termes de timing . En l'espace de quelques jours, UniCredit est devenue un actionnaire incontournable de Commerzbank, ce qui lui confère une position de force dans toute discussion future sur l'avenir de la banque allemande .
L'objectif d'UniCredit est double. D'une part, l'établissement milanais cherche à étendre sa présence sur le marché allemand, l'un des plus grands d'Europe, afin de diversifier ses activités et d'accroître sa taille critique. D'autre part, UniCredit vise à créer un véritable champion bancaire européen capable de rivaliser avec les géants américains et chinois, en combinant ses actifs avec ceux de Commerzbank . Une fusion ou une coopération renforcée entre UniCredit et Commerzbank pourrait, selon Orcel, générer une valeur ajoutée considérable et donner naissance à un acteur nettement plus fort sur le marché bancaire allemand .
En outre, cette démarche offensive permettrait à UniCredit de mettre la main sur la clientèle de choix de Commerzbank, notamment le Mittelstand (les PME allemandes), réputé pour sa solidité et son potentiel de croissance. Il convient de noter qu'UniCredit n'en est pas à son coup d'essai en Allemagne : dès 2005, la banque italienne avait acquis HypoVereinsbank (HVB) à Munich, ce qui reste l'un des rares exemples de conquête bancaire transfrontalière réussie dans la zone euro . Forte de ce précédent, UniCredit avait déjà manifesté de l'intérêt pour Commerzbank en 2019, lorsque celle-ci discutait d'une fusion domestique avec Deutsche Bank . L'appétit persistant d'UniCredit pour Commerzbank montre une stratégie de long terme visant à consolider sa position en Europe via des acquisitions ciblées.
En outre, cette démarche offensive permettrait à UniCredit de mettre la main sur la clientèle de choix de Commerzbank, notamment le Mittelstand (les PME allemandes), réputé pour sa solidité et son potentiel de croissance. Il convient de noter qu'UniCredit n'en est pas à son coup d'essai en Allemagne : dès 2005, la banque italienne avait acquis HypoVereinsbank (HVB) à Munich, ce qui reste l'un des rares exemples de conquête bancaire transfrontalière réussie dans la zone euro . Forte de ce précédent, UniCredit avait déjà manifesté de l'intérêt pour Commerzbank en 2019, lorsque celle-ci discutait d'une fusion domestique avec Deutsche Bank . L'appétit persistant d'UniCredit pour Commerzbank montre une stratégie de long terme visant à consolider sa position en Europe via des acquisitions ciblées.
Sur le plan tactique, la démarche d'UniCredit s'est caractérisée par la discrétion et la surprise. En accumulant des titres de Commerzbank via des instruments dérivés, UniCredit a pu contourner en partie la visibilité qu'aurait entraînée un rachat d'actions classique . Cette construction progressive d'une position de près de 28 % sans annonce publique préalable a été perçue comme une prise de contrôle rampante. Elle reflète une utilisation astucieuse des outils financiers pour mener une offensive économique tout en limitant les réactions adverses initiales.
C'est seulement une fois la position acquise qu'UniCredit a révélé l'ampleur de sa participation, plaçant Commerzbank et les autorités devant un fait accompli stratégique. Orcel a par ailleurs communiqué de manière mesurée, exprimant son souhait d'un dialogue avec le gouvernement allemand après les élections régionales de février 2025 pour discuter d'un rapprochement . Cette posture publique relativement conciliante contraste avec l'agressivité de l'approche financière, et peut s'analyser comme une tentative d'éviter de braquer l'opinion et les décideurs allemands tout en avançant ses pions.
C'est seulement une fois la position acquise qu'UniCredit a révélé l'ampleur de sa participation, plaçant Commerzbank et les autorités devant un fait accompli stratégique. Orcel a par ailleurs communiqué de manière mesurée, exprimant son souhait d'un dialogue avec le gouvernement allemand après les élections régionales de février 2025 pour discuter d'un rapprochement . Cette posture publique relativement conciliante contraste avec l'agressivité de l'approche financière, et peut s'analyser comme une tentative d'éviter de braquer l'opinion et les décideurs allemands tout en avançant ses pions.
La réaction allemande : défense d'un champion national
Face à l'offensive d'UniCredit, la réaction en Allemagne a été rapide et empreinte de patriotisme économique.
Dès l'annonce de la prise de participation de 9 % en septembre 2024, le gouvernement allemand a fait part de son mécontentement . Olaf Scholz, le chancelier allemand, a même qualifié l'initiative d'UniCredit d'« acte inamical » , soulignant le caractère non sollicité et unilatéral de la démarche italienne. Berlin a clairement laissé entendre que l'aval politique pour une fusion transfrontalière de cette envergure était loin d'être acquis . En d'autres termes, l'Italie ne pouvait pas s'attendre à ce que l'Allemagne accueille favorablement la perte de contrôle d'un de ses principaux établissements bancaires au profit d'un acteur étranger.
Commerzbank elle-même a adopté une attitude de défense vigilante. Le directoire de la banque a officiellement déclaré que l'approche d'UniCredit, consistant à bâtir unilatéralement une part importante du capital sans concertation, était fondamentalement hostile. Tout en affirmant rester ouvert à une discussion sur la base d'une proposition concrète, Commerzbank a insisté sur son devoir de protéger au mieux les intérêts de ses actionnaires et de l'entreprise .
Début 2025, la direction de Commerzbank, sous la houlette de la nouvelle CEO Bettina Orlopp, a élaboré un plan de défense pour décourager davantage l'offensive d'UniCredit. Parmi les mesures envisagées figuraient des réductions d'effectifs (plusieurs milliers de postes supprimés) et de nouveaux objectifs financiers visant à améliorer la rentabilité de la banque . L'idée sous-jacente est claire : rehausser la valeur de Commerzbank et démontrer sa capacité à se transformer seule, afin de rendre une éventuelle acquisition plus coûteuse et moins attrayante pour l'assaillant italien . Cette stratégie défensive s'apparente à un empoisonnement de la pilule (poison pill en termes de fusions-acquisitions), où la cible se rend moins vulnérable ou moins désirable.
Début 2025, la direction de Commerzbank, sous la houlette de la nouvelle CEO Bettina Orlopp, a élaboré un plan de défense pour décourager davantage l'offensive d'UniCredit. Parmi les mesures envisagées figuraient des réductions d'effectifs (plusieurs milliers de postes supprimés) et de nouveaux objectifs financiers visant à améliorer la rentabilité de la banque . L'idée sous-jacente est claire : rehausser la valeur de Commerzbank et démontrer sa capacité à se transformer seule, afin de rendre une éventuelle acquisition plus coûteuse et moins attrayante pour l'assaillant italien . Cette stratégie défensive s'apparente à un empoisonnement de la pilule (poison pill en termes de fusions-acquisitions), où la cible se rend moins vulnérable ou moins désirable.
Le rôle de l'État allemand dans cette riposte est également déterminant. Rappelons que l'État fédéral détient environ 16 % du capital de Commerzbank, héritage du sauvetage de la banque lors de la crise financière de 2008-2009 . Cette participation publique signifie que Berlin possède une minorité de blocage de fait sur les décisions stratégiques majeures. Fin 2024, le ministère des Finances – dirigé par Christian Lindner (FDP), membre de la coalition Scholz – a été critiqué pour sa gestion jugée maladroite de la vente partielle des actions de l'État . Le manque de précautions pour empêcher l'achat en bloc de ces titres a en effet permis à UniCredit d'acquérir à moindre coût une position stratégique de 4,5 % . Conscient de cette erreur, Berlin a depuis durci son discours et exploré les moyens de contrer l'avancée italienne. L'une des armes à disposition des autorités est réglementaire : en zone euro, toute participation bancaire dépassant 10 % est soumise à l'approbation de la Banque centrale européenne (BCE). Or, UniCredit ayant franchi ce seuil symbolique, la BCE doit donner son feu vert pour valider la prise de participation – une décision qui, si elle était négative, obligerait UniCredit à faire marche arrière en démantelant ses positions dérivées . Il s'agit là d'un garde-fou institutionnel que l'Allemagne peut invoquer pour gagner du temps et potentiellement bloquer l'opération sur le terrain réglementaire, illustrant l'importance des normes dans la défense économique.
En somme, la réaction allemande conjugue pression politique, mobilisation réglementaire et actions managériales internes pour faire échec à ce qui est perçu comme une tentative de prise de contrôle étrangère indésirable. Le rapport de force entre l'Italie et l'Allemagne, deux piliers de l'UE, s'est ainsi invité sur la scène publique, chaque camp campant sur ses positions : UniCredit clame les mérites d'un champion européen, tandis que Berlin martèle la nécessité de préserver ses intérêts nationaux.
Analyse stratégique à travers les principes de la guerre économique
Le cas UniCredit-Commerzbank peut être décrypté à l'aune des concepts clés de la guerre économique, tels qu'enseignés à l'École de Guerre Économique de Paris. Cette grille de lecture met en évidence les logiques d'offensive et de défense économiques, le rôle de l'information et des normes, ainsi que les implications géoéconomiques plus larges de ce conflit d'intérêts. Voici les principaux aspects stratégiques à retenir.
Offensive italienne vs. défensive allemande
L'offensive d'UniCredit représente un cas d'attaque économique ciblée. En s'emparant discrètement de parts stratégiques, la banque italienne a lancé une offensive visant à prendre pied sur un marché concurrent en exploitant une opportunité tactique (la vente des parts étatiques).
Ce type d'action s'inscrit pleinement dans la guerre économique offensive, où un acteur cherche à déstabiliser la position d'un rival pour capter une ressource précieuse – ici, le réseau et la clientèle de Commerzbank. Face à cela, la réaction allemande est une guerre économique défensive classique : protéger un champion national contre une prédation étrangère perçue comme menaçante. L'Allemagne mobilise ses ressources (État actionnaire, régulateur, influence politique) pour endiguer l'avancée d'UniCredit.
Ce duel asymétrique illustre le jeu offensif/défensif typique de la guerre économique : l'assaillant choisit le terrain et le timing, tandis que le défenseur tente de colmater la brèche et de reprendre l'initiative.
Ce type d'action s'inscrit pleinement dans la guerre économique offensive, où un acteur cherche à déstabiliser la position d'un rival pour capter une ressource précieuse – ici, le réseau et la clientèle de Commerzbank. Face à cela, la réaction allemande est une guerre économique défensive classique : protéger un champion national contre une prédation étrangère perçue comme menaçante. L'Allemagne mobilise ses ressources (État actionnaire, régulateur, influence politique) pour endiguer l'avancée d'UniCredit.
Ce duel asymétrique illustre le jeu offensif/défensif typique de la guerre économique : l'assaillant choisit le terrain et le timing, tandis que le défenseur tente de colmater la brèche et de reprendre l'initiative.
Patriotisme économique et rôle de l'État
Un concept central ici est celui de patriotisme économique.
L'attitude du gouvernement Scholz montre une volonté de défendre la souveraineté économique de l'Allemagne. Bien que l'Union européenne promeuve officiellement l'ouverture des marchés et les synergies transnationales, chaque État reste soucieux de préserver le contrôle de ses actifs stratégiques. Les grandes banques, en tant que piliers du financement de l'économie nationale, sont souvent considérées comme des pièces maîtresses de la sécurité économique.
En qualifiant l'initiative d'UniCredit d'"hostile" et d'"inamicale", Berlin a adopté un discours de patriotisme économique, légitimant aux yeux du public et des parties prenantes internes la nécessité de faire barrage à l'acheteur étranger . Cette rhétorique vise à souder l'opinion autour de la défense du champion national (Commerzbank) et à délégitimer l'opération de l'assaillant. On observe ainsi l'application du principe selon lequel l'État peut s'ériger en bouclier quand un élément clé de son économie est menacé par une puissance extérieure, fût-elle partenaire au sein de l'UE.
L'attitude du gouvernement Scholz montre une volonté de défendre la souveraineté économique de l'Allemagne. Bien que l'Union européenne promeuve officiellement l'ouverture des marchés et les synergies transnationales, chaque État reste soucieux de préserver le contrôle de ses actifs stratégiques. Les grandes banques, en tant que piliers du financement de l'économie nationale, sont souvent considérées comme des pièces maîtresses de la sécurité économique.
En qualifiant l'initiative d'UniCredit d'"hostile" et d'"inamicale", Berlin a adopté un discours de patriotisme économique, légitimant aux yeux du public et des parties prenantes internes la nécessité de faire barrage à l'acheteur étranger . Cette rhétorique vise à souder l'opinion autour de la défense du champion national (Commerzbank) et à délégitimer l'opération de l'assaillant. On observe ainsi l'application du principe selon lequel l'État peut s'ériger en bouclier quand un élément clé de son économie est menacé par une puissance extérieure, fût-elle partenaire au sein de l'UE.
Ce patriotisme économique s'exprime également par l'utilisation d'outils légaux et réglementaires. L'exigence d'approbation par la BCE au-delà de 10 % de participation, par exemple, offre une arme juridique pour ralentir ou contrer l'offensive . De plus, l'État actionnaire dispose d'un droit de regard direct sur les décisions de Commerzbank et peut influencer les votes en assemblée générale pour bloquer des résolutions favorables à UniCredit.
Il n'est pas exclu non plus que Berlin envisage d'autres mesures de protection du secteur financier, telles que des restrictions réglementaires additionnelles ou le soutien à une contre-offre émanant d'un acteur allemand ou allié, même si aucun concurrent national ne semble en mesure de rivaliser avec la puissance de feu d'UniCredit dans l'immédiat.
Il n'est pas exclu non plus que Berlin envisage d'autres mesures de protection du secteur financier, telles que des restrictions réglementaires additionnelles ou le soutien à une contre-offre émanant d'un acteur allemand ou allié, même si aucun concurrent national ne semble en mesure de rivaliser avec la puissance de feu d'UniCredit dans l'immédiat.
Guerre de l'information et influence médiatique
La bataille ne se joue pas seulement dans les conseils d'administration et les ministères, mais aussi sur le terrain de la guerre de l'information.
En effet, la manière dont l'histoire est présentée dans les médias et perçue par le public influence grandement le rapport de force. Dès le début, Commerzbank et le gouvernement allemand ont qualifié la démarche d'UniCredit de « hostile » et « unilatérale » , des termes forts destinés à discréditer l'initiative italienne et à la peindre comme contraire aux intérêts de l'Allemagne.
Cette communication offensive de la part du camp allemand vise à gagner la bataille de l'opinion : en présentant UniCredit comme un prédateur agressif, Berlin justifie sa posture de défense et peut rallier à sa cause d'autres acteurs (régulateurs, employés, clients de Commerzbank, etc.).
En effet, la manière dont l'histoire est présentée dans les médias et perçue par le public influence grandement le rapport de force. Dès le début, Commerzbank et le gouvernement allemand ont qualifié la démarche d'UniCredit de « hostile » et « unilatérale » , des termes forts destinés à discréditer l'initiative italienne et à la peindre comme contraire aux intérêts de l'Allemagne.
Cette communication offensive de la part du camp allemand vise à gagner la bataille de l'opinion : en présentant UniCredit comme un prédateur agressif, Berlin justifie sa posture de défense et peut rallier à sa cause d'autres acteurs (régulateurs, employés, clients de Commerzbank, etc.).
De son côté, UniCredit a mené une communication plus subtile. Andrea Orcel s'est dit surpris de la réaction vive des Allemands tout en exprimant l'espoir d'un dialogue constructif avec le futur gouvernement issu des élections . Cette approche vise à atténuer l'image négative et à apaiser les craintes, en suggérant qu'UniCredit entend agir en partenaire et non en envahisseur. Il s'agit là d'une tactique de gestion de perception : l'entreprise italienne cherche à éviter une mobilisation générale contre elle en se montrant ouverte et raisonnable dans ses déclarations publiques. Néanmoins, la détermination d'UniCredit transparaît dans ses actes (28 % du capital conquis) plus que dans ses paroles mesurées.
On assiste donc à une véritable confrontation informationnelle : chaque camp diffuse un narratif qui sert sa stratégie – défense de la souveraineté et du tissu économique national pour l'un, promesse d'union bénéfique et de création de valeur pour l'autre. Ce bras de fer médiatique fait partie intégrante de la guerre économique, car il peut influencer les décisions des régulateurs et la volonté des actionnaires. Par exemple, si l'opinion allemande se montre farouchement opposée à une prise de contrôle par UniCredit, la BCE pourrait être plus réticente à donner son accord, et inversement si le narratif du champion européen gagnait les esprits.
On assiste donc à une véritable confrontation informationnelle : chaque camp diffuse un narratif qui sert sa stratégie – défense de la souveraineté et du tissu économique national pour l'un, promesse d'union bénéfique et de création de valeur pour l'autre. Ce bras de fer médiatique fait partie intégrante de la guerre économique, car il peut influencer les décisions des régulateurs et la volonté des actionnaires. Par exemple, si l'opinion allemande se montre farouchement opposée à une prise de contrôle par UniCredit, la BCE pourrait être plus réticente à donner son accord, et inversement si le narratif du champion européen gagnait les esprits.
Normes, règles du jeu et « barrières protectionnistes »
Dans le contexte de ce cas, on observe également l'utilisation des normes et réglementations comme armes économiques. L'Union européenne prône la libre circulation des capitaux et la constitution d'un marché bancaire unifié, mais en pratique les règles du jeu peuvent être invoquées de manière stratégique par les acteurs en place pour protéger leurs intérêts. L'exemple de la règle des 10 % soumis à approbation de la BCE en est une illustration concrète, fonctionnant comme un verrou réglementaire. De même, certaines dispositions du droit allemand ou européen concernant les investissements étrangers dans des actifs stratégiques pourraient être mises en avant pour retarder le rapprochement ou imposer des conditions strictes (par exemple en matière de gouvernance, de maintien de l'emploi, etc.).
Il est révélateur que l'Allemagne soit accusée de ne vouloir l'intégration bancaire européenne qu'"à ses propres conditions" . En effet, Olaf Scholz, lorsqu'il était ministre des Finances, appelait régulièrement à plus d'unions bancaires et financières en Europe, tout en se montrant très réservé dès lors qu'une banque allemande pourrait passer sous pavillon étranger . On pourrait parler d'une forme de double discours : promouvoir l'harmonisation et la consolidation européenne d'un côté, mais se retrancher derrière des barrières protectionnistes de l'autre lorsque ses propres intérêts nationaux sont en jeu .
Cette tension illustre un concept clé de la guerre économique : l'asymétrie normative. Les acteurs puissants fixent ou utilisent les règles à leur avantage et n'hésitent pas à invoquer l'exception lorsqu'ils sont menacés. Dans ce cas, l'Allemagne bénéficie de sa position pour influencer les normes (via la BCE ou l'UE) afin de freiner l'initiative italienne, tandis qu'UniCredit tente de jouer sur le cadre européen existant (liberté d'investissement) pour mener à bien son opération.
Cette tension illustre un concept clé de la guerre économique : l'asymétrie normative. Les acteurs puissants fixent ou utilisent les règles à leur avantage et n'hésitent pas à invoquer l'exception lorsqu'ils sont menacés. Dans ce cas, l'Allemagne bénéficie de sa position pour influencer les normes (via la BCE ou l'UE) afin de freiner l'initiative italienne, tandis qu'UniCredit tente de jouer sur le cadre européen existant (liberté d'investissement) pour mener à bien son opération.
Enjeux géoéconomiques européens
Au-delà du duel entre UniCredit et Commerzbank, l'affaire soulève des enjeux géoéconomiques pour l'Europe. D'un côté, la création d'un champion bancaire transfrontalier pourrait être vue comme un pas en avant vers une plus grande intégration financière de l'Union européenne – un objectif souvent mis en avant pour renforcer la compétitivité du secteur face aux États-Unis et à la Chine .
D'un autre côté, la résistance farouche de l'Allemagne montre que les intérêts nationaux priment encore largement sur la vision européenne commune. Cette contradiction affaiblit l'Europe dans la guerre économique mondiale, car tant que les marchés financiers européens restent fragmentés le long des lignes nationales, il sera difficile de rivaliser avec les mastodontes étrangers.
Certains observateurs estiment que le différend entre l'Italie et l'Allemagne au sujet de Commerzbank pourrait compromettre les avancées vers l'achèvement de l'Union bancaire et de l'Union des marchés de capitaux, pourtant jugées nécessaires pour sortir l'Europe de sa relative atonie économique . En effet, le climat de méfiance mutuelle et l'hostilité croissante entre deux grands pays de la zone euro risquent de crisper la coopération et de dissuader d'autres initiatives transfrontalières.
D'un autre côté, la résistance farouche de l'Allemagne montre que les intérêts nationaux priment encore largement sur la vision européenne commune. Cette contradiction affaiblit l'Europe dans la guerre économique mondiale, car tant que les marchés financiers européens restent fragmentés le long des lignes nationales, il sera difficile de rivaliser avec les mastodontes étrangers.
Certains observateurs estiment que le différend entre l'Italie et l'Allemagne au sujet de Commerzbank pourrait compromettre les avancées vers l'achèvement de l'Union bancaire et de l'Union des marchés de capitaux, pourtant jugées nécessaires pour sortir l'Europe de sa relative atonie économique . En effet, le climat de méfiance mutuelle et l'hostilité croissante entre deux grands pays de la zone euro risquent de crisper la coopération et de dissuader d'autres initiatives transfrontalières.
Par ailleurs, le cas met en lumière la fragilité des banques allemandes sur la scène internationale. Depuis la réunification, les banques allemandes ont perdu du terrain en termes de taille et de rentabilité, échouant à se consolider entre elles, tandis que d'autres pays voyaient émerger de grands groupes bancaires domestiques suite à des fusions . Commerzbank, spécifiquement, est l'un des derniers grands établissements commerciaux en Allemagne aux côtés de Deutsche Bank.
Le fait qu'une banque étrangère cherche à l'acquérir souligne une certaine vulnérabilité du système bancaire allemand – vulnérabilité que Berlin n'est manifestement pas prêt à exposer davantage. Dans une perspective de guerre économique, on peut interpréter la défense allemande comme une volonté de conserver une autonomie stratégique dans le secteur financier, considéré comme trop crucial pour être laissé à la merci des forces du marché ou d'intérêts étrangers.
Le fait qu'une banque étrangère cherche à l'acquérir souligne une certaine vulnérabilité du système bancaire allemand – vulnérabilité que Berlin n'est manifestement pas prêt à exposer davantage. Dans une perspective de guerre économique, on peut interpréter la défense allemande comme une volonté de conserver une autonomie stratégique dans le secteur financier, considéré comme trop crucial pour être laissé à la merci des forces du marché ou d'intérêts étrangers.
Enfin, ce bras de fer pose la question de l'avenir des champions européens. Si même au sein de l'UE, un pays préfère protéger son champion national plutôt que de permettre l'émergence d'un acteur européen de premier plan via une fusion transfrontalière, cela suggère que la construction d'acteurs véritablement européens reste un idéal difficile à atteindre. L'affaire UniCredit-Commerzbank servira sans doute de précédent et de leçon : soit elle ouvrira la voie à d'autres opérations similaires si un compromis est trouvé, soit, en cas d'échec retentissant, elle refroidira pour longtemps les ardeurs des banques à s'aventurer hors de leurs frontières nationales.
Ce que nous pouvons retenir ...
Le cas UniCredit-Commerzbank illustre parfaitement la dynamique de guerre économique au sein même de l'Europe.
D'un côté, une offensive stratégique menée par une grande banque italienne cherchant à s'étendre et à gagner en puissance par l'acquisition d'un rival étranger. De l'autre, une défense acharnée d'un État et d'une entreprise déterminés à préserver leur autonomie et leur contrôle sur un actif jugé vital.
Au gré de cette confrontation, on voit se déployer tout un arsenal d'outils de guerre économique : surprise stratégique, patriotisme économique, influence médiatique, recours aux régulations, et mobilisation politique. L'issue de ce duel financier reste incertaine, suspendue notamment à la décision des régulateurs et à l'évolution du contexte politique en Allemagne. Quoi qu'il en soit, l'affaire aura mis en exergue les tensions intrinsèques entre l'ambition d'une Europe économique intégrée et la réalité des réflexes nationaux de protection.
D'un côté, une offensive stratégique menée par une grande banque italienne cherchant à s'étendre et à gagner en puissance par l'acquisition d'un rival étranger. De l'autre, une défense acharnée d'un État et d'une entreprise déterminés à préserver leur autonomie et leur contrôle sur un actif jugé vital.
Au gré de cette confrontation, on voit se déployer tout un arsenal d'outils de guerre économique : surprise stratégique, patriotisme économique, influence médiatique, recours aux régulations, et mobilisation politique. L'issue de ce duel financier reste incertaine, suspendue notamment à la décision des régulateurs et à l'évolution du contexte politique en Allemagne. Quoi qu'il en soit, l'affaire aura mis en exergue les tensions intrinsèques entre l'ambition d'une Europe économique intégrée et la réalité des réflexes nationaux de protection.
En fin de compte, que l'opération aboutisse ou non, l'impact sur la réflexion stratégique en Europe sera majeur. Une réussite de l'offensive d'UniCredit pourrait marquer un précédent, incitant à plus d'audace offensive de la part d'acteurs cherchant des opportunités de croissance externe.
À l'inverse, un blocage effectif par l'Allemagne renforcerait l'idée que, même entre partenaires de l'UE, la concurrence fait rage et que chaque nation entend défendre bec et ongles ses intérêts économiques.
Dans les deux cas, les enseignements tirés de ce cas alimenteront la doctrine de la guerre économique : ils rappelleront que la puissance économique se conquiert et se protège comme un territoire, et que la guerre économique, même sourde et feutrée, n'en est pas moins présente au cœur des rapports entre grandes puissances économiques, fussent-elles alliées.
À l'inverse, un blocage effectif par l'Allemagne renforcerait l'idée que, même entre partenaires de l'UE, la concurrence fait rage et que chaque nation entend défendre bec et ongles ses intérêts économiques.
Dans les deux cas, les enseignements tirés de ce cas alimenteront la doctrine de la guerre économique : ils rappelleront que la puissance économique se conquiert et se protège comme un territoire, et que la guerre économique, même sourde et feutrée, n'en est pas moins présente au cœur des rapports entre grandes puissances économiques, fussent-elles alliées.
A propos de ...
Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d'études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d'étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l'accent sur la dimension de l'intelligence et de la géopolitique, en s'inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l'École de Guerre Économique (EGE)
Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/ et avec l'Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l'Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/
Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/ et avec l'Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l'Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/