Formation. Entrevue avec Stéphane Chaudiron, responsable du master VeCIS (Veille et communication de l’information stratégique) Lille

Je pense que le principal défi pour une formation universitaire de type master est de concilier le caractère opérationnel de l’enseignement et la nécessité d’anticiper sur les nombreuses mutations à l’œuvre dans le milieu professionnel. Pour cela, le master Vecis bénéficie d’un environnement très favorable avec, d’un côté, un partenariat industriel et économique de premier plan, et de l’autre, un adossement à la recherche de haut niveau avec le laboratoire GERiiCO.
  Pa exemple, la question de l’apport de l’intelligence artificielle au secteur de la veille et de la gestion des connaissances, dont tout le monde parle en ce moment, n’est pas un sujet nouveau pour nous. Plusieurs collègues qui interviennent dans le master, dont moi, ont fait leur thèse puis ont participé à des projets de recherche sur des sujets propres à l’IA (la traduction automatique, le traitement sémantique de l’information, les systèmes de recommandation, etc.).

C’est notamment pour répondre à ce défi que nous organisons chaque année avec les étudiants trois VeilleLabs. Ces évènements sont destinés aux professionnels de la veille et sont l’occasion de faire le point sur une innovation avec un spécialiste du sujet.
 

C’est effectivement un enjeu important. Nous recrutons bien sûr des étudiants qui viennent de la première année de notre master en sciences de l’information et du document mais beaucoup d’étudiants viennent également d’autres formations, assez fréquemment maintenant de l’étranger. La pédagogie en mode projet utilisée dans la plupart des cours permet d’associer des étudiants aux compétences différentes.
Certains ont des profils très techniques, venant de l’informatique ou de formations d’ingénieur en data science, alors que d’autres sont plutôt des « littéraires » et plus à l’aise dans l’analyse de l’information et la production des livrables.
La fonction veille nécessite elle-même de nombreuses compétences et tous les profils peuvent y trouver leur place

À titre personnel, je m’intéresse depuis longtemps à la question des pratiques informationnelles et à celle de l’usage des systèmes d’accès à l’information, notamment en contexte professionnel. La veille fournit à ce titre un terrain privilégié d’observation et d’analyse.

Se posent par exemple des questions qui peuvent sembler théoriques mais qui sont très opérationnelles à l’heure des fakenews, comme celle de la pertinence de l’information et son corollaire, l’évaluation de l’information. Une question plus récente est celle de la découvrabilité de l’information. C’est un sujet sur lequel nous travaillons avec la Bnf mais qui prend également tout son sens dans le champ de l’information professionnelle.

Un autre sujet, plus loin de la veille, est celui de la numérisation du patrimoine culturel en danger. Avec une équipe de quatre collègues et deux doctorantes de GERiiCO, nous venons de terminer un projet financé par l’Agence nationale de la recherche qui a porté sur la préservation numérique du patrimoine minier du Nord et du Pas-de-Calais.
 

Comme tous les enseignants-chercheurs, je passe une bonne partie de mon temps à lire, notamment la presse professionnelle, à participer à des journées d’études et des colloques. Je fais aussi ma propre veille sur tout ce qui concerne la veille bien sûr, mais plus généralement les transformations en cours, qu’elles soient technologiques, organisationnelles ou sociétales.

Je suis également membre d’associations professionnelles, l’Adbs et le Groupement français de l’industrie de l’information, ce qui me permet d’être au plus près de l’évolution des besoins et des pratiques des professionnelles.
Enfin, j’ai réussi à constituer un véritable réseau de professionnels de la veille, en particulier dans la région des Hauts-de-France mais pas uniquement, et ces professionnels partagent leurs expériences, leurs innovations, leurs analyses, ce qui permet aux étudiants de comprendre les enjeux actuels du monde professionnel et de s’insérer ensuite plus facilement.
 

J’ai déjà mentionné l’organisation des VeilleLabs par les étudiants qui est un véritable projet pédagogique que nous menons depuis 2020. Par ailleurs, les étudiants doivent réaliser chaque année des projets tutorés et nous avons la chance d’avoir des partenaires professionnels qui nous proposent des sujets correspondant à des besoins réels.
Les étudiants répondent ainsi à une commande précise à laquelle ils doivent apporter une solution. Ces dernières années, ils ont travaillé pour des entreprises dans les secteurs de l’aéronautique, du sport, de l’audiovisuel, de l’assurance mais aussi pour un pôle d’innovation et de compétitivité, un centre technique, etc. Les sujets sont variés et concernent l’audit de plateformes de veille, l’évaluation de technologies, la réorganisation d’un process, l’amélioration des livrables ou la mise en place d’une surveillance de concurrents…
Ce type de projet pédagogique est particulièrement formateur car les étudiants sont en situation réelle d’entreprise et doivent gérer l’ensemble du projet avec ses contraintes, son calendrier, les réunions avec le commanditaire, et la restitution des livrables. Cela reste bien sûr un projet pédagogique et est évalué comme tel, mais il est particulièrement formateur.
 

Un voie importante d’amélioration serait de faciliter l’accès des étudiants à la formation en alternance.
Il existe actuellement deux voies, le contrat de professionnalisation et le contrat d’apprentissage, qui disposent chacune de cadres réglementaires différents avec des contraintes qui limitent parfois l’accès des étudiants à ce système de formation, par exemple l’âge et la nationalité. Or, concernant la question de l’âge, les parcours de vie font qu’il n’est pas rare de nos jours que des personnes reprennent des études après une première expérience professionnelle.

Pour les étudiants qui ne peuvent pas bénéficier de l’alternance, nous avons mis en place un système qui leur permet de faire leur stage tout au long de l’année, selon le rythme de l’alternance.

Un autre élément que je trouve très formateur, et que j’ai déjà mentionné, est la possibilité pour les étudiants de réaliser des projets tutorés en réponse à des commandes réelles d’entreprise. C’est d’autant plus intéressant que les projets tutorés se prolongent souvent par des stages dans les entreprises qui ont proposé les sujets.
 

Je conclurai en rappelant l’importance de l’adossement à la recherche pour les formations de type master. Acquérir des compétences et des savoir-faire immédiatement opérationnels, c’est nécessaire, acquérir des connaissances qui ne soient pas rapidement obsolètes, c’est fondamental pour pouvoir évoluer dans sa carrière.
 

Groupe d'Études et de Recherche Interdisciplinaire en Information et COmmunication - ULR 4073

Stéphane Chaudiron est professeur en sciences de l’information et de la communication à l’université de Lille et membre du laboratoire GERiiCO.
Il est responsable du master VeCIS (Veille et communication de l’information stratégique) qu’il a fondé en 2006 après 15 ans d’expérience au ministère de la Recherche comme chargé de mission dans le secteur de l’information scientifique et technique et du traitement automatisé des langues.
Ses axes de recherche portent sur l’analyse des pratiques informationnelles, l’organisation des connaissances et l’évaluation des systèmes d’information, notamment en contexte de veille. Dans ces domaines, il est l’auteur de plus de cent publications et a piloté de nombreux projets de recherche. Il a dernièrement co-dirigé le numéro de la revue Etudes de communication (n°60) consacré aux "Nouveaux ancrages de la veille en sciences de l'information et de la communication"
Il est également co-directeur de la revue Études de communication et membre du GF2I et de l’ADBS.