Formation. Rencontre avec Camille Baulant. Responsable du Master IESCI. Université d'Angers

 

Le Master Intelligence Economique et Stratégies Compétitives à l’International (IESCI) de l’Université d’Angers est l’un des seuls masters universitaires en IE qui a été habilité en économie (section 05) en septembre 2004 par le Ministère de la recherche et de l’Enseignement supérieur.

Si le master s’intéresse aux stratégies économiques (innovation et compétitivité), il en n’est pas moins traversé par des approches multidisciplinaires (info com, sciences de la complexité, gestion, droit, géopolitique, psychologie, sociologie…) indispensables dans une économie de la connaissance mondialisée.
 

Le premier défi que j'ai identifié est de maintenir cette double approche (économique et pluridisciplinaire) qui a du sens dans une économie mondialisée et fortement numérique, même si cela implique que ce master IESCI continue de questionner ses pairs.
Nous assumons de convoquer des concepts venant de sciences moins exactes comme la géopolitique, la sociologie ou la psychologie.

Le deuxième défi que nous avons eu à relever est l’aspect numérique comme le big data, l’IA, la cybernétique qui ne doivent pas nous faire perdre de vue les fondamentaux de l’IE et les relations entre les organisations et leurs individus. Le master forme des personnes capables de comprendre la coopération de long terme pour innover, l’intelligence émotionnelle pour influencer, ou de coopérer pour ajuster la compétitivité sur le court terme. Les outils numériques restent avant tout des outils.

Le défi qui arrive en troisième position, est celui de concilier la nécessité de conserver des bases théoriques solides avec l’envie des étudiants.
Ceux-ci souhaitent de plus en plus recevoir un « enseignement rassurant » fondé sur des outils (ou des recettes) précis actionnables à court terme. A nous d’alimenter en outils actionnables tout en suscitant la satisfaction de se reposer sur un socle de concepts qui permet de déterminer le choix du bon outil au bon moment.

Enfin le quatrième défi a été de contribuer à l’entretien de la curiosité et de l’esprit critique. Dans les métiers de l’IE où le renseignement et l’information sont les matières premières, dans un
monde où l’instantanéité et le flux d’information dominent, l’envie d’explorer par soi-même et de prendre le temps de se questionner avant d’exploiter du renseignement deviendront des soft skills décisifs.

Les étudiants de M1 et de M2 proviennent aussi bien d’universités françaises que
d’universités étrangères.

Le master est ouvert et certains étudiants nous rejoignent en seconde année après un parcours différencié. Cela nécessite de rester conscient de leur provenance et de tenir compte des disparités dans les connaissances.
Quelques redondances dans les contenus des M1 et M2, ciblées et limitées, facilitent l’intégration en cours de cycle de master pour favoriser les chances de réussite des étudiants. Les travaux de groupe sur des dossiers aident aussi à uniformiser le niveau de connaissance et à l’élever.

Coordonner les deux années reste un challenge pour nous : même les étudiants ont des choix stratégiques. Certains resteront avec nous durant leurs deux années de master.
D’autres visent des masters IE plus reconnus comme ceux de l’EGE, et nous ne serons qu’une étape.

En M1 comme en M2, nous enseignons l’IE comme un « mode de pensée » de l’économie mondiale devenue « complexe » avec les organisations en réseaux et un « mode d’action », la pro-action, proposée par Jean-Louis Levet (2001) et Christian Harbulot (2012).
Le « mode de pensée » comprend l’analyse du cycle entier de l’IE : « la veille », « l’analyse prospective », « le choix d’actions stratégiques » sur la base de ces informations analysées.

L’intelligence économique « mode d’action » n’est pas négligée pour autant. Ainsi, cette dimension
du programme contient « l’accompagnement des actions stratégiques menées par les trois grands outils de l’IE : « les réseaux », « la pratiques d’influence » et « la protection du patrimoine immatériel». Le retour d’expérience vient clore le cycle de l’IE.

En ce moment, les champs de recherche de l’équipe du master IESCI concernent principalement (voir bibliographie à la fin) :

• L’analyse des différentes formes de la mondialisation et de la globalisation des pays.
• Le rôle de l’IE pour effectuer un développement économique soutenable à long terme (développement économique, social et environnemental) des différents pays du monde : pays avancés, économies émergentes, et PVD (El Haddani et Baulant, 2020).
• Les diverses formes des organisations en réseaux : par les « clusters géographiques » ou les pôles de compétitivité (Muldoon, 2013) et par les réseaux sociaux (Baulant & Sylvestre, 2023).
• Le rôle au sein de ces deux grands types de réseaux des « leaders transformationnels » : les « leaders économiques », les « leaders sociaux », les « micro-influenceurs » (Drucker, 2004, Kotter, 2007).
• Le rôle de « l’apprentissage par le partage » qui est propre à une économie de
• la connaissance mondialisée (Foray, 2000, Muldoon, 2013).

Les intervenants du master IESCI font un va et vient entre leurs recherches théoriques et les cours qu’ils dispensent dans le master.

A ce titre, ils participent à des colloques portant sur le rôle de l’IE dans l’économie numérique mondialisée. La porosité avec les autres participants permet d’identifier de nouveaux concepts et d’adapter le contenu des cours dont bénéficient les étudiants.

D’autres rencontrent des entreprises innovantes ou internationalisées, notamment des PME montrant que l’IE n’est pas réservée aux grandes entreprises et allie les aspects plus théoriques avec les aspects concrets. Cela autorise l’organisation de visites d’entreprises avec les étudiantes et les étudiants, reliant le contenu des cours et leur matérialisation sur le terrain.

Ils développent également le réseau des anciens étudiants du master IESCI (http://master-iesc-angers.com/) très actifs.
De cette façon, une partie des enseignants du master vient souvent du réseau lui-même des anciens étudiants.

Les étudiants sont également encouragés à se rendre aux grandes manifestations sur l'IE.

Je peux vous donner un exemple de projet en recherche :

En 2020 un projet de recherche a été mené en collaboration avec l’Ecole Nationale Supérieure de la Police, dont l’objectif était d’évaluer la capacité à automatiser la détection sur Twitter / X d’actions de manipulation de l’information.
En partenariat avec Visibrain et Datarobot, les étudiants ont participé au projet en suggérant des cas d’études et en les analysant, participant ainsi à la préparation des corpus de données pour entraîner l’IA. Les résultats obtenus ont permis de valider un partenariat entre l’ENSP et le master sur l’analyse des manipulations de l’information en ligne.
 

Je pense d'abord aux logiciels de veille :
L'enseignement des logiciels de veille prépare les étudiants à affronter le monde professionnel, où ces outils sont utilisés pour surveiller la concurrence, analyser les tendances du marché et prendre des décisions stratégiques.
L'utilisation de ces logiciels forge la pensée critique des étudiants en les incitant à scruter la crédibilité et la pertinence des sources d'information, les armant ainsi pour des choix éclairés.

Voici quelques illustrations de projets en matière de logiciels de veille réalisés dans le cadre
du master :

1. Projet de veille stratégique en marketing digital visant à réaliser une veille stratégique sur les tendances du marketing digital dans un secteur spécifique en utilisant les outils de veille tels que Sindup et AMI EI pour surveiller les activités de la concurrence, les nouvelles tendances et les opportunités de marché.
Ce projet a permis aux étudiants d'acquérir des compétences en veille stratégique et en analyse de
données, tout en développant leur capacité à travailler en équipe et à communiquer efficacement.

2. Projet de veille technologique en intelligence artificielle : Dans le cadre de ce projet, les étudiants ont été invités à réaliser une veille technologique sur les avancées en matière d'intelligence artificielle dans un domaine spécifique, tel que la santé, les transports ou l'éducation. Les étudiants ont utilisé des outils de veille spécialisés pour suivre les dernières innovations, les startups émergentes et les tendances du marché.
Ils ont ensuite rédigé un rapport détaillé sur leurs résultats, mettant en lumière les opportunités et les défis liés à l'adoption de l'intelligence artificielle dans le domaine étudié. Ce projet a permis aux étudiants d'approfondir leurs connaissances en intelligence artificielle et de développer leur capacité à analyser et synthétiser des informations complexes.

3. Projet de veille concurrentielle en gestion des ressources humaines : Les étudiants ont été chargés de réaliser une veille concurrentielle sur les pratiques de gestion des ressources humaines des entreprises leaders dans un secteur spécifique.
Ils ont utilisé des outils de veille pour analyser les politiques de recrutement, de formation et de rétention des talents des entreprises étudiées. Les étudiants ont ensuite comparé les pratiques des différentes entreprises et ont identifié les meilleures pratiques à adopter pour améliorer la gestion des ressources humaines dans une organisation.
Ce projet a permis aux étudiants d'acquérir une compréhension approfondie des enjeux liés à la
gestion des ressources humaines et de développer leurs compétences en analyse comparative et en recommandations stratégiques.
 

1. Projet de data mining en R : Les étudiants ont travaillé sur un projet de data mining visant à analyser les données de ventes d'une entreprise pour identifier les tendances et les facteurs influençant les ventes. Ils ont utilisé des techniques d'analyse de clustering et de régression en R pour identifier les segments de clients les plus rentables et prédire les ventes futures. Ce projet a permis à l'entreprise de mieux cibler ses efforts de marketing et d'optimiser sa stratégie de vente.

2. Projet de visualisation de données en SQL : Les étudiants ont travaillé sur un projet de visualisation de données en utilisant SQL pour extraire et manipuler des données provenant de différentes sources. Ils ont créé des tableaux de bord interactifs permettant de visualiser les performances de l'entreprise en temps réel et de prendre des décisions basées sur des données fiables. Ce projet a permis à l'entreprise de mieux comprendre ses données et d'améliorer sa prise de décision.

3.Projet d'analyse de données en R et SQL : Les étudiants ont travaillé sur un projet d'analyse de données combinant les langages R et SQL pour analyser les données financières d'une entreprise. Ils ont utilisé des techniques d'analyse statistique en R pour identifier les tendances et les anomalies dans les données financières, et ont utilisé SQL pour extraire et manipuler les données nécessaires à l'analyse.
Ce projet a permis à l'entreprise de mieux comprendre sa situation financière et d'optimiser sa
gestion financière.

La géopolitique, l’économie et l’intelligence économique sont convoquées dans leur étude. Elles les amènent à identifier les outils de l’IE déployées par les différents acteurs afin d’atteindre leurs objectifs de long terme, objectifs résultant de leur propre analyse prospective stratégique, donc du contexte.
Cette étude permet d’aller au-delà de la seule intelligence économique : elle permet aussi de décrypter, de prendre conscience de la complexité du monde, de l’effet des décisions prises par les états ou groupe d’états, de la combinaison des intérêts, et enfin, de la naissance de relations, parfois improbables, entre ces agents économiques qui veulent tous une place au soleil de cette opportunité.
 

Les étudiants qui arrivent dans ce master IESCI doivent considérer qu’une partie de leur réussite, par leur assimilation des connaissances et par leur montée en compétence, est basée sur les échanges avec l’équipe enseignante durant les cours. Ils ont parfois tendance à consommer l’enseignement au lieu d’interagir avec lui pour en gagner de la motivation et de l’efficacité d’assimilation.
De nombreuses ressources sont proposées par les intervenants tout au long de l’année, ainsi qu’un projet professionnel grâce auquel ils peuvent appliquer ce qu’ils ont appris.
 

Au niveau de l’université publique, les marges de main d’œuvre des enseignants sont extrêmement étroites, surtout depuis « l’autonomie des universités ». Les évaluations, les bilans, les recrutements sont devenus de plus en plus chronophages.
Au niveau du master, l’équipe enseignante du master IESCI vise un équilibre entre enseignants et professionnels, surtout en M2.
Le master combine des cours traditionnels avec des cours et des conférences en ligne. L’approche personnalisée reste néanmoins privilégiée (même en ligne) de façon à ce que chaque étudiant trouve « sa propre voie » dans les différents métiers de l’IE.
 

Les projets tutorés (ainsi que les stages de M1 et de M2) améliorent très nettement l’insertion des étudiants dans le monde du travail.

Les métiers dans l’IE sont par ailleurs plus divers en 2024 qu’en 2005 :
Les étudiants peuvent aussi plus facilement évoluer d’un métier à l’autre de l’IE en continuant à se former tout au long de leur carrière en nouvelle connaissance et nouvelle technologie.
Nous faisons en sorte de cultiver la curiosité de nos étudiants et leur intérêt pour les sujets d’actualité : big data il y a 10 ans, cybersécurité il y a quelques années, ChatGPT et modèles de langage depuis un an … notre domaine évolue très vite, et les étudiants y sont les premiers confrontés.
 

Docteur en Sciences Economiques de Paris X- Nanterre, professeur agrégé des universités, j’enseigne depuis 1994 à l’université d’Angers l’économie internationale.
Chercheuse au GRANEM, mes publications portent sur l’économie internationale, la compétitivité informationnelle, l’économie de la connaissance, les clusters et la dynamique de l’apprentissage par le « learning by sharing » et « learning by confronting ».

Je suis membre de différents réseaux de recherche sur l’économie de la connaissance et l’innovation: AFEE, QIEM, RRI, AFDIE..

Depuis 2002, j’ai orienté mes recherches sur les nouvelles formes de spécialisation (« avantages concurrentiels) et de compétitivité (informationnelle) issues de la double mutation de l’économie mondiale (mondialisation de toutes les activités et passage à une économie de la connaissance).

Directrice depuis septembre 2004 du master 2 en « Intelligence économique et stratégie compétitive » à l’Université d’Angers. Ce master 2 a pour objet de collecter, de traiter, d’analyser et d’utiliser les informations économiques, sociales, culturelles ou géostratégiques pour améliorer l’efficacité des acteurs : entreprises, régions et nations.