…] le siècle présent, en un mot, qui sépare le passé de l’avenir, qui n’est ni l’un ni l’autre et qui ressemble à tous deux à la fois, et où l’on ne sait, à chaque pas qu’on fait, si l’on marche sur une semence ou sur un débris. Voilà dans quel chaos il fallut choisir alors ; […]
Alfred de Musset, Confession d’un enfant du siècle.
Préambule.
Cette communication se situe dans le prolongement des travaux engagés par l’Académie de I’intelligence Economique sur la nécessité de revisiter, enrichir, repenser nombre d’approches (méthodes, grilles de lecture) de la démarche d’intelligence économique et stratégique. Ce sont les constats issus de l’expérience, mais aussi les réflexions essentielles des prospectivistes[[1]] et celles d’analystes tels que Philippe Baumard[[2]] qui nous y incite comme une urgence.
Je les partage avec Patrick Cappe de Baillon (voir Ph. Clerc, P. Cappe de Baillon, Révolutions technologiques et pouvoir d'industrie. DIPLOMATIE no 129, sept. Oct. 2024..
Je les partage avec Patrick Cappe de Baillon (voir Ph. Clerc, P. Cappe de Baillon, Révolutions technologiques et pouvoir d'industrie. DIPLOMATIE no 129, sept. Oct. 2024..
[[1]] Voir la Société française de prospective, Printemps de la prospective 2023,2024.
[[2]] Le vide stratégique, CNRS Edition 2012.
Introduction.
Nous poserons - et tenterons de traiter ici la question de la dynamique d’accroissement de puissance des entreprises et des nations par la science et la technologique.
Les technologies critiques et l’innovation se trouvent aujourd’hui au cœur des stratégies souveraineté et de domination des marchés et plus largement des dispositifs de la gouvernance mondiale. La course aux technologies critiques, au premier rang desquelles figurent l’intelligence artificielle, les technologies quantiques et les biotechnologies, représente désormais un enjeu prioritaire pour notre Nation et nos économies en raison de leurs capacités duales et « des promesses » de suprématie qu’elles portent sur le plan économique et militaire.
Notre hypothèse repose sur le constat que les affrontements géopolitiques, économiques et sociaux sont dirigés par le « pouvoir de l’innovation [[1]] », formalisé en 2023 par Eric Schmid [[2]] , ancien dirigeant de Google et théoricien de la compétition technologique au XXIe siècle.
L’innovation comme « capacité d’inventer, d’adopter et d’adapter de nouvelles technologies » devient une nouvelle force déterminante des relations internationales qu’ il dénomme désormais « le pouvoir d’innovation ». Il le définit comme cette force d’influence qui « contribue à la fois au hard et au soft power des nations ». Elles en font le socle de leurs stratégies-monde. Le pouvoir d’innovation est donc un levier central dans les rapports de force et la compétition géopolitique et géoéconomique.
Nous tenterons de décrypter les dynamiques à l’œuvre dans la grande confrontation entre la Chine, les Etats-Unis et l’Europe. Nous nous interrogerons. Comment l’accroissement de puissance s’opère selon un «but de guerre scientifique et technologique », croisant stratégie et technologie, à la recherche de la domination, de la suprématie ? Cela pour faire vivre notre modèle social et démocratique au cœur de la rupture industrielle contemporaine. L’enjeu pour l’Europe et plus précisément la France, est très clairement de lutter contre le déclassement, voire le déclin par la définition de stratégie de puissance adaptés à ce nouveau défi.
Et toujours tenter la reconquête de marge d’autonomie stratégique et de souveraineté.
Les technologies critiques et l’innovation se trouvent aujourd’hui au cœur des stratégies souveraineté et de domination des marchés et plus largement des dispositifs de la gouvernance mondiale. La course aux technologies critiques, au premier rang desquelles figurent l’intelligence artificielle, les technologies quantiques et les biotechnologies, représente désormais un enjeu prioritaire pour notre Nation et nos économies en raison de leurs capacités duales et « des promesses » de suprématie qu’elles portent sur le plan économique et militaire.
Notre hypothèse repose sur le constat que les affrontements géopolitiques, économiques et sociaux sont dirigés par le « pouvoir de l’innovation [[1]] », formalisé en 2023 par Eric Schmid [[2]] , ancien dirigeant de Google et théoricien de la compétition technologique au XXIe siècle.
L’innovation comme « capacité d’inventer, d’adopter et d’adapter de nouvelles technologies » devient une nouvelle force déterminante des relations internationales qu’ il dénomme désormais « le pouvoir d’innovation ». Il le définit comme cette force d’influence qui « contribue à la fois au hard et au soft power des nations ». Elles en font le socle de leurs stratégies-monde. Le pouvoir d’innovation est donc un levier central dans les rapports de force et la compétition géopolitique et géoéconomique.
Nous tenterons de décrypter les dynamiques à l’œuvre dans la grande confrontation entre la Chine, les Etats-Unis et l’Europe. Nous nous interrogerons. Comment l’accroissement de puissance s’opère selon un «but de guerre scientifique et technologique », croisant stratégie et technologie, à la recherche de la domination, de la suprématie ? Cela pour faire vivre notre modèle social et démocratique au cœur de la rupture industrielle contemporaine. L’enjeu pour l’Europe et plus précisément la France, est très clairement de lutter contre le déclassement, voire le déclin par la définition de stratégie de puissance adaptés à ce nouveau défi.
Et toujours tenter la reconquête de marge d’autonomie stratégique et de souveraineté.
[[1]] « Innovation Power », Foreign Affairs, février 2023.
[[2]] Fondateur, en 2021, du laboratoire d’idées « The Special Competitive Studies Project ».
Décrypter: « retrouver la soif » d’analyser et de définir
Le contexte « d’interrègne » entre un vieux monde et son modèle économique qui disparaît et le nouveau qui surgit, chaotique requiert « une analyse en profondeur » telle que définie par Gaston Berger, c’est-à-dire « une recherche pluridisciplinaire des facteurs vraiment déterminants et des tendances qui poussent les hommes dans certaines directions[[1]] … ». Il convient dès lors de définir les nouvelles réalités, chocs et ruptures, à l’œuvre dans l’environnement géopolitique et géoéconomique.
[[1]] Gaston berger. In L’anthropologie prospective. Commenté par Philippe Durance, Cnam . Aravis 2024.
Puissance technologique
Analyser « le pouvoir d’innovation » et ses conséquences en termes de rapports de force nous conduit vers « le terreau conceptuel » récent de la notion de « puissance technologique ». « Une généalogie courte » nous permet d’identifier Philippe Baumard, qui, en visionnaire, l’a défini dès 2003 comme « la capacité de dériver une suprématie économique et sociale durablement défendable d’une puissance d’invention et de transformation technique » et ce, en dépassant « l’excellence en termes de dépôts de brevets, d’avancées techniques [[1]]».
Il pose les bases de l’organisation nationale d’une stratégie de puissance technologique. Construire une puissance technologique consiste « à s’appuyer sur les pouvoirs coercitifs – celui de l’imposition des standards – et les pouvoirs d’intégration – celui du contrôle des chaînes de valeur et des zones d’influence systémiques autour des technologiques. » Concernant les zones d’influence, Graham Allison vient en 2020 utilement rappeler que nos élites occidentales redécouvrent les sphères d’influence en géopolitique. Il définit de telles sphères comme des organisations d’influence et plus précisément « la capacité de puissances d’exiger la déférence d'autres États dans leurs propres régions ou à y exercer un contrôle prédominant [[2]] ».
Il pose les bases de l’organisation nationale d’une stratégie de puissance technologique. Construire une puissance technologique consiste « à s’appuyer sur les pouvoirs coercitifs – celui de l’imposition des standards – et les pouvoirs d’intégration – celui du contrôle des chaînes de valeur et des zones d’influence systémiques autour des technologiques. » Concernant les zones d’influence, Graham Allison vient en 2020 utilement rappeler que nos élites occidentales redécouvrent les sphères d’influence en géopolitique. Il définit de telles sphères comme des organisations d’influence et plus précisément « la capacité de puissances d’exiger la déférence d'autres États dans leurs propres régions ou à y exercer un contrôle prédominant [[2]] ».
[[1]] Philippe Baumard. La France est-elle encore une puissance technologique ? Colloque États de la
Puissance, en collaboration avec l’École de Guerre Economique, May 2003, Paris, France. hal-03230258
Puissance, en collaboration avec l’École de Guerre Economique, May 2003, Paris, France. hal-03230258
[[2]] Graham Allison, « Les nouvelles sphères d'influence. Partager le globe avec d'autres grandes puissances », Foreign Affairs, mars / avril 2020
Sphère d’influence : une grille de lecture et une matrice utile ?
Arrêtons-nous un instant sur l’intérêt de l’approche pour la préoccupation qui est la nôtre de tenter d’innover en termes de grilles de lecture et de matrices pour nos actions et stratégies en univers chaotique.
Philippe Baumard nous incite à « sortir de la cage d’acier » et penser autrement. En ce sens, il relit et intègre dans son analyse les grilles stratégiques de Richard D’Aveni que nous avions invité à Paris, au Sénat, en 2003 [[1]] , à l’occasion d’un séminaire qui lui était dédié sur le thème, « Stratégie, suprématie, sphères d’influence ».
Comme nous venons de le mentionner avec Graham Allison, les grilles et matrices de D’Aveni demeurent structurantes tant l’influence envahit le champ de la guerre technologique que se livre les puissances [[2]] . Il convient cependant de les relire à l’aune des nouvelles formes de conflictualité et de confrontations géoéconomiques. Quelles sont-elles ?
Philippe Baumard nous incite à « sortir de la cage d’acier » et penser autrement. En ce sens, il relit et intègre dans son analyse les grilles stratégiques de Richard D’Aveni que nous avions invité à Paris, au Sénat, en 2003 [[1]] , à l’occasion d’un séminaire qui lui était dédié sur le thème, « Stratégie, suprématie, sphères d’influence ».
Comme nous venons de le mentionner avec Graham Allison, les grilles et matrices de D’Aveni demeurent structurantes tant l’influence envahit le champ de la guerre technologique que se livre les puissances [[2]] . Il convient cependant de les relire à l’aune des nouvelles formes de conflictualité et de confrontations géoéconomiques. Quelles sont-elles ?
[[1]] Organisé avec le sénateur Serge Vinçon et l’Assemblée des chambres françaises de commerce et d’industrie.
[[2]] « Volet aujourd’hui essentiel à l’expression de puissance, cette nouvelle fonction [l’influence] constitue un élément clé de notre capacité à promouvoir les intérêts de la France et à contrer les actions de nos compétiteurs sur tout le spectre de l’hybridité. » Extrait de la revue stratégique nationale, SGDSN, 2022.
Conflictualité
L’influence s’inscrit en effet dans une nouvelle forme de conflictualité que les stratégistes chinois avait défini comme « la guerre de l’intelligence « dans leur livre blanc de la défense (2019).
Le général Thierry Burkhard, chef d’état-major des Armées, décrit cette dynamique selon trois états : la compétition qui consiste à modeler à son avantage les dynamiques relationnelles et cognitives ; la contestation qui se traduit par la déstabilisation et la disruption pour « atteindre les moyens de recherche et de production de l’adversaire, créer des dépendances et accentuer celles existantes» ; l’affrontement qui vise à détruire par tous les moyens et anéantir.
Enfin, il convient de noter que « le pouvoir d’innovation » se déploie au cœur de la nouvelle mondialisation « régionalisée » et « fragmentée ». La contestation du pouvoir-monde occidental notamment par les « BRICS » et le « Sud global » s’exprime et se construit à travers de nouvelles sphères d’influence, celles des puissances faibles et moyennes.
Le général Thierry Burkhard, chef d’état-major des Armées, décrit cette dynamique selon trois états : la compétition qui consiste à modeler à son avantage les dynamiques relationnelles et cognitives ; la contestation qui se traduit par la déstabilisation et la disruption pour « atteindre les moyens de recherche et de production de l’adversaire, créer des dépendances et accentuer celles existantes» ; l’affrontement qui vise à détruire par tous les moyens et anéantir.
Enfin, il convient de noter que « le pouvoir d’innovation » se déploie au cœur de la nouvelle mondialisation « régionalisée » et « fragmentée ». La contestation du pouvoir-monde occidental notamment par les « BRICS » et le « Sud global » s’exprime et se construit à travers de nouvelles sphères d’influence, celles des puissances faibles et moyennes.
Confrontation géoéconomique
Cet accroissement de la conflictualité [[1]] caractérisé par une dynamique de confrontation géoéconomique est basée sur une « arsenalisation » des politiques commerciales. En appui du « pouvoir d’innovation », les puissances mondiales ou régionales déploient des leviers économiques (mesures monétaires, le contrôle des investissements étrangers, les sanctions, les aides d'État et les subventions, les contrôles commerciaux sur l'énergie, les minerais et la technologie, droits de douanes, contrôle des exportations), mais aussi scientifiques (publications, stratégies de brevets, normalisations…)[[2]] .
Pour illustration des stratagème de confrontation, citons l’instrumentalisation du droit à travers des stratégies juridiques (lois extraterritoriales, sanctions, guerre des droits, guerre des normes, guerre des brevets…), économiques (redéploiement des chaîne de production et de valeur).
C’est dans ce spectre que nous situons l’instrumentalisation de la compétition scientifique dans les stratégies de puissance technologiques contemporaines.
« La projection de la recherche française à l’international est essentielle pour la visibilité et la diplomatie scientifique du pays[[3]]». Le rapport de Paula Forteza sur la France et le quantique[[4]] contenait en 2020 une proposition sur la diplomatie économique à la recherche de coopération que les auteurs auraient tout aussi bien pu nommer « diplomatie scientifique et technologique ».
L’objectif des stratégies de confrontation est de découpler les relations économiques entre les nations, à travers des actions d’endiguement, en limitant les biens, les connaissances, les services ou les technologies dans le but d'obtenir un avantage géopolitique et de consolider les sphères d'influence.
Pour illustration des stratagème de confrontation, citons l’instrumentalisation du droit à travers des stratégies juridiques (lois extraterritoriales, sanctions, guerre des droits, guerre des normes, guerre des brevets…), économiques (redéploiement des chaîne de production et de valeur).
C’est dans ce spectre que nous situons l’instrumentalisation de la compétition scientifique dans les stratégies de puissance technologiques contemporaines.
« La projection de la recherche française à l’international est essentielle pour la visibilité et la diplomatie scientifique du pays[[3]]». Le rapport de Paula Forteza sur la France et le quantique[[4]] contenait en 2020 une proposition sur la diplomatie économique à la recherche de coopération que les auteurs auraient tout aussi bien pu nommer « diplomatie scientifique et technologique ».
L’objectif des stratégies de confrontation est de découpler les relations économiques entre les nations, à travers des actions d’endiguement, en limitant les biens, les connaissances, les services ou les technologies dans le but d'obtenir un avantage géopolitique et de consolider les sphères d'influence.
[[1]] Rapport 2023 du Forum économique mondial sur les risques globaux
[[2]] Pour une analyse éclairante de l’histoire longue de ces logiques d’affrontement jusqu’à nos jour nous renvoyons aux travaux que conduits Ali Laïdi depuis des années sur la guerre économique. Plus récemment : Le droit, nouvel arme de guerre économique, Actes Sud, 2019. Les batailles du commerce mondial, Eyrolles, 2021. Histoire mondiale du commerce mondial, Passés composés ; 2022. La Chine ou le réveil du guerrier économique, Actes Sud, 2022.
[[3]] Philippe Gillet. Rapport de la mission sur l’écosystème de la recherche et de l’innovation. Juin 2023.
[[4]] Paula Forteza et al. Quantique : le virage technologique que la France ne ratera pas
Confrontation et sécurité nationale
Au-delà de ce que nous pourrions dénommer « tactiques » et stratagèmes, se déploient des stratégies définies dans le cadre de doctrines de sécurité nationale. Elles incluent des démarches de sécurité économique, la stratégie d’innovation et la sécurité scientifique. Selon l’enquête annuelle du World economic forum[[1]]url:#_ftn1 sur les risques-monde, 28 « économies » ont classé l’objectif « Assurer la sécurité nationale » en priorité dans l’orientation de leurs politiques. 17 « économies » classent « Assurer la sécurité nationale » en premier défi à maitriser pour orienter les politiques . Seules 9 « économies » spécifient l’innovation et l’industrie (États-Unis, Hong Kong, Émirats et Pakistan) dans cet objectif.
Dans la revue nationale stratégique 2022 de la France qui esquisse des éléments de doctrine de sécurité nationale, le défi est enfin clairement explicité : « L’agressivité dont font preuve nos compétiteurs nous rappelle en effet que rien n’est acquis… Outre nos intérêts diplomatiques, économiques et stratégiques, les nouvelles batailles de l’influence mettent en jeu notre capacité à faire vivre le modèle français et européen. ».
Les sphères d’influence émergent comme des acteurs structurants de ces « nouvelles batailles ».
Dans la revue nationale stratégique 2022 de la France qui esquisse des éléments de doctrine de sécurité nationale, le défi est enfin clairement explicité : « L’agressivité dont font preuve nos compétiteurs nous rappelle en effet que rien n’est acquis… Outre nos intérêts diplomatiques, économiques et stratégiques, les nouvelles batailles de l’influence mettent en jeu notre capacité à faire vivre le modèle français et européen. ».
Les sphères d’influence émergent comme des acteurs structurants de ces « nouvelles batailles ».
[[1]] Global Risks report 2024
La dynamique des sphères d’influence ont pour objectif explicite la suprématie stratégique
Richard D’Aveni les définit dans un ordre de stratégie comme des organisations de combat économique dont l’objectif est la suprématie. S’il conceptualise sa grille pour les entreprises en 2001, il la redéfinit en 2012 pour l’appliquer à la compétition entre les Nations, puis en 2018 [[1]] à la compétition à venir entre « les titan-industriels »pilotés à partir de plateformes fédérant des milliers d’entreprises. Cet élargissement conceptuel intéresse notre analyse. En effet, le pouvoir d’innovation marque selon nous le retour du capitalisme politique tel que défini par Max Weber - liens étroits entre pouvoir politique et intérêts économiques.
Sa forme moderne repose sur des politiques de recherche et d’innovation au cœur des confrontations géoéconomiques : planification et R&D sur le long terme, soutien aux jeunes pousses industrielles, création de champions nationaux et soutiens aux industries stratégiques et critiques pour la sécurité économique et militaire [[2]] .
Sa forme moderne repose sur des politiques de recherche et d’innovation au cœur des confrontations géoéconomiques : planification et R&D sur le long terme, soutien aux jeunes pousses industrielles, création de champions nationaux et soutiens aux industries stratégiques et critiques pour la sécurité économique et militaire [[2]] .
[[1]] Richard A.D’Aveni, Strategic supremacy. A new conceptualization of market power and strategy, NY:
Free Press, 2001. Richard A.D’Aveni, Strategic capitalism, McGraw Hill, NY, 2012. Richard A.D’Aveni, The Pan-industrial revolution, Houghton, Mifflin, Harcourt, NY. 2018
Free Press, 2001. Richard A.D’Aveni, Strategic capitalism, McGraw Hill, NY, 2012. Richard A.D’Aveni, The Pan-industrial revolution, Houghton, Mifflin, Harcourt, NY. 2018
[[2]] Philippe Clerc et Patrick Cappe de Baillon, « Révolutions technologiques et pouvoir d’industrie :le nouveau visage des confrontations mondiales ». Diplomatie, 129, septembre/octobre 2024.
Sphère d’influence et géoéconomie
Chine et Etats-Unis s’affrontent actuellement sur cette base et leur sphère d’influence respective comportent les principaux objectifs suivants : le pouvoir d'établir un ensemble de règles de base du capitalisme auxquelles l’ensemble des parties prenantes se conforme (pouvoir de modifier les perception); le pouvoir de convaincre et d’aider les parties prenantes à modifier leur version du capitalisme pour la rendre compatible avec le système du leader ( pouvoir de séduction) ; le pouvoir de modeler la sphère économique des rivaux qui souhaitent jouer selon d'autres règles du capitalisme ; le pouvoir d'influencer les systèmes économiques mondiaux les modèles commerciaux, la monnaie internationale, les systèmes financiers, les écosystèmes industriels, les normes et les règles de propriété intellectuelle (pouvoir de formatage).
Sphère d’influence et entreprises
L’organisation de la sphère d’influence d’une entreprise illustre plus précisément la construction d’une stratégie de conquête de la suprématie (marché-technologie). La sphère est organisée à partir du cœur/noyau, zone que l’entreprise doit absolument préserver, pour ses revenus et sa survie. Il s’agit de l’espace d’influence géoéconomique qui détermine la suprématie.
La bataille des semi-conducteurs Etats-Unis, Chine, Europe l’illustre. La sphère intègre une zone dite d’intérêts vitaux. Ce sont des marchés interconnectés qui constituent des compléments essentiels (position marché et rentabilité) pour alimenter le cœur/noyau : image de marque, usages nouveaux, maîtrise technologique.
La zone dite « air-bag » d’une sphère d’influence permet de protéger le cœur de la sphère des attaques concurrentes. Il s’agit de marchés et d’écosystèmes technologie/innovation qui rendent difficile pour un concurrent l’attaque du noyau. L’entreprise crée des barrières à l’entrée (innovations disruptives, brevets, marques, normes, standards propriétaires). Intéressant également de distinguer les positions avancées de la sphère, zone de projection vers la sphère des concurrents, de détection de leurs avancées vers un futur avantage critique.
La bataille des semi-conducteurs Etats-Unis, Chine, Europe l’illustre. La sphère intègre une zone dite d’intérêts vitaux. Ce sont des marchés interconnectés qui constituent des compléments essentiels (position marché et rentabilité) pour alimenter le cœur/noyau : image de marque, usages nouveaux, maîtrise technologique.
La zone dite « air-bag » d’une sphère d’influence permet de protéger le cœur de la sphère des attaques concurrentes. Il s’agit de marchés et d’écosystèmes technologie/innovation qui rendent difficile pour un concurrent l’attaque du noyau. L’entreprise crée des barrières à l’entrée (innovations disruptives, brevets, marques, normes, standards propriétaires). Intéressant également de distinguer les positions avancées de la sphère, zone de projection vers la sphère des concurrents, de détection de leurs avancées vers un futur avantage critique.
Sphère d’influence. « Entrer en stratégie »
Les différentes zones de la sphère sont amenées à jouer un rôle dans la stratégie de confrontation non destructrice. Les zones air-bag permettent de détecter les attaques concurrentielles sur les marchés ou dans les écosystèmes technologiques intéressant l’entreprise ou une économie.
Les positions avancées ont pour objet de « harceler de nouveaux entrants » mais aussi de créer des alliances technologiques y compris avec des concurrents (équilibre des forces). L’ensemble de ces actions constitue ce que d’Aveni nomme stratégie de « compression concurrentielle », consistant à réduire la sphère d ’influence d ’un rival (pour le retrancher dans son marché cœur historique) en faisant successivement pression sur ses zones air-bag ou ses zones d ’intérêts vitaux.
A titre d’exemple, l’endiguement contrôlé (managed containment) consiste à bloquer les mécanismes de découverte du concurrent, par la préemption des innovations et des standards.
Les positions avancées ont pour objet de « harceler de nouveaux entrants » mais aussi de créer des alliances technologiques y compris avec des concurrents (équilibre des forces). L’ensemble de ces actions constitue ce que d’Aveni nomme stratégie de « compression concurrentielle », consistant à réduire la sphère d ’influence d ’un rival (pour le retrancher dans son marché cœur historique) en faisant successivement pression sur ses zones air-bag ou ses zones d ’intérêts vitaux.
A titre d’exemple, l’endiguement contrôlé (managed containment) consiste à bloquer les mécanismes de découverte du concurrent, par la préemption des innovations et des standards.
Europe, France : quelle stratégies de puissance scientifique et technologique ?
Au cœur de cette confrontation, véritable géopolitique de l’innovation, l’Europe et la France [[1]] disposent-elles des ingrédients de la puissance scientifiques et technologique ? Ou disparaissent-elles progressivement du monde pour se vassaliser ?
Avant d’aborder les rapports Draghi [[2]]et le rapport Gillet[[ 3]] , respectivement sur les failles du « pouvoir d’innovation » de l’Europe et sur les faiblesses de l’écosystème français de la recherche, un détour par le dernier rapport du Critical Technology Tracker [[1-1]]de l’Australian Strategic Policy Institute (ASPI) nous éclairera sur les écarts.
L’observatoire australien suit l'évolution de 64 technologies identifiées comme critiques par le gouvernement australien dans des domaines tels que la défense, l’espace, l’énergie, l’IA , le quantique ou les biotechnologies. Ses analyses considèrent le volume global mais aussi les 10% publications scientifiques les plus citées dans chaque domaine pour établir leur classement.
Si la précédente édition avait choisi une temporalité de 5 ans, l’ édition 2024 analyse les 21 dernières années (2003-2023). En résulte la révélation de changements majeurs dans la domination de la recherche. La Chine maîtrise désormais 57 des 64 technologies identifiées (Elle n’en maîtrisait que 3 il y a 20 ans ). Les États-Unis ont vu leur domination s'éroder avec une maîtrise passant de 60 à 7 technologies critiques sur la période. L'Inde émerge comme un acteur majeur. Elle apparaît dans le top 5 pour 45 technologies. Retenons enfin que 24 technologies sont désormais considérées à "haut risque" de monopole chinois, notamment dans le domaine de la défense.
Avant d’aborder les rapports Draghi [[2]]et le rapport Gillet[[ 3]] , respectivement sur les failles du « pouvoir d’innovation » de l’Europe et sur les faiblesses de l’écosystème français de la recherche, un détour par le dernier rapport du Critical Technology Tracker [[1-1]]de l’Australian Strategic Policy Institute (ASPI) nous éclairera sur les écarts.
L’observatoire australien suit l'évolution de 64 technologies identifiées comme critiques par le gouvernement australien dans des domaines tels que la défense, l’espace, l’énergie, l’IA , le quantique ou les biotechnologies. Ses analyses considèrent le volume global mais aussi les 10% publications scientifiques les plus citées dans chaque domaine pour établir leur classement.
Si la précédente édition avait choisi une temporalité de 5 ans, l’ édition 2024 analyse les 21 dernières années (2003-2023). En résulte la révélation de changements majeurs dans la domination de la recherche. La Chine maîtrise désormais 57 des 64 technologies identifiées (Elle n’en maîtrisait que 3 il y a 20 ans ). Les États-Unis ont vu leur domination s'éroder avec une maîtrise passant de 60 à 7 technologies critiques sur la période. L'Inde émerge comme un acteur majeur. Elle apparaît dans le top 5 pour 45 technologies. Retenons enfin que 24 technologies sont désormais considérées à "haut risque" de monopole chinois, notamment dans le domaine de la défense.
[[1-1]] ASPI’s two-decade Critical Technology Tracker: The rewards of long-term research investment
[[1]] Philippe Baumard. La France est-elle encore une puissance technologique ?, cité.
[[2]] Mario Draghi, The future of European competitiveness – A competitiveness strategy for Europe, July 2024
[[3]] Cité préc.
Les chiffres relatifs au déclassement Europe et France : la perte du « pouvoir d’innovation ».
La situation de l’Union européenne dans la guerre de l’innovation relève selon Draghi « d’une lente agonie ». Jean Tirole, notre Prix Nobel n’hésite pas à écrire que l’Europe est inexistante dans la grande bataille de l’innovation.
En 2022, l’investissement en R&D aux Etats-Unis affichait 3,5% du PIB pour 2,3% en Europe. Concernant les indicateurs de production scientifique, l ’Amérique déposait 174 brevets par habitant lorsque l’Europe en annonçait 104. Le handicap se creuse formidablement lorsque l’ancien patron de BCE, Mario Draghi, affiche les chiffres de l’investissement privé des entreprises européenne rapporté au PIB. Les cinq plus gros investisseurs américains ont dépensé 120 milliards de dollars en 2022. Leurs homologues européens n’ont dépensé que 48 milliards de dollars.
Le diagnostic approfondi du rapport Draghi relève l’effort important des entreprises allemandes dans le domaine de l’innovation, mais il est freiné par « le piège » des technologies intermédiaires et datée (automobile, chimie) dans lequel l’économie s’est enfermée. Plus loin, le rapport met en avant une priorité liée aux représentations collectives qui distinguent Amérique et Europe vis-à-vis de l’innovation. La culture du risque en Europe affiche une frilosité qui handicape l’investissement dans les technologies de rupture et bride les avancées technologiques décisives.
En 2022, l’investissement en R&D aux Etats-Unis affichait 3,5% du PIB pour 2,3% en Europe. Concernant les indicateurs de production scientifique, l ’Amérique déposait 174 brevets par habitant lorsque l’Europe en annonçait 104. Le handicap se creuse formidablement lorsque l’ancien patron de BCE, Mario Draghi, affiche les chiffres de l’investissement privé des entreprises européenne rapporté au PIB. Les cinq plus gros investisseurs américains ont dépensé 120 milliards de dollars en 2022. Leurs homologues européens n’ont dépensé que 48 milliards de dollars.
Le diagnostic approfondi du rapport Draghi relève l’effort important des entreprises allemandes dans le domaine de l’innovation, mais il est freiné par « le piège » des technologies intermédiaires et datée (automobile, chimie) dans lequel l’économie s’est enfermée. Plus loin, le rapport met en avant une priorité liée aux représentations collectives qui distinguent Amérique et Europe vis-à-vis de l’innovation. La culture du risque en Europe affiche une frilosité qui handicape l’investissement dans les technologies de rupture et bride les avancées technologiques décisives.
France
En France, le récent rapport Gillet sur l’écosystème de la recherche et de l’innovation [[1]] avance des constats justes. « Un État se définit aujourd’hui par sa souveraineté en termes de recherche, au même titre qu’en termes de défense nationale ou de justice. Un nouvel enjeu, fondamental.
Du côté de l’innovation, le grand défi concerne le lien avec la dynamique économique et industrielle[[2]]. Aussi « la projection de la recherche française à l’international est essentielle pour la visibilité et la diplomatie scientifique du pays ».
Il « remet sur le devant de la scène des points maintes fois répétés et souvent ignorés … » concernant la recherche : absence de vision de long terme, défaut de réelle stratégie, pas de planification, aucune cohérence financière, absence de coordination des chercheurs. Le rapporteur mentionne le décalage entre le rang très moyen de la France en matière de recherche et son rang de puissance économique.
« La recherche publique reste sous-financée à l’échelle d’une puissance économique comme la France ». Puissance économique ? Le « pouvoir d’innovation « repose aussi sur les fondamentaux économiques. Ceux de la France sont mauvais : baisse de la productivité (- 6% depuis 2019), chômage structurel de masse ( 7,3% de la population active), déficit budgétaire (6,2%) du PIB, déficit commercial (3,6% du PIB).
Ces deux constats, experts et solides, sans concession sur le risque avéré de déclassement international exprimé dans le rapport Draghi, ne sortent pas selon nous du paradigme de la puissance fondée sur l’établissement des normes d’excellence sur une large palette d’applications à travers les publications et les dépôts de brevet.
Retenant l’état de « vide stratégique » dans lequel se trouve la France à cet égard, « vide stratégique », au sens de répétition des grilles du passé devenue inopérantes et nous rendant incapables de comprendre la situation et ses risques , au sens aussi « de la scène rendue libre pour de nouvelles réversibilité [[1]]url:#_ftn1 », il convient de replacer au centre de la réflexion pour l’action, « la capacité de « dériver » d’une puissance d’invention (recherche et innovation) et de transformation technique vers une suprématie économique et sociale durablement défendable ».
Du côté de l’innovation, le grand défi concerne le lien avec la dynamique économique et industrielle[[2]]. Aussi « la projection de la recherche française à l’international est essentielle pour la visibilité et la diplomatie scientifique du pays ».
Il « remet sur le devant de la scène des points maintes fois répétés et souvent ignorés … » concernant la recherche : absence de vision de long terme, défaut de réelle stratégie, pas de planification, aucune cohérence financière, absence de coordination des chercheurs. Le rapporteur mentionne le décalage entre le rang très moyen de la France en matière de recherche et son rang de puissance économique.
« La recherche publique reste sous-financée à l’échelle d’une puissance économique comme la France ». Puissance économique ? Le « pouvoir d’innovation « repose aussi sur les fondamentaux économiques. Ceux de la France sont mauvais : baisse de la productivité (- 6% depuis 2019), chômage structurel de masse ( 7,3% de la population active), déficit budgétaire (6,2%) du PIB, déficit commercial (3,6% du PIB).
Ces deux constats, experts et solides, sans concession sur le risque avéré de déclassement international exprimé dans le rapport Draghi, ne sortent pas selon nous du paradigme de la puissance fondée sur l’établissement des normes d’excellence sur une large palette d’applications à travers les publications et les dépôts de brevet.
Retenant l’état de « vide stratégique » dans lequel se trouve la France à cet égard, « vide stratégique », au sens de répétition des grilles du passé devenue inopérantes et nous rendant incapables de comprendre la situation et ses risques , au sens aussi « de la scène rendue libre pour de nouvelles réversibilité [[1]]url:#_ftn1 », il convient de replacer au centre de la réflexion pour l’action, « la capacité de « dériver » d’une puissance d’invention (recherche et innovation) et de transformation technique vers une suprématie économique et sociale durablement défendable ».
[[1]] Philippe Gillet, 9 janvier 2024. « Ecosystème de la recherche et de l’innovation ». Conférence à l’Académie des technologies
[[2]] Cité préc.
[[2]] Cité préc.
Les débats nationaux et collectifs sur la stratégie à conduire.
Aux Etats-Unis, la présidence vient de publier un mémorandum [[1]] relatif à la sécurité nationale et l’exploitation de la puissance de l’intelligence artificielle, notamment au sein de l’armée et des services de renseignement. Les Américains s’inquiètent des risques pour la sécurité nationale américaine et celles des alliés des Etats-Unis à propos de l’écosystème technologique que développe les Chinois.
Celui-ci s’inscrit dans une infrastructure numérique ne protégeant pas les données sensibles, permettant une censure de masse, diffusant des informations erronées. Un tel dispositif représente un levier majeur de coercition sur ses rivaux pour la sphère d’influence chinoise. La stratégie de « containment » lancé depuis des années se poursuit afin d’empêcher la Chine d’accéder aux puces avancées essentielles pour l’IA.
Le Trésor américain a prévu d’ores et déjà pour 2025 l’interdiction d’investissements menaçant la sécurité nationale dans les domaine du quantique et de l’IA, ainsi que la sécurisation des chaînes d’approvisionnement pour les puces et les minerais nécessaires à leur fabrication. Pourtant, en mai dernier, Américains et chinois avaient lancé un dialogue sur les risques liés à l’IA. Cette embryon de coopétition s’intègre dans le débat qui s’est amplifié à l’occasion de l’actuelle campagne électorale aux Etats-Unis.
Le point est important et s’organise selon deux orientations : celle d’abord du protectionnisme (création d’un « enclos haut et étroit » autour des technologies critiques et du développement prioritaires des intérêts de la société américaine choisissant le découplage avec l’économie chinoise, jugé à la fois par la gauche des Démocrates, par des économistes et des partenaires étrangers comme un « jeu à somme nulle ». L’IRA et le Chips and science Act sont jugés avant tout comme des armes antichinoises et non dédiées au bien-être national.
Celle, ensuite, de repositionnement de la stratégie américaine vers un renforcement de la coopération mondiale pour le développement et replaçant la stratégie américaine dans un jeu à somme positive. Quoiqu’il en soit la critique de fond demeure du choix du « techno-mondialisme » durant des décennies, basé sur une dichotomie entre l’ouverture large aux marché au détriment la sécurité. D’aucuns appellent à un réarmement en matière d’intelligence stratégique nécessaire au diagnostic des nouveaux risques.
En Europe, le débat sur la sécurité nationale ne peut se concrétiser, l’Union étant une entité composée de plusieurs nations, mais le débat sur l’autonomie stratégique et la souveraineté peut construire ce que la France a proposé : une Europe-puissance. Des politiques ont été élaborées dans ce sens : la nouvelle politique industrielles et la politique de sécurité économique inédite de la Commission incluant la sécurité scientifique relative au programme de recherche Horizon Europe. A l’instigation des Etats-Unis, la Commission européenne , en 2024, a annoncé qu’elle étudiait les moyens de protéger les semi-conducteurs avancés, l’IA, les technologies quantique et les biotechnologies. Les choix irriguant les stratégies de l’Union vis-à-vis des hégémons chinois et américains semblent clarifiés : « dérisquer » plutôt que « découpler » et quête d’une autonomie stratégique (chaîne de valeur mondiales, dépendances, terres rares, énergie). Le bât blesse cependant sur le choix essentiel d’une Europe-puissance. L’Allemagne même affaiblie économiquement impose une « Europe objet » plus favorable à ses propres intérêts industriels et commerciaux et la France en perte de vitesse n’est plus audible pour contrecarrer ce choix par des alliances de rééquilibrage.
Concernant la France, regagner progressivement des marges de puissance est possible. Les composants d’une sphère d’influence sont disponibles dans une doctrine d’emploi et d’application de l’intelligence stratégique que constitue la Revue nationale stratégique de 2022, ainsi que dans le dispositif de sécurité économique élaboré et appliqué par le Service de l’information stratégique et de la sécurité économique (SISSE). Encore faut-il décider de passer à l’offensif, entrer en stratégie et sortir de nos cloisonnements qui rendent « nos intelligence aveugles ».
Le chemin d’une telle résilience et d’une telle construction sera long. Compte tenu de la dette publique française, il passera nécessairement par l’Europe et son potentiel de financement.
Celui-ci s’inscrit dans une infrastructure numérique ne protégeant pas les données sensibles, permettant une censure de masse, diffusant des informations erronées. Un tel dispositif représente un levier majeur de coercition sur ses rivaux pour la sphère d’influence chinoise. La stratégie de « containment » lancé depuis des années se poursuit afin d’empêcher la Chine d’accéder aux puces avancées essentielles pour l’IA.
Le Trésor américain a prévu d’ores et déjà pour 2025 l’interdiction d’investissements menaçant la sécurité nationale dans les domaine du quantique et de l’IA, ainsi que la sécurisation des chaînes d’approvisionnement pour les puces et les minerais nécessaires à leur fabrication. Pourtant, en mai dernier, Américains et chinois avaient lancé un dialogue sur les risques liés à l’IA. Cette embryon de coopétition s’intègre dans le débat qui s’est amplifié à l’occasion de l’actuelle campagne électorale aux Etats-Unis.
Le point est important et s’organise selon deux orientations : celle d’abord du protectionnisme (création d’un « enclos haut et étroit » autour des technologies critiques et du développement prioritaires des intérêts de la société américaine choisissant le découplage avec l’économie chinoise, jugé à la fois par la gauche des Démocrates, par des économistes et des partenaires étrangers comme un « jeu à somme nulle ». L’IRA et le Chips and science Act sont jugés avant tout comme des armes antichinoises et non dédiées au bien-être national.
Celle, ensuite, de repositionnement de la stratégie américaine vers un renforcement de la coopération mondiale pour le développement et replaçant la stratégie américaine dans un jeu à somme positive. Quoiqu’il en soit la critique de fond demeure du choix du « techno-mondialisme » durant des décennies, basé sur une dichotomie entre l’ouverture large aux marché au détriment la sécurité. D’aucuns appellent à un réarmement en matière d’intelligence stratégique nécessaire au diagnostic des nouveaux risques.
En Europe, le débat sur la sécurité nationale ne peut se concrétiser, l’Union étant une entité composée de plusieurs nations, mais le débat sur l’autonomie stratégique et la souveraineté peut construire ce que la France a proposé : une Europe-puissance. Des politiques ont été élaborées dans ce sens : la nouvelle politique industrielles et la politique de sécurité économique inédite de la Commission incluant la sécurité scientifique relative au programme de recherche Horizon Europe. A l’instigation des Etats-Unis, la Commission européenne , en 2024, a annoncé qu’elle étudiait les moyens de protéger les semi-conducteurs avancés, l’IA, les technologies quantique et les biotechnologies. Les choix irriguant les stratégies de l’Union vis-à-vis des hégémons chinois et américains semblent clarifiés : « dérisquer » plutôt que « découpler » et quête d’une autonomie stratégique (chaîne de valeur mondiales, dépendances, terres rares, énergie). Le bât blesse cependant sur le choix essentiel d’une Europe-puissance. L’Allemagne même affaiblie économiquement impose une « Europe objet » plus favorable à ses propres intérêts industriels et commerciaux et la France en perte de vitesse n’est plus audible pour contrecarrer ce choix par des alliances de rééquilibrage.
Concernant la France, regagner progressivement des marges de puissance est possible. Les composants d’une sphère d’influence sont disponibles dans une doctrine d’emploi et d’application de l’intelligence stratégique que constitue la Revue nationale stratégique de 2022, ainsi que dans le dispositif de sécurité économique élaboré et appliqué par le Service de l’information stratégique et de la sécurité économique (SISSE). Encore faut-il décider de passer à l’offensif, entrer en stratégie et sortir de nos cloisonnements qui rendent « nos intelligence aveugles ».
Le chemin d’une telle résilience et d’une telle construction sera long. Compte tenu de la dette publique française, il passera nécessairement par l’Europe et son potentiel de financement.
[[1]] Memorandum on Advancing the United States’ Leadership in Artificial Intelligence.
Conclusion
Face « à la lente agonie » et pour ne pas « disparaître du monde », il convient de retrouver le chemin de la mobilisation collective pour construire d’urgence face à la Chine et aux Etats-Unis des sphères d’influence comme équilibre de puissance non destructive, car déjà une menace prévisible se dessine sur le front de l’innovation et de la révolution industrielle. Il s’agit de l’émergence de puissances industrielles que D’Aveni définit comme des titan industriels portés par le capitalisme de plateforme et qui livreront les batailles économiques et technologiques à travers la dynamique des sphères d’influence. Nous pouvons déjà distinguer ces affrontements car nous basculons dans une compétition qui se livrera dans une économie sans frontière lisible, aux activités qui convergent, reliées par des méthodes et des outils de production partagés.
En effet, ces futurs titans industriels opèreront dans de multiples secteurs d’activités et fabriqueront des produits qui couvrent plusieurs secteurs comme par exemple le marché des équipements agricoles : machines agricoles traditionnelles croisées avec une série d’outils de haute technologie (conduite autonome, télécom et GPS) plus capacité à analyser et répondre aux conditions naturelles (temps, sol, chimie, parasites…) et analyses des tendances des marchés. Il s’appuieront sur l’impression 3D pour la majorité de sa production (économie de gamme et d’échelle) et surtout utiliseront une plateforme digitale pour connecter et optimiser les usines multi-activités qu'ils exploiteront.
La suprématie sur les technologies et les marches s’acquierera grâce à la construction de puissantes sphères d’influence.
En effet, ces futurs titans industriels opèreront dans de multiples secteurs d’activités et fabriqueront des produits qui couvrent plusieurs secteurs comme par exemple le marché des équipements agricoles : machines agricoles traditionnelles croisées avec une série d’outils de haute technologie (conduite autonome, télécom et GPS) plus capacité à analyser et répondre aux conditions naturelles (temps, sol, chimie, parasites…) et analyses des tendances des marchés. Il s’appuieront sur l’impression 3D pour la majorité de sa production (économie de gamme et d’échelle) et surtout utiliseront une plateforme digitale pour connecter et optimiser les usines multi-activités qu'ils exploiteront.
La suprématie sur les technologies et les marches s’acquierera grâce à la construction de puissantes sphères d’influence.
A propos de Philippe Clerc
Ancien rapporteur général du rapport Martre Intelligence économique et stratégie des entreprises et ancien chef de la mission compétitivité et sécurité économique au SGDN, Philippe Clerc est également ancien conseiller expert pour les études et la prospective au sein de CCI France, président de l’Académie de l’intelligence économique et président de l’Association Internationale Francophone d’Intelligence Économique.
L’Académie de l’intelligence économique est née en 1993 de la volonté d’un homme, Robert Guillaumot, à un moment important de l’histoire courte de l’intelligence économique en France : la tenue des travaux de la commission présidée par Henri Martre au Commissariat général du Plan. À travers le parcours de son fondateur, l’Académie est née d’un processus d’incubation porté par ce que j’appelle « le creuset international de l’intelligence économique », éclos aux États-Unis.
Source
L’Académie de l’intelligence économique est née en 1993 de la volonté d’un homme, Robert Guillaumot, à un moment important de l’histoire courte de l’intelligence économique en France : la tenue des travaux de la commission présidée par Henri Martre au Commissariat général du Plan. À travers le parcours de son fondateur, l’Académie est née d’un processus d’incubation porté par ce que j’appelle « le creuset international de l’intelligence économique », éclos aux États-Unis.
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