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Interview d'Henri Stiller, Président de l'ADBS partage son carnet de route pour 2025


David Commarmond
Mardi 18 Février 2025




DC : Pouvez-vous partager avec nous un aperçu de votre parcours et de votre expertise ? Quel est votre rôle au sein de l'ADBS ?

HS : Ingénieur en aéronautique de formation (Sup’Aéro), j’ai, à un moment de ma carrière, ressenti le besoin d’élargir mes compétences. Pour compléter ma formation, j’ai donc poursuivi un DEA de recherche en informatique fondamentale (qui correspond aujourd’hui à un master) composé de deux modules, dont l’un était consacré à l’intelligence artificielle. Ainsi, dès le milieu des années 70, j’ai eu l’opportunité de mener des recherches en intelligence artificielle, à une époque où le domaine en était encore à ses débuts. Je me souviens notamment des premières tentatives de modélisation, dans un contexte où les programmes d’échecs n’étaient pas encore capables de battre des joueurs humains…
 
Par la suite, j’ai rapidement créé ma propre entreprise, Histen Riller. À ses débuts, notre activité était centrée sur la production de bases de données techniques pour de grandes entreprises. Grâce au réseau issu de mon parcours académique, j’ai pu très tôt établir des contacts avec des acteurs majeurs de l’industrie dans le domaine de l’aéronautique : l’Aérospatiale - aujourd’hui Airbus – MBDA, CEDOCAR, Snecma. Nous avons très vite élargi notre champ d’action à de nombreux grands groupes français dans des secteurs très variés (EDF, Gaz de France, Crédit Agricole, Louis Vuitton, etc.) en produisant les contenus de bases de données qui servaient, in fine, à la veille stratégique.
 
Dans les années 90, une révolution technologique a bouleversé notre secteur. L’émergence des réseaux et la mise à disposition mondiale de bases de données, comme celles proposées par Dialog ou DataStar, ont profondément transformé les usages. L’offre que nous proposions jusque-là perdait de sa pertinence. Faisant d’une menace une opportunité, cette mutation nous a permis d’évoluer et d’explorer un nouveau champ d’activité : la veille et l’intelligence économique. Nous avons alors recentré notre activité et collaboré avec des entreprises technologiques de premier plan, comme Naval Group, Renault, Ademe.
 
Avec le temps, j’ai progressivement quitté mes fonctions opérationnelles dans l’entreprise. J’ai prolongé ma carrière professionnelle en tant que professeur associé à l’université de Lille, où j’enseignais et partageais mon expérience avec les étudiants. C’était une expérience particulièrement enrichissante : la transmission d’un savoir acquis sur le terrain, complémentaire des enseignements plus théoriques des chercheurs, était très apprécié des étudiants.


DC : Comment êtes-vous passé du monde de l’entreprise à la présidence de l’ADBS ?

HS : Le fil conducteur sont les bases de données, ce qui nous a toujours maintenus en lien étroit avec les services de documentation des entreprises. Par ailleurs, j’avais en permanence des besoins de recrutement, notamment lorsque nous nous sommes lancés dans la veille. Pendant des années, nous avons détaché des ingénieurs veilleurs auprès de plusieurs entreprises, et en particulier chez Renault.
 
Naturellement, je me suis intéressé à cet écosystème : les documentalistes, leurs métiers, leurs besoins. C’est ainsi que je me suis rapproché de l’ADBS, qui est l’association de référence en France pour ces professions. Elle m’a aussi été d’une grande aide pour simplifier nos campagnes de recrutement, grâce à son service d’offres et de demandes d’emploi, qui permet un ciblage efficace et réduit le "bruit". Les candidats étaient qualifiés et en adéquation avec nos besoins, ce qui représentait un vrai gain de temps.
 
Avec le temps, mon engagement au sein de l’ADBS s’est renforcé. Membre du Conseil d’administration, puis Trésorier pendant quatre ans, j’ai accepté le défi lorsque la question de reprendre la présidence en cours de mandat s’est posée. Il restait encore un an avant la fin du mandat, et fort de mon expérience au sein du Conseil d’administration, j’ai assuré cette transition. L’année suivante, le conseil d’administration fut entièrement renouvelé, et je me suis porté candidat à la présidence.
 
Pour moi, un tel engagement se doit d’être gagnant-gagnant : enrichissement aux plans professionnel et personnel, tout en apportant à l’ADBS mon expérience de management d’équipes, de gestion d’une petite structure en perpétuelle évolution, aussi bien que la connaissance de son écosystème. Et cet équilibre s’établit de manière satisfaisante à mon sens. Je trouve un réel intérêt intellectuel dans mes activités pour l’ADBS, je partage de belles expériences humaines par le management et le travail en équipe.
 
Avec toutes les animatrices, les animateurs, les bénévoles, nous faisons évoluer l’association, nous la faisons bouger et continuer de rayonner, et c’est très gratifiant.  Nous souhaitons tou.te.s que ce travail collectif renforce l’intérêt pour devenir ou rester membre de l’association.

DC : Pouvez-vous nous faire partager votre expérience sur les premiers projets issus de la collaboration avec le gf2I ?

HS : Cette collaboration est naissante. Ce que je peux vous dire, c'est qu'il existe une synergie évidente entre le gf2i et l’ADBS.
D'un côté, le gf2I regroupe de grandes entreprises et groupes focalisés sur les problématiques de la data, de la veille et de l’accès à l’information stratégique. De l’autre, l’ADBS rassemble des professionnels dont la mission est justement de produire et de délivrer cette information, en se concentrant davantage sur les usages. Il y a donc une complémentarité naturelle : les membres du gf2I peuvent s’appuyer sur l’expertise des adhérents de l’ADBS, notamment à travers son offre de formation, tandis que l’ADBS a tout intérêt à collaborer avec le gf2I pour être au plus près du terrain, mieux comprendre l’évolution des besoins et des métiers.
 
C’est dans ce cadre que nous avons initié un partenariat. Pour l’instant, cela se traduit concrètement par une participation à des groupes de travail, notamment sur la veille et l’intelligence artificielle.
 
Par ailleurs, nous nous invitons mutuellement à nos événements respectifs. Un projet en discussion, par exemple, serait une intervention de l’ADBS lors d’I-Expo... mais cela reste encore à confirmer. Nous réfléchissons aussi à l’organisation d’un événement commun, probablement au second semestre de l’année, mais il est encore un peu tôt pour en parler en détail. Après notre réunion de la semaine prochaine, je pourrai vous donner une vision plus précise des actions à venir.

DC : Pouvez-vous nous éclairer sur la stratégie de communication de l'ADBS pour l'année 2025 ?

HS : Nous travaillons activement sur notre communication, car il est essentiel de bien faire connaître nos actions.
Notre objectif est double : élargir notre audience en attirant de nouveaux adhérents issus de professions variées, et renforcer la visibilité de notre offre de formation.
 
L’ADBS propose en effet des formations très spécialisées, concrètes et dispensées par des experts du domaine. Elles sont reconnues pour leur qualité, avec un taux de satisfaction avoisinant les 9,6/10. L’ADBS comme organisme de formation est certifiée Qualiopi. Nous avons donc tout intérêt à mieux communiquer sur ce que nous savons bien faire.
 
Depuis 2022 nous avons un chargé de communication prestataire, et développons une stratégie sur LinkedIn et d’autres réseaux sociaux. À ce sujet, l’ADBS a récemment pris la décision de quitter le réseau X, pour des raisons déontologiques et éthiques. Nous souhaitons en effet rester alignés avec nos valeurs, qui prônent un accès à une information fiable, vérifiée et non manipulatoire. En revanche, nous envisageons d’ouvrir un compte sur BlueSky et restons présents sur les autres réseaux traditionnels.
 
Par ailleurs, nous disposons d’un site internet qui est notre vitrine et notre espace d’échanges et de discussions, avec certaines sections réservées aux adhérents, notamment les contenus à forte valeur ajoutée. Nous publions également la revue I2D (Information, Données et Documents), qui constitue un canal de communication essentiel. Cette revue, dont chaque édition est consacrée à un thème bien spécifique, est très appréciée dans les milieux professionnels et universitaires. Elle est référencée, ce qui signifie que les articles qu’elle publie comptent dans les productions académiques des chercheurs pour l’évolution de leur carrière.
 
Dans le domaine de l’édition, l’ADBS publie des ouvrages qui sont diffusés – tout comme la revue I2D – sur la plate-forme CAIRN.
 
Nous organisons également des événements en ligne, comme le format "Un jour, une astuce", qui propose des webinaires de 30 minutes sur des sujets précis. Ces sessions sont ouvertes à tous, mais les replays sont exclusivement accessibles aux adhérents. Pour revoir un épisode que l’on aurait manqué, il faut être membre de l’ADBS ! C’est un des nombreux avantages que nous réservons à nos adhérents.
 
Enfin, dans le cadre de notre partenariat avec le gf2I, nous prévoyons de diffuser des annonces et des communiqués de presse communs afin de renforcer notre visibilité et notre impact.

DC : Vous avez mentionné l’intelligence artificielle à deux reprises : à travers votre parcours, et ensuite via les bases de données, qui sont au cœur des activités ADBS et du gf2I. Le Sommet de l’IA 2025 vient de s'achever: comment percevez-vous l’impact de l’IA sur les entreprises ?

HS : Bien sûr j’ai suivi les annonces du sommet, même si je n’ai pas assisté aux conférences. Il est logique que les discussions soient restées principalement au niveau politique, puisque l’événement réunissait de nombreux responsables politiques et non des experts techniques. Ce n’était pas un séminaire technologique.
 
Le monde politique use et abuse des effets d’annonce, et la question est souvent de savoir quelles actions concrètes en découleront. Ce sommet a néanmoins marqué un engagement fort, notamment en matière d’investissements, avec des décisions prises à l’échelle européenne. On sent une véritable prise de conscience des enjeux liés à l’IA, dans un contexte géopolitique où le monde s’organise en blocs, avec l’Europe face aux États-Unis et à la Chine. Cette approche européenne est rassurante, mais reste à voir comment les entreprises des différents pays vont concrètement collaborer et optimiser ces investissements.
 
La France, de son côté, a l’avantage de compter plusieurs pépites technologiques dans ce domaine. L’intelligence étant répartie équitablement à travers le monde, ce qui fait la différence, c’est la capacité à investir et à donner aux chercheurs et ingénieurs les moyens de travailler. Il est donc essentiel de renforcer les partenariats entre universités, établissements d’enseignement et industries pour structurer et soutenir cet écosystème.

 
L’impact de l’IA sur les métiers de l’information

Au sein de l’ADBS, nous sommes pleinement conscients que l’IA va bouleverser nos professions. Mais plutôt que de subir cette transformation, considérons la comme une opportunité. De la même manière qu’Internet à ses débuts, l’IA comporte des aspects positifs, négatifs et inquiétants. L’enjeu est donc de maîtriser son usage et d’accompagner sa mise en œuvre.
 
Les professionnels de l’information ont un rôle clé à jouer : ils doivent devenir les experts de référence sur l’usage de l’IA dans les entreprises, les administrations et les organisations. Leur mission ne se limite pas à collecter et diffuser de l’information, mais aussi à guider et conseiller sur les bonnes pratiques, la veille avec l’IA, et les méthodes de travail adaptées à ces nouveaux outils.
 
C’est pourquoi la formation continue est essentielle. L’ADBS propose des formations adaptées à ces enjeux : non seulement des initiations, mais aussi des modules spécialisés sur l’application de l’IA dans différents domaines. De plus, nous proposons également des formations sur la valorisation des compétences, afin que nos adhérents puissent mieux faire reconnaître leur expertise et s’imposer comme des acteurs stratégiques dans leurs organisations.
 
L’avenir des professionnels de l’information passe par l’intégration intelligente de l’IA dans leurs pratiques. Il est crucial qu’ils s’y forment dès maintenant pour en tirer le meilleur parti et renforcer leur valeur ajoutée.

DC : Comment le partenariat entre l’ADBS et le gf2I permet-il de co-construire des formations adaptées aux besoins des entreprises ? Renforce-t-il aussi votre influence auprès des autorités sur l’IA, l’emploi et la formation ? Enfin, les professionnels de l’information doivent-ils passer d’un rôle en aval à une approche plus stratégique et proactive ?

HS : D’accord. Mais avant de répondre sur ce point, je voudrais revenir sur la question des formations. Si vous avez discuté avec Philippe Masseron, vous avez sûrement perçu l’intérêt du gf2I pour ce partenariat.
 
Du point de vue de l’ADBS, cette collaboration nous permet d’être plus proches des besoins des entreprises. Mais du côté du gf2I, l’un des principaux atouts est justement l’accès à notre offre de formation. L’idée serait d’aller plus loin et de co-construire certaines parties du catalogue. En travaillant étroitement avec le gf2I, nous pourrons mieux identifier les attentes du terrain et adapter nos formations en conséquence. L’ADBS resterait en charge de trouver les experts et d’élaborer les contenus, mais avec une meilleure adéquation aux besoins des entreprises.
 
Dans ce cadre, les membres du gf2I qui adhèrent à l’ADBS bénéficient, comme tous nos adhérents, de tarifs préférentiels sur nos formations. En réponse, les adhérents de l’ADBS peuvent adhérer au gf2i à des conditions très avantageuses.
Concernant l’impact de ce rapprochement sur notre influence auprès des autorités et des instances de régulation, il est clair qu’en unissant nos forces, nous avons plus de poids. L’ADBS est déjà un acteur reconnu, mais cette alliance avec le GF2I nous permet d’être davantage écoutés sur des sujets clés comme l’intelligence artificielle, l’emploi et la formation.
 
Enfin, votre remarque sur l’évolution du rôle des professionnels de l’information est tout à fait pertinente. Historiquement, la documentation était souvent reléguée à un rôle en aval, consistant à fournir des analyses une fois les décisions prises. Or, aujourd’hui, avec les enjeux liés à l’IA et aux mutations géopolitiques, cette expertise devrait être mobilisée en amont, pour éclairer la prise de décision.
 
J’ai moi-même constaté cette frustration dans la profession, notamment chez les responsables de centres de documentation, qui ont souvent du mal à faire reconnaître leur rôle stratégique.

DC : Ne faudrait-il pas mener des actions auprès de France Travail pour actualiser les codes ROME et les fiches métiers, qui sont parfois obsolètes et ne reflètent plus la réalité des métiers de l’information, de la veille et de l’intelligence économique ? Cela permettrait d’améliorer le recrutement et d’offrir une vision plus juste aux futurs professionnels du secteur.

HS : Nous avons récemment mis à jour notre référentiel métier. Ce travail de mise à jour permet d’avoir une vision plus actuelle des compétences et des évolutions du secteur.
Il serait en effet pertinent de sensibiliser France Travail à cette question afin que les fiches métiers officielles soient mieux adaptées aux réalités du marché.

DC : Est-ce que France Travail utilise ce référentiel métier ?

HS : Pas à ma connaissance. D’ailleurs, c’est un point important que je voulais vous signaler, car cela donne une bonne vision de la manière dont l’ADBS perçoit aujourd’hui son écosystème professionnel.
 
Concernant le partenariat entre le gf2I et l’ADBS, son objectif est justement d’amplifier notre influence sur ces sujets. Nous allons commencer à structurer une véritable stratégie dans ce sens, et cela fera partie des discussions lors de notre réunion de la semaine prochaine. Cette initiative vient en grande partie de Thomas Parisot, président du GF2I, qui met l’accent sur deux leviers majeurs : la formation et l’influence.
 
Quand on parle d’influence, il ne s’agit bien sûr pas de lobbying au sens négatif du terme, mais plutôt de faire entendre le point de vue des professionnels du secteur. Le gf2I regroupe des producteurs d’information et de bases de données, tandis que l’ADBS représente les usagers et les professionnels de l’information. Ensemble, nous avons un rôle clé à jouer dans les débats sur la réglementation de l’IA et même des réseaux sociaux.
 
L’enjeu est d’éviter un excès de réglementation, qui pourrait freiner l’innovation et compliquer l’activité des entreprises – et en tant que chef d’entreprise, je mesure bien cet équilibre à trouver. Mais il faut tout de même un cadre, et c’est là que l’Europe adopte une approche différente de celle des États-Unis ou d’autres pays. Grâce à ce partenariat, nous pourrons porter une voix plus forte auprès des pouvoirs publics, des instances de régulation et des établissements d’enseignement, notamment pour faire évoluer les cursus de formation.
 
Concernant plus spécifiquement les concours de la fonction publique et la nomenclature des métiers, l’ADBS est impliquée dans une action en cours pilotée par le ministère de la Culture, aux côtés de plusieurs associations professionnelles. L’objectif est de mettre à jour les intitulés de postes et les procédures de concours, afin qu’ils reflètent mieux l’évolution des métiers de l’information.
 
Cependant, ces efforts restent encore limités. Idéalement, il faudrait élargir cette démarche à un niveau plus global, et c’est précisément un des chantiers que nous souhaitons mener avec le gf2I. C’est une mission essentielle, mais qui demande un investissement en temps conséquent, car nous faisons face à une grosse machine administrative. Les résultats ne seront pas immédiats, mais c’est un travail de fond nécessaire.

Merci Henri Stiller pour cet échange