
Le « soft power réglementaire » européen : une menace pour la domination américaine
Aux yeux de l'administration Trump – et de Vance en particulier –, le « soft power réglementaire » de l'Union européenne (UE) est perçu comme une arme visant à restreindre l'hégémonie numérique des États-Unis. Selon Christian Harbulot, la capacité de fixer des standards internationaux relève pleinement de la « guerre économique », puisque ces règles, conçues à Bruxelles, peuvent transformer le marché en imposant des contraintes d'accès pour les acteurs extérieurs.
Pour Vance, la protection des données personnelles (RGPD) ou les propositions de régulation concernant les plateformes (Digital Service Act) représentent autant d'outils de nature à contrecarrer la suprématie américaine. Dans cette optique, les normes européennes sont analysées comme une forme d'« offensive » visant à freiner l'innovation américaine et à réduire la part de marché des Big Tech.
Une riposte américaine axée sur la dérégulation et l'affaiblissement de l'autonomie européenne
Depuis la doctrine « America First », l'objectif américain consiste non seulement à défendre les intérêts de l'industrie nationale, mais aussi à empêcher que l'UE ne gagne en autonomie stratégique.
Dans la vision de Christian Harbulot, le principe même d'autonomie européenne menace la capacité américaine à imposer ses propres règles du jeu.
Dans la vision de Christian Harbulot, le principe même d'autonomie européenne menace la capacité américaine à imposer ses propres règles du jeu.
J.D. Vance critique ainsi ce qu'il considère comme un « légalisme » excessif au sein de l'UE, arguant que l'abondance de règlements favorise avant tout les entreprises déjà bien établies sur le marché européen et pénalise les acteurs américains. Cette volonté de « faire plier » l'Europe, à travers la remise en cause de ses normes, illustre parfaitement la dimension offensive de la « guerre économique » : il s'agit d'affaiblir la régulation européenne pour maintenir la domination technologique et économique des États-Unis.
L'asymétrie numérique et la stratégie de « containment » réglementaire
Les rapports de force évoqués par Christian Harbulot mettent en lumière l'asymétrie entre la Silicon Valley, véritable pôle d'innovation mondial, et le tissu industriel européen, moins compétitif dans le numérique. Face à ce déséquilibre, Bruxelles tente d'instaurer un cadre réglementaire (RGPD, DSA, etc.) afin de protéger ses consommateurs et ses entreprises.
Toutefois, selon Vance, l'UE chercherait surtout à créer un « environnement protégé » masquant son retard technologique. Dans cette logique, l'administration Trump considère que l'Europe recourt à l'outil réglementaire comme levier d'une « guerre économique » défensive : poser des barrières pour empêcher les géants américains de dominer sans partage le marché européen.
IA et questions éthiques : un champ de bataille stratégique
Le rôle central de l'IA dans la « guerre économique » contemporaine est indéniable. La capacité à innover en matière d'Intelligence Artificielle confère un avantage considérable en termes d'influence, de collecte de données et de potentialités commerciales. Or, l'approche européenne – qui insiste sur les enjeux éthiques, la transparence algorithmique et la protection de la vie privée – peut être perçue aux États-Unis comme une entrave à la compétitivité.
Dans une optique telle que défendue par Christian Harbulot, la sécurité des données et la souveraineté numérique sont autant de dimensions d'une bataille pour le contrôle des infrastructures et de l'information. L'IA est le nouveau terrain de compétition, et la régulation européenne constitue, de fait, un contre-pouvoir à l'expansion technologique américaine.
Le nouvel unilatéralisme américain : affaiblir le partenaire pour mieux dominer
Christian Harbulot met en avant l'idée que, dans une guerre économique, l'unilatéralisme vise souvent à empêcher la formation d'alliances ou de cadres de négociation qui pourraient profiter à la partie adverse.
Dans le cas des États-Unis sous Trump, la remise en cause des instances multilatérales – du commerce à la sécurité – signale une volonté de ne plus négocier sur un pied d'égalité.
Dans le cas des États-Unis sous Trump, la remise en cause des instances multilatérales – du commerce à la sécurité – signale une volonté de ne plus négocier sur un pied d'égalité.
La position de Vance consiste à écarter les cadres de concertation transatlantiques et à réaffirmer la supériorité américaine, tant sur le plan militaire que technologique. Cette stratégie accroît la fracture avec l'UE, dépeinte comme un concurrent dans la bataille normative, plutôt que comme un allié stratégique.
Un équilibre fragile entre innovation et droits fondamentaux
Pour les Européens, la réponse à la « guerre économique » passe par une régulation protectrice des droits fondamentaux et de la concurrence loyale. Il s'agit de s'assurer que les géants du numérique ne puissent imposer sans contrôle leurs modèles commerciaux et leurs pratiques en matière de collecte de données.
Toutefois, la critique américaine souligne que des normes trop restrictives peuvent effectivement freiner l'innovation, surtout pour les acteurs émergents. Le point d'équilibre entre respect des droits et compétitivité demeure donc précaire ; dans la vision harbulotienne, c'est précisément dans cet espace que se joue la capacité de l'Europe à s'affirmer comme un pôle autonome, capable de développer ses propres champions technologiques.
l'« America First » comme stratégie d'anéantissement de l'autonomie européenne
À la lecture de Christian Harbulot et de l'approche de l'École de Guerre Économique de Paris, l'intervention de J.D. Vance ne se réduit pas à une simple critique du « soft power réglementaire » européen : elle illustre la volonté américaine de maintenir son hégémonie dans un contexte de plus en plus concurrentiel. Empêcher l'émergence d'une souveraineté numérique européenne revient à empêcher que l'UE puisse peser sur l'échiquier mondial.
Dans cette « guerre économique », l'UE se retrouve contrainte à trouver un juste milieu entre la protection de ses valeurs (droits fondamentaux, vie privée, concurrence équitable) et la nécessité de soutenir l'innovation. Sans dialogue constructif, le risque est de voir s'accentuer la défiance mutuelle et de cristalliser une confrontation durable : d'un côté, l'« America First » cherchant à annihiler toute autonomie européenne ; de l'autre, une Europe cherchant tardivement à forger sa propre identité stratégique et à ne pas se laisser dicter les règles par l'hyper-puissance américaine.
A propos de ...
Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d'études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d'étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l'accent sur la dimension de l'intelligence et de la géopolitique, en s'inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l'École de Guerre Économique (EGE)
Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/ et avec l'Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l'Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/