Prospective

L’Anticipation. Prévoir le futur : établir des processus et outils essentiels pour la survie de l’organisation.


#Raphael de Vittoris - #Michelin




L’anticipation est un élément dont l’importance est systématiquement louée dans l’univers de la gestion de crise. S’il est aisé de concevoir le bénéfice d’une anticipation pertinente afin de préparer l’organisation à affronter l’évènement tout en évitant un maximum la perte de repères associée, il est beaucoup moins facile de saisir les limites floues d’une activité propice à l’expression des biais.
L’anticipation, littéralement « prendre avant », se base essentiellement sur la prévision du futur en vue d’un ajustement des actions et situations du présent. Dans l’univers incertain de la crise, il a été maintes fois établi du caractère fondamental de cette prévision du futur pour l’établissement des processus et outils essentiels pour la survie de l’organisation.


Le besoin d’anticipation n’a plus besoin d’être confirmé

 
  • de réduire à la fois l’ambiguïté (par des interprétations possibles d’un réel futur dont les manifestations parcellaires pourraient générer des incompréhensions et des pertes de repères) et
  • l’incertitude (fournir un spectre large des possibles permettant à l’organisation de se situer dans l’échelle des possibles). Cette proposition structurante de l’avenir, forcément inexacte, n’a pas pour objectif la précision mais la mise en place de repères garantissant une focalisation constante et une interprétation cohérente et collective des évènements.
Second bénéfice majeur, celui d’amorcer un mouvement.
Dans des états de procrastination, de sidération ou de panique, l’anticipation permet, par une perspective future (aussi inexacte soit-elle) positive ou négative, de forcer à amorcer l’action. C’est alors en perspective des situations à venir que des actions peuvent s’amorcer et des décisions se prendre.
 

Il est essentiel tenir compte des « nouvelles » caractéristiques du réel.

Nos sociétés sont désormais le lieu d’interactions et déchanges récurrents, parfois autodéterminés et non-linéaires d’organisations complexes. Cette complexité a une tendance à augmenter avec la progression technologique et l’élaboration des tâches et induit ainsi une propension statistique à l’apparition de défaillance.
En outre, le couplage étroit entre les activités des différents systèmes conduit à une propension, pour les défaillances, à se propager dans l’organisation et même au niveau des organisations environnantes. C’est en partie en raison de ces éléments que les nœuds évènementiels que sont les crises actuelles deviennent multidimensionnelles et non plus typiques et catégorisables par familles comme les penseurs de la crise auraient pu l’envisager dans le passé.

Il convient, en outre, d’admettre les limites de l’anticipation

L’anticipation consiste essentiellement à une élaboration conceptuelle de l’avenir.
Or les propositions sont le fruit d’un réarrangement des connaissances dans une proposition semblant plausible pour des situations futures. Ainsi, l’activité même d’anticipation repose sur l’induction avec toute la notion d’erreur cognitive qu’elle véhicule.
Dans ses ouvrages Taleb utilise l’exemple d’une dinde pour qui l’apparente linéarité de son existence l’aveugle de futurs alternatifs à cette linéarité (son exécution à la veille de Thanksgiving).
Il est donc difficile aux anticipateurs de s’affranchir du passé pour imaginer le futur et d’éviter ainsi tout biais inductif.
Cette difficulté s’ajoute d’ailleurs à une conséquence négative des schémas anticipatifs lorsqu’ils sont établis et partagés : la réduction du champ cognitif des cellules de crises qui se reposent d’abord (ou se focalisent) sur cette perspective de futur sans la challenger.

Notre proposition

  1. Soulager les acteurs en charge de l’anticipation de toute autre tâche afin de bénéficier au maximum de leur ouverture cognitive
  2. Singulariser des équipes dédiées dans un processus uniquement tourné vers des prospectives à court, moyen et long terme. Une telle approche collective de l’anticipation, par l’émulation et la conceptualisation / projection par rebond qu’elle génère enrichi les réflexions et propositions
  3. Impliquer des acteurs sans spécialisation stricte en lien avec la crise en cours ni d’orientation opérationnelle forte. Une telle approche permettra une plus grande objectivation et un plus grand recul de la démarche
  4. Baser son approche sur la loi de Murphy en s’interrogeant constamment à propos de « comment cela pourrait-il être pire ? »
  5. Impulser les réflexions sur des scenarii de rupture, bouleversant les idées préconçues ou les éléments tenus pour acquis. De ce fait, il est fondamental de ne pas s’imposer de restriction vis-à-vis de la plausibilité des projections

Auteur : Raphaël de Vittoris

Raphaël de Vittoris est en charge de la gestion de crise pour le groupe Michelin depuis plus de 7 ans. Il a élaboré et implanté le système de gestion de crise au sein de l’entreprise et a été à la tête de la cellule de crise du groupe durant la crise de Covid-19. Titulaire d’une thèse en science des organisations avec spécialisation en gestion de crise, il enseigne la gestion de crise et des risques dans divers masters (Lyon 3, Clermont-Ferrand, Paris 1 Panthéon Sorbonne, École Nationale Supérieure des Sapeurs-Pompiers).
Il est l'auteur de
Surmonter les crises Idées reçues et vraies pistes pour les entreprises
Collection :  Hors collection, Dunod Parution :  juin 2021 Raphaël De Vittoris