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LA FRANCE VA-T-ELLE SORTIR DE L'HISTOIRE ? de Frédéric FRACHON et Philippe GENSOU. L'avis de Jean-Claude Javillier. Ie-IHEDN


Frédéric Frachon. Philippe Gensou
Jeudi 1 Juillet 2021




Frédéric FRACHON et Philippe GENSOU, “La France va-t-elle sortir de l’histoire ? Pourquoi et comme il faut agir, maintenant” Préface d’Alain JUILLET VA EDITIONS, Collection Guerre de l’Information Paris, 2020

Voici un livre qu’il nous faut lire, en prenant son temps. Trop souvent, nous parcourons des ouvrages, avec une insoutenable légèreté, dont nous ne saisissons ni la profondeur ni la portée. Oui, il nous faut lire ce livre, en prenant le temps d’en saisir la complexité justifiée des concepts, des raisonnements, des analyses et des propositions. Amateurs de légèreté et de superficialité, s’abstenir ! Mais si vous souhaitez vous demander pourquoi et comment agir pour que la France ne sorte point de l’Histoire. Alors, il vous faut lire, dès maintenant, ce livre.
Et aussi, de ne point omettre la préface d’Alain JUILLET, qui souligne la pertinence et l’ampleur des analyses des deux auteurs.

Il est essentiel d’observer combien cet ouvrage s’inscrit dans un cheminement qui a son origine dans des recherches (dans le cadre de l’Ecole de Guerre Économique).

 Et il n’est point de recherche sans ardeur ni humilité. La seule vérité, mais la grande supériorité aussi des universitaires, est qu’elles et ils savent peu. Mais que l’intelligence singulièrement collective est le point de passage oublié de tout progrès et capacité de comprendre et d’agir. Frédéric FRACHON et Philippe GENSOU nous livrent le fruit d’un libre et large dialogue entre eux deux, et aussi, désormais, avec nous, lectrices et lecteurs qui aspirons à progresser dans la compréhension des questions traitées.
Au coeur des analyses et propositions d’action, se trouve bien évidemment la politique de sécurité nationale. Et bien évidemment, pour la France, le passage de la défense nationale à la sécurité économique, n’est pas une mince affaire, sémantique, et bien évidemment politique non plus que sociétale. Ce qui est essentiel, c’est bien de prendre en compte les profondes et complexes mutations du monde, et du continent européen. Pour ce faire, il faut savoir gré aux deux auteurs de nous convier à analyser la situation en d’autres pays, et continents. Le choix a été fait de ne retenir que quelques expériences étrangères : Etats-Unis, République populaire de Chine, Fédération de Russie et Etat d’Israël.

Bien évidemment, en si peu de pages, il ne peut s’agir que de grandes lignes, d’informations générales. Mais ce n’est point dire sans rigueur ni profondeur. Cependant, le lecteur est quelque peu troublé par la juxtaposition d’analyses stratégiques (singulièrement pour l’Etat d’Israël) et d’informations administratives (pour la Chine) Les auteurs observent que cette analyse comparative mériterait un ouvrage. Il est vivement à souhaiter que les auteurs le rédigent.
Ce sont les limites et faiblesses de la politique de sécurité nationale en France qui retiendront sans doute des lectrices et lecteurs. C’est fort pertinemment à l’aune des nouveaux formats de puissance que les analyses sont faites par les auteurs. Et le constat est fait que la refondation d’une puissance française assumée est la pierre angulaire du réarmement cognitif. Tel est le préalable de la lutte efficace contre les Etats prédateurs qui ont pour objectif de porter atteinte aux intérêts vitaux de la France.
Les deuxième et troisième parties de l’ouvrage sont fondamentales, car elles lient, pour l’action, présent, qui ne l’est déjà plus, et futur qui est déjà là. Cette dimension temporelle qui constitue un fil rouge si pertinent dans l’ouvrage, est de nature à contribuer à la mobilisation de chacune et chacun pour pratiquer un réarmement cognitif pour se réapproprier la notion de puissance. Deux projections sont, de façon très percutante, proposées. qu’on laissera découvrir au lecteur. Car il a bien du suspens dans cet ouvrage !
 

Dans la projection numéro 2, figurent de nombreux éléments qui ne doivent retenir l’attention de chacune et chacun, notamment la tentation du communautarisme et la la gestion des perceptions sur le prisme de l’émotion par l’opinion publique.

De toutes ces analyses, il découle, en autres, une nécessité de changement de posture, de renforcement de la cohésion nationale, et des capacités de résilience de la France. Chacune et chacun est conscient des la complexité et de l’immensité des changements requis pour une politique de sécurité nationale pertinente et efficace dans le monde contemporain, qui change tant et si rapidement.
Enfin, puisque de Smart Power, il est parlé, on aimerait que le droit, lato sensu, les normes quelque soit leur nature et force juridique, retienne de façon plus développée l’attention des auteurs. Le sentiment est en effet qu'une critique radicale du droit des Etats-Unis d’Amérique est fort souvent faite, car instrument de domination dans une guerre économique. Bien évidemment, l’argument vaut d’être examiné de façon rigoureuse et technique. Mais puisque les auteurs appellent à utiliser le droit et l’influence normative comme instruments de la puissance, qu’il soit permis d’observer combien la langue est lié à tout système juridique. Et combien la langue française, qui conserve bien sûr toute son importance dans le monde, n’est pas actuellement en mesure de soutenir une influence juridique et plus généralement dans le monde. Le “globish” et la Common Law ont une puissance et une influence qui est sans commune mesure. Et encore, combien l’influence d’un pays, en matière juridique et normative, tient à la perception et la pratique qu’en ont les autres, en terme d’Etat de droit, de bonnes pratiques et d’efficacité, de la législation et de son système judiciaire. Qu’il soit permis d’observer qu’en ces domaines, de complexes et immédiats défis sont à relever par la République Française.

Synthèse et références

   
Bien que la définition actuelle de la sécurité nationale française apparaisse pertinente et adaptée, son application dans les faits demeure hétérogène et inégale. La sécurité économique ne bénéficie pas d’un soutien à la hauteur des enjeux et notre indépendance stratégique souffre d’un manque de vision et de cohérence à long terme. La gouvernance et la coordination des politiques publiques sont bien souvent inefficaces, par défaut d’une véritable remise en cause en tirant les leçons des échecs passés.

Nous assistons pourtant chaque jour aux joutes informationnelles et bras de fer juridiques de pays tiers en recherche de puissance, caractérisant une guerre globalisée sur le terrain économique. Sur cet échiquier mondial où la France doit manœuvrer au mieux de ses intérêts vitaux, une posture intellectuelle idéologique trop naïve, essentiellement défensive, ne lui permet plus de relever ce défi de la mondialisation en accroissant ses richesses.

C’est avec lucidité que la France doit reconnaître puis s’approprier les formats modernes revêtus par la puissance, faute de quoi elle sortira tout simplement de l’histoire. Il est plus que temps de réagir !

Jean-Claude Javillier. IE-IHEDN

Jean-Claude Javillier, né en 1945, est agrégé des Facultés de Droit (France, 1973). Il a enseigné le Droit du travail et des relations industrielles comparées à Bordeaux (Université de Bordeaux IV), puis à Paris (Université Panthéon-Assas, Paris II).

Il a été Professeur invité aux Universités de Leuven, d’Oxford, d’Ottawa et de Sao Paulo, ainsi qu’à l’Institut japonais du Travail à Tokyo. Il est Président d’honneur de l’Association Française d’Études des Relations Professionnelles (AFERP, Paris). Il a été Président de la section du BIT de la Société internationale de droit du travail et de la sécurité sociale (Genève).

Il a été titulaire de la Chaire du Prix Nobel de la Paix attribué à l'Organisation internationale du Travail (Chaire David MORSE, Université de Liège - Institut International d’Études Sociales, Bureau international du Travail, Genève, 1993).

Il est docteur Honoris Causa de l’Université d’Anvers.

Au Bureau International du Travail (Organisation Internationale du Travail, Genève), de janvier 2001 à octobre 2007, il a occupé les postes de Directeur du Département des normes internationales du travail, puis de Conseiller principal à l’Institut International d’Études Sociales.

Depuis novembre 2007, il est Professeur émérite à l’Université Panthéon-Assas (Paris-II) et a été conseiller scientifique à la chaire de régulation de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Ayant prêté serment en 2008, il est avocat au Barreau de Paris, et membre du conseil scientifique de CAPSTAN, Ius Laboris International Network.

De 2010 à 2015, il a été Président de l'Association Française pour l'Organisation Internationale du Travail qui a son siège au Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE, Palais d’Iéna, Paris).

Il est Président de l’Association des Auditeurs en Intelligence Economique de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale (IE-IHEDN, Ecole Militaire, Paris).

Il a publié divers ouvrages (manuel de droit du travail, LGDJ, Paris, 7 éditions) et articles dans les domaines des relations de travail comme professionnelles, et de la gouvernance mondiale.

Il a le grade de Chevalier dans l’Ordre des Palmes Académiques (France) et de Grand Officier de l’Ordre de la Justice du Travail (Brésil).