Personnalités

La communauté de l'Intelligence Economique française accueille un nouveau membre, Boubacar Diallo


David Commarmond
Mercredi 4 Décembre 2019


La communauté de l’IE a le plaisir de compter un nouveau membre. Boubacar Diallo, qui vient de soutenir sa thèse professionnelle pour la validation du diplôme de Mastère spécialisé Analyse Stratégique et Intelligence Economique à l’EISTI. L’intitulé du sujet « Les GAFAM sont-elles dans une démarche de souveraineté numérique de l’entreprise ? ». Boubacar Diallo s’est penché sur un thème d’actualité et particulièrement sensible : la souveraineté à l’ère du numérique.



En alternance pendant plusieurs mois au sein de la CCI France sous le patronage de Philippe Clerc, de Thibault Renard, Boubacar Diallo a œuvré au développement de l’intelligence économique et de la cybersécurité. Il s’est intéressé aux GAFAM, à la géopolitique associée au numérique, etc.


Quels sont les fondements de la souveraineté ?
 La souveraineté nationale classique au sens de l’expression, désigne le pouvoir suprême d’une autorité publique dans un territoire délimité par des frontières physiques. A l’aube du XXIe siècle, avec la généralisation du numérique, le développement de l’internet et du cloud cette définition et cette référence est aujourd’hui remise en question dans la mesure où ce dernier a fissuré les frontières géographiques physiques. Cet état de fait bouscule nos sociétés, le fonctionnement de nos organisations et nos modes de vie. Le numérique est en train de supplanter les frontières physiques et par conséquent l’Etat se voit déposséder progressivement d’une de ses fonctions régaliennes en l’occurrence le pouvoir de contrôle des frontières territoriales. Par exemple, Google Map et Waze sont deux applications appartenant à Google et qui servent de guide aux déplacements et aux choix de chemin sans demander l’avis de la collectivité ou de la mairie d’à côté pour le passage dans sa localité ou sur ses routes départementales.
 
Ce phénomène nouveau est d’autant plus fort que ce nouvel espace voit le croisement de la mobilité avec la généralisation des téléphones smartphones et des systèmes interconnectés. Ce phénomène devrait continuer avec la généralisation des objets connectés et des applications qui, aujourd’hui sont concentrés entre les mains d’une poignée d’acteurs privés principalement américains notamment les GAFAM (Google, Amazon, Facebook et Apple) qui exploitent les données des utilisateurs.

Les GAFAM sont-ils incontrôlables ?

Les GAFAM sont des mastodontes numériques. Leur positionnement sur tous les domaines de la puissance numérique à savoir les infrastructures cloud, les moteurs de recherche, l’e-commerce, les réseaux sociaux et les plateformes numériques, les rendent incontournables. Or ces infrastructures sont aujourd’hui aussi essentielles pour le fonctionnement des démocraties, des administrations publiques et des individus. Donc la frontière est devenue très poreuse entre les GAFAM et les Etats. Elles ne peuvent être que l’apanage de ces sociétés. Nos vies quotidiennes et nos identités sont aujourd’hui numériques.
 
Ce rapport de force dans le monde numérique en faveur des géants, redéfinit la souveraineté nationale dans une forme de gouvernance nouvelle des Etats (européens en particulier). C’est-à-dire qu’il y a une nécessité de partager la gouvernance avec ces géants numériques. C’est l’un des points que je développe dans ma thèse.

Les GAFAM sont-ils des prédateurs ?

Les stratégies des GAFAM révèlent leur démarche de contrôle et de domination des individus (grâce à l’exploitation de leurs données), de déstabilisation des Etats en mettant en question leur souveraineté et démocratie et de prédation des entreprises en rachetant toutes concurrentes. Ils détiennent une puissance financière considérable et des capacités d’investissements largement au-dessus des investissements publics.
 
De telles stratégies horizontales (parce qu’elles étendent sur tous les secteurs) et verticales (parce qu’elles s’immiscent à tous les segments de la chaîne de valeur) des GAFAM nous montrent leur puissance hégémonique et leur capacité à reconfigurer le monde en frontières numériques au-dessus des frontières physiques. L’exploitation massive des données par des algorithmes enveloppés dans un modèle économique de « gratuité » s’inscrit dans une stratégie d’encerclement cognitif.
 
Ce pouvoir des GAFAM démontre clairement leur maîtrise de la technologie numérique et confirme leur démarche de souveraineté numérique. La souveraineté numérique pour une entreprise renvoie donc à sa maîtrise de la création de valeur, de son patrimoine informationnel et de son infrastructure technologique.

Devant ce tableau inquiétant, L’Europe est-elle en reste ?

Aujourd’hui, le défi pour les Etats européens est comment survivre dans un marché numérique « colonisé » par les GAFAM, tout en assurant la protection des libertés citoyennes dans le numérique et la promotion des champions numériques européens pour ne pas laisser la place aux BATX (Baidu Alibaba, Tincent Xiaomi) qui émergent également. L’Europe est le marché numérique le plus connecté et donc le marché le plus important pour les GAFAM. Les dispositifs européens mis en place comme le RGPD est certes important mais insuffisant car il ne protège pas les entreprises. Je crois que l’Europe devrait s’inspirer du succès d’Airbus. Parce qu’au regard des constats, les projets européens portés par les politiques ne peuvent voir le jour car les dirigeants n’ont pas les mêmes intérêts politiques et économiques.

C’est l’exemple du projet de « taxe GAFA » qui a connu un échec au niveau européen porté par le gouvernement français. Mais si les initiatives émanent du secteur privé européen accompagné d’un encadrement des Etats alors ça pourrait ses fruits. Donc ce sont les coopérations privées qu’il faudrait mettre en avant afin de bâtir des champions numériques européens. Dans ce sens, il est important de procéder d’abord par critère de maturité technologique des pays. Par exemple quelques entreprises françaises et allemandes peuvent coopérer pour construire un projet cloud et qui par la suite pourrait intégrer d’autres entreprises européennes.