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Le Printemps de la Prospective 2019, la grande transition en questions.


David Commarmond


Le 19 juin, se tenait à Paris le 7ème Printemps de la Prospective, organisé par la Société française de Prospective (SFdP), devant une centaine de personnes. L’occasion de faire le point sur notre présent, d’échanger, de débattre et d’esquisser des avenirs redoutables aussi bien que souhaitables.



Avec en arrière-plan « La Grande Transition de l’humanité, de Sapiens à Deus », l’ ouvrage collectif publié par la Société française de Prospective, la journée portait sur « Les territoires dans la Grande Transition ». Ce thème fort a suscité de la part des participants beaucoup de réactions et d’interpellations.

Interview : 1. Pourquoi « grande transition » et « territoire » ?

C’est d’abord une référence au livre que nous avions publié fin 2018. Le concept de transition est difficile à définir. Il y a toutes les transitions que nous connaissons : climatique, numérique, politique, etc… Mais il y a une dimension supplémentaire, difficile à déterminer, qui fait qu’il ne s’agit pas simplement d’additions mais de la création de dynamiques nouvelles, comme on le voit en approche systémique chère à la démarche prospective. Il y a aussi que, comparée à la révolution industrielle, la révolution agricole ou néolithique, la Grande Transition touche toute la planète, dans un temps beaucoup plus court, de l’ordre de quelques décennies alors que les précédentes se faisaient sur des millénaires ou des siècles.
 
Le deuxième élément est la notion de territoire. C’est sur le territoire que s’exerce le plus le ressenti de cette transition. La Grande Transition a des effets traumatisants sur le territoire. Elle met à l’épreuve sa résilience c’est à-dire sa capacité à surmonter les chocs et les changements. Le territoire et ses habitants peuvent dans une certaine mesure les surmonter, les absorber en s’adaptant, éventuellement exploiter des opportunités qui apparaissent. Mais il arrive aussi que les infrastructures et les populations sur un territoire donné ne soint plus en capacité de soutenir ces mutations.

 


2. Quels sont les principaux enseignements du Printemps ?

La prise de conscience au niveau des territoires est incontestable. Les manifestations de cette prise de conscience prennent de nombreuses formes. Les plus inquiets disent que « l’on va dans le mur », entendant par là que faute de changer radicalement de modèles de développement la crise écologique va s’aggraver, les territoires périphériques et ruraux vont continuer à se vider de leurs habitants, etc. Les gilets jaunes rejoignent ces préoccupations, à leur manière…Mais il y a aussi de multiples initiatives très diverses, ici en s’engageant dans la transition énergétique, là en multipliant des innovations sociales, etc… Elles peuvent émaner d’associations solidaires, de communes, ou collectivités locales. Elles créent du lien, contribuent à préserver les « communs », ce qui est en partage.
 
On sent que cela bouge, toutefois tous les territoires ne sont pas égaux, il existe de nombreux degrés de sensibilité. Le pire étant l’inertie.
 
Deux régions ont été plus particulièrement mises en exergue lors de ce Printemps. Les Hauts de France avec Lille notamment, qui s’est lancé dans une adaptation à la nouvelle révolution industrielle, et Nouvelle Aquitaine qui se sent très concerné par le changement climatique et qui avec le climatologue Hervé le Treut a travaillé sur de nombreuses problématiques comme la gestion de l’eau, les vignobles.
Les différentes échelles de territoires du local au national sont concernées – sans parler de l’international – et cela rend les mesures à prendre complexes.
 
Cela étant, pour guider l’action, on voit pointer de nouveaux modèles économiques : ils ont comme point commun le caractère « solidaire » et souhaitent privilégier « un nouveau vivre ensemble ».
 
Un autre trait est qu’ils sont engendrés par la créativité des habitants qui habitent les territoires en question ; ils ne sont pas imposés de l’extérieur et cela est une bonne garantie de soutenabilité à long terme et d’acceptabilité par les populations.
 
Là aussi, l’expression a été laissée à des territoires, tels que la Biovallée dans la Drôme qui met en place un système de production-consommation local afin de réduire l’importation des produits frais et d’être à terme autonome, et qui est aussi un pôle d’innovations techniques et écologiques. La communauté de communes de Vichy est un autre exemple qui propose un modèle de développement centré sur l’efficacité énergétique.

Cela nous amène à poser la question de savoir comment mettre en place des modèles expérimentaux.

La démonstration d’un projet est très importante, il faut pour cela le mettre en place sur un territoire avec l’ensemble des parties prenantes concernées, ce qui permettra ainsi une appropriation des partenaires économiques et de la population.
 
Contrairement à une idée reçue, les projets innovants ne sont pas rares, au contraire ; l’offre émane de nombreuses entités ; elle prend souvent la forme de réponses à ’appels à projets. Toutefois il y a une diversité de sources d’appel, chacune avec une codification qui paralyse les acteurs et peut « cloisonner » les initiatives au regard des thématiques proposées. Les modèles et les documents demandés varient d’un organisme à l’autre. Et, par manque de temps et de moyens, les acteurs sont obligés d’établir des priorités.
  
Est-ce que les conditions sont mises en place pour ces nouveaux modèles ?
 
Non, car les nouveaux modèles se heurtent bien souvent à de nombreux obstacles. Mis à part les problèmes évoqués ci-dessus pour les démonstrateurs, il y a plus généralement l’inertie de l’administration, son idéologie bureaucratique, et surtout la complexité du mille-feuille administratif. Les changements brutaux n’aident pas non plus. Ainsi, à titre d’exemples, la loi NOTRe a été particulièrement perturbante pour nombre d’acteurs et de projets,
 
De plus, si la prise de conscience est là, la volonté politique manque souvent. En effet, si les élus ne peuvent capitaliser sur les succès du projet pour assurer leur réélection, ils ont du mal à s’investir dans des projets qui n’aboutiront que dix ou quinze ans après.
 
Enfin la conjoncture financière dégradée des collectivités et de l’État aboutit souvent à une diminution des aides financières et des subventions. Et la voie du financement public-privé n’est pas applicable à toutes les problématiques.
 
Plus généralement, il y a des fonctions régaliennes et collectives que l’État doit remplir – de police, justice, d’éducation, de santé…-- qui sont essentielles pour tout territoire et qui aujourd’hui font défaut dans plus d’un.
 
On peut donc dire que les conditions institutionnelles ne sont pas réunies pour favoriser sinon l’émergence de nouveaux modèles, du moins leur diffusion sur le territoire national.
 
Doit-on changer les comportements individuels ?
 Pour que les comportements individuels aient un impact, il faut un effet de masse, plus la masse est importante, plus les effets sont importants. Le grand défi pour y arriver est de mobiliser la population. Il faut, à terme, changer le système de production et de consommation à différents niveaux.
 
Sur le territoire, cela implique d’avoir une prospective mobilisatrice. Cela commence par une visibilité importante des projets et des résultats, d’où l’importance des démonstrateurs et des expérimentations avec mise en place d’une évaluation prenant en compte des critères d’appréciation de ces nouveaux modèles de développement. C’est en effet par l’implication de chacun dans des démarches de co-construction collective que les comportements individuels pourront évoluer, au regard des défis à relever.
 
Ce qui implique, pour la prospective, de « mettre les mains dans le cambouis ».

3. Quelles sont les perspectives envisagées face à ce constat ?

Les perspectives sont esquissées dans la fin de la question précédente. Il faut en effet continuer à rendre plus conscient le public de l’impact de ses actions, mais aussi toucher les décideurs.
 
L’effet d’entraînement demande plus de communes, de communautés de communes et d’agglomération dans les travaux préparatoires et les commissions mises en place par la Société française de Prospective, mais aussi des représentations du secteur privé et de la société civile. Il faut bouger plus vite et identifier ce qui est possible ou pas.
 
Il faut comprendre que c’est une problématique à plusieurs entrées, complexe, ce qui peut faire peur. Il faut mettre plus de cohérence dans les actions. Cela commence par l’amélioration des dossiers à remplir, sur la forme, le fond, et une mise en cohérence des politiques publiques tant au niveau des thèmes que des dossiers – multiples – à remplir. La question de l’évaluation et des bilans est également importante. Se pose aussi la question de la communication : comment parler des projets « qui marchent ? L’initiative du CGET et de la Fonda, avec l’appui de multiples partenaires, sur le Carrefour des innovations sociales va dans le sens d’une meilleure visibilité
 
L’autre question, pour ne pas dire l’angle mort, est la question de l’impact sur les décisions stratégiques. Au vu des enjeux, donne-t-on assez d’ éléments de réponse au grand public et aux décideurs pour améliorer la prise de décision ?
 
Comme on l’a vu, de nombreux verrous sont encore à faire sauter. L’urgence de cette « Grande Transition » mobilise déjà de nombreux acteurs de terrain. Aux acteurs de la prospective, dans une approche transdisciplinaire, d’apporter les méthodes et outils nécessaires pour accompagner une transformation qui soit choisie.

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