STRATEGIES

Le nationalisme économique chinois contemporain : État, protectionnisme et défis mondiaux.

Prochain article : Protectionnisme « Made in China » : stratégies pour l'autosuffisance . Par Guiseppe Gagliano


Jacqueline Sala
Samedi 12 Avril 2025


Ce que Trump a révélé, en somme, c'est l'inconfort de l'Europe. Prise entre une Amérique protectionniste et une Chine conquérante, elle se débat pour exister en tant qu'acteur stratégique. Pékin, de son côté, continue de tisser sa toile. Sans tapage, mais avec une détermination que nos démocraties hésitantes peinent à égaler.



Trump, la Chine et l'Europe : les noces du soupçon !

Le nationalisme économique chinois contemporain : État, protectionnisme et défis mondiaux.

Sous la présidence de Donald Trump, les relations sino-américaines ont cessé d'être un bras de fer diplomatique pour devenir un duel de longue haleine. Washington n'a plus caché sa méfiance : accusations de vol de propriété intellectuelle, déséquilibres commerciaux criants, soupçons de manipulation monétaire. Le tout accompagné d'une pluie de droits de douane, censés protéger l'industrie américaine et remettre Pékin à sa place. En retour, la Chine n'a pas bronché. Elle a répondu coup pour coup, tout en affinant une stratégie plus subtile : celle d'un repositionnement diplomatique global. 
 

Dans ce grand échiquier du XXIe siècle, l'Europe a représenté un terrain à investir. Pékin a flatté les capitales européennes, multiplié les sommets bilatéraux, vanté les vertus d'un multilatéralisme que Trump, lui, s'ingéniait à saboter. La Chine se présentait comme le rempart contre l'imprévisibilité de Washington, le partenaire fiable dans un monde d'instabilité. 
 
Mais derrière les discours en soie, le réalisme a repris ses droits. L'Union européenne, tiraillée entre intérêts économiques et principes politiques, a vite mesuré les limites de cette alliance de circonstance. Oui, la Chine est un partenaire commercial incontournable. Mais c'est aussi un concurrent redoutable, armé d'un capitalisme d'État offensif, d'un projet industriel à long terme – "Made in China 2025" – et d'un appétit certain pour les joyaux technologiques européens. 
 
Les exemples abondent : rachat d'infrastructures stratégiques, expansion des géants comme Huawei, pressions discrètes dans les enceintes internationales. L'Europe, elle, reste désunie. Tandis que l'Allemagne exporte massivement vers la Chine, d'autres pays redoutent le piège de la dépendance. La Commission européenne parle désormais de "rival systémique", mais sans moyens clairs pour contenir l'offensive. 
 
Ce que Trump a révélé, en somme, c'est l'inconfort de l'Europe. Prise entre une Amérique protectionniste et une Chine conquérante, elle se débat pour exister en tant qu'acteur stratégique. Pékin, de son côté, continue de tisser sa toile. Sans tapage, mais avec une détermination que nos démocraties hésitantes peinent à égaler. 
 
La question n'est plus de savoir si l'Europe doit choisir entre Washington et Pékin. Elle est de savoir si elle saura enfin choisir elle-même.

Quatre dimensions clés du nationalisme économique chinois contemporain

Le nationalisme économique chinois contemporain : État, protectionnisme et défis mondiaux.
Ces dernières années, la République populaire de Chine a opéré un virage marqué vers le nationalisme économique, redéfinissant ses politiques économiques en faveur d'une plus grande autosuffisance et d'une assertivité accrue sur la scène internationale.

Après des décennies d'intégration dans les marchés mondiaux, période durant laquelle la Chine est devenue « l'usine du monde », la direction de Pékin – sous la présidence de Xi Jinping – a réévalué le rôle de l'État dans l'économie et mis en œuvre des stratégies visant à soutenir les entreprises nationales au détriment de la dépendance extérieure.

Cette série articles analyse de manière critique quatre dimensions clés du nationalisme économique chinois contemporain :
(1) le rôle de l'État dans l'économie et le soutien aux champions nationaux ;
(2) les stratégies protectionnistes adoptées pour favoriser la production intérieure et réduire la dépendance étrangère ;
(3) l'impact de ces politiques sur les relations internationales, notamment avec les États-Unis et l'Union européenne ;
(4) les implications en termes de sécurité économique et de souveraineté technologique.

À travers des données, des exemples de politiques récentes et des références reconnues, nous offrons un aperçu approfondi de la manière dont le nationalisme économique façonne l'économie chinoise et l'ordre économique mondial. 
 

L'État comme moteur de l'économie nationale

En Chine, l'État a toujours joué un rôle central dans l'économie, mais cette centralité s'est encore renforcée ces dernières années.
Le gouvernement chinois soutient activement les entreprises nationales, qu'il s'agisse d'entreprises publiques (SOE, State-Owned Enterprises) ou d'entités privées formellement indépendantes mais stratégiquement importantes. Sous Xi Jinping, l'importance des entreprises publiques a crû : en 2023, les SOE représentaient 65 % de la capitalisation des dix plus grandes entreprises chinoises (contre 51 % en 2021), et leurs actifs totaux ont doublé, passant de 184 000 à 372 000 milliards de yuans entre 2017 et 2023. En termes de production, les seules entreprises publiques chinoises représentent environ 4 à 5 % du PIB mondial, ce qui souligne que la Chine dispose de l'un des secteurs publics les plus vastes au monde. L'État conserve par ailleurs un contrôle (direct ou indirect) sur près de 80 % des grandes entreprises non financières du pays, garantissant que les décisions économiques cruciales soient alignées sur les objectifs nationaux. 
 
L'un des principaux leviers de soutien étatique est le vaste système de subventions et d'incitations publiques.
Pratiquement toutes les grandes sociétés chinoises cotées en bourse bénéficient d'une forme ou d'une autre de soutien gouvernemental : depuis 2007, plus de 70 % des entreprises inscrites sur les marchés domestiques recevaient des subventions, un chiffre passé à plus de 90 % après 2010, pour atteindre 98,6 % en 2020.
Ces aides prennent diverses formes : subventions directes, exonérations fiscales, crédits bonifiés par les banques publiques, terrains cédés gratuitement, etc. Entre 2016 et 2023, le montant moyen des subventions publiques accordées aux entreprises chinoises cotées a augmenté de 67 %, un rythme presque parallèle à celui de la croissance du PIB sur la même période. Les secteurs stratégiques identifiés dans les plans industriels (comme le programme Made in China 2025, abordé plus loin) figurent parmi les principaux bénéficiaires : par exemple, des géants publics non cotés tels que COMAC (aéronautique), AVIC (industrie aérospatiale) ou Baowu (acier) ont reçu des aides bien supérieures à la moyenne des entreprises cotées.
Cette intervention publique massive vise à créer et soutenir des « champions nationaux » capables de rivaliser sur les marchés mondiaux, notamment dans les secteurs de haute technologie jugés vitaux pour la puissance économique et la sécurité nationale chinoises. 

 
L'écosystème des politiques industrielles chinoises est donc vaste et omniprésent.
Il inclut non seulement les interventions directes du gouvernement central, mais aussi les contributions des gouvernements locaux, des banques publiques, des universités et même des investisseurs privés encouragés à s'aligner sur les priorités nationales.
Ce « réseau » de soutien public-privé oriente souvent l'allocation du crédit et le comportement des entreprises domestiques d'une manière difficilement reproductible dans les économies de marché libérales. Le résultat est un système qui peut fausser la concurrence, tant à l'intérieur des frontières nationales qu'au niveau international : des chaînes de production entières en Chine bénéficient d'avantages (subventions, réglementations favorables, protection contre la concurrence étrangère) qui engendrent des surcapacités et des produits à bas coût destinés à l'exportation.
Cela a contribué, par exemple, à l'excès de capacité chinoise dans l'acier, le solaire, l'automobile électrique, etc., générant des frictions commerciales avec les autres économies avancées. 
Il convient de noter que la direction chinoise justifie ce rôle étatique important également par des considérations de stabilité économique et sociale. Les politiques d'intervention publique – qu'il s'agisse de sauvetages d'entreprises en difficulté, d'investissements dans les infrastructures ou du contrôle des prix des biens énergétiques – sont perçues comme des outils pour prévenir les crises systémiques et garantir l'emploi. En résumé, dans le cadre du nationalisme économique chinois actuel, l'État agit comme un « metteur en scène » du développement, orientant des ressources considérables vers des objectifs stratégiques nationaux et assurant que les entreprises chinoises (publiques ou privées) prospèrent sous l'égide protectrice des institutions étatiques. 
 

A propos de l'auteur

Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d'études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d'étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l'accent sur la dimension de l'intelligence et de la géopolitique, en s'inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l'École de Guerre Économique (EGE)
Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/ et avec l'Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l'Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/

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