Enjeux majeurs

Le principe d'innovation un enjeu majeur pour l'économie


David Commarmond
Jeudi 10 Juillet 2014


Le Jeudi 5 juin 2014 de 9h à 18H, s'est tenu à l'Assemblée Nationale, Salle Lamartine, un colloque intitulé "Le principe d'innovation". Organisé par M. Bruno Sido Sénateur et Jean-Yves Deault Député.



Avec plus de 30 intervenants et devant une salle comble plusieurs ministres, de nombreux parlementaires, des experts, et dirigeants d'entreprises ont au cours des quatre tables rondes échangés leurs points de vues sur l'innovation, le principe de précaution et les différents thèmes attenants.

 

Le principe de précaution a du plomb dans l'aile, où du moins, la lecture et l'interprétation qui en est faite est négative par l'opinion publique et les tribunaux, surtout les tribunaux. OGM, antennes relais, éoliennes, font aujourd'hui l'objet d'une défiance particulière et de recours devant les tribunaux.

 

Or dans le domaine, la logique scientifique peut se retrouver en contradiction avec la logique juridique, c'est pourquoi à côté du principe de précaution l'Office Parlementaire et la Commission Innovation 2030 proposent de mettre en place un Principe d'Innovation.

 

Le principe de précaution est né dans la douleur et son intégration dans le bloc constitutionnel est toujours controversée. Toutefois la remise en cause de celui-ci et plus encore son abrogation n'est pas à ordre du jour.

 

Quelques personnes regrettaient son introduction, comme Bernard Accoyer (rétrospectivement) et M. Françis Ewald. La majorité des intervenants faisait consensus pour mieux articuler ce principe "mal ficelé", mal rédigé avec un autre concept, le principe d'innovation.

 

Cependant cette articulation n'est toutefois pas encore fixée et encore moins actée. Quelques voix dissonantes se faisant toutefois entendre.

 

François Ewald membre de l’Académie des technologies dans son intervention  : Faudrait-il compléter le principe de précaution pour stimuler l'innovation" fût l'un des plus sévère et plus tranché dans ses positions.

 

"Les deux principes ne sont pas au même niveau, le principe d'innovation est "bien supérieur" à celui du principe de précaution.

 

Les mettre au même niveau, c'est donné au principe de précaution une portée qu'il n'a pas. La hiérarchie est donc bien là et la défiance envers le principe bien ancrée.
 

Toutefois l'auteur tempère sa position en distinguant le niveau national du niveau européen, dans la mesure où ce principe a deux dimensions.

Pour François Ewald, le principe de précaution ne s'oppose pas au principe d'innovation puisqu'il lui est bien supérieur et est prévu dans la charte.

Par contre, François Ewald s'élève contre notre interprétation française du principe de précaution qui peut, dans certains cas,  être utilisé pour tout interdire. François Ewald souligne au passage la responsabilité  du législateur. En effet, c'est le législateur, sur les OGM, qui a totalement été contradictoire entre sa pensée, ses actes et les outils mis en place, qui empêchent la recherche sur les dits OGM.

Pour lui la vision européenne est la bonne. L'interprétation européenne n'interdit pas aux états de discuter des valeurs de l'innovation, mais elles doivent être préliminaires au vote des lois.

Un autre élément est à prendre en compte : depuis plusieurs années, l'évolution de la perception du risque a permis de faire bouger quelque peu les lignes.  L'interprétation européenne n'interdit pas aux états de discuter des valeurs de  l'innovation, mais elles doivent être préliminaires, faite en amont du vote des lois. Et à ce moment ou s'applique le principe de précaution, qui a valeur européenne.

 

C'est ce dont témoigne Anne lise Ugnetto de Biotope en exposant son expérience. Elle ne voit pas un frein dans le principe de précaution mais une opportunité, l'occasion de travailler sur une dynamique positive.

Ainsi, par exemple, le développement des éoliennes, a permis de travailler sur le comportement des chauves souris et de mettre en place des algorithmes tenant compte du rythme biologique des animaux dans la gestion des parcs éoliens.

Elle regrette toutefois que la commercialisation demeure difficile, car convaincre les gestionnaires de parcs de l'intérêt de stopper la production d'énergie demeure toujours un acte d'évangélisation.

La défense des brevets reste aussi difficile à valoriser notamment quand l'innovation n'est pas prise en compte dans les marchés public., Ainsi, par exemple, les radars ornithologiques qui permettent d'éviter les collisions entre les avions et les oiseaux ne sont pas pris en compte dans les appels d'offres.

Nicolas Hulot, initiateur du principe de précaution, était présent en tant qu'envoyé spécial du Président de la République pour la protection de la planète. Il est venu défendre le principe de précaution et a repris l'argument de la transition écologique et énergétique comme facteur d'innovation. Il a admis qu'innover était un enjeu majeur.

 

Pour lui le principe de précaution n'était pas un frein et ne faisait pas l'objet d'un usage intensif. Il n'était en rien responsable de la fuite des cerveaux.

 

Le principe de précaution avait un cadre juridique d'application précis. Qu'entre deux catastrophes comme AZF et Fukushima, il n'y avait pas de comparaison possible sur les impacts environnementaux à venir. Autant les dommages d'AZF demeurent circonscrits et connus, malgré leur ampleur, autant Fukushima comprend de nombreuses inconnues dans ses impacts à moyen terme, qu'à long terme.

 

Nicolas Hulot reconnaît toutefois que ce principe est incompris aussi bien par la presse que par les politiques et qu’il utilisé à mauvaise escient par les tribunaux.

 

Michel Berson apporte un éclairage supplémentaire sur la réalité du terrain et son expression. « La justice a peur de l'opinion publique et préfère paralyser l'innovation que d'affronter sa colère. C'est pourquoi dans le cadre des OGM et des 54 faucheurs, la justice préfère classer l'affaire que d'appeler des experts, solliciter des études et donc de mettre en pratique le processus préconisé par le principe. Faisant ainsi de celui-ci un frein à l'innovation. Mais peu à peu les différents acteurs comprennent que les deux principes peuvent et doivent s'articuler et trouver un équilibre. »

 


 

Henri Verdier, ancien président de Cap-Digital, directeur d'Etalab, en tant que grand témoin voit dans son expérience des éléments de convergence entre son point de vue et l'intervenant précédent. Pour lui le principe de précaution n'est pas un ennemi. S'il y a une force qui devait être désignée comme frein à l'innovation, c'était plutôt que nombres d'acteurs se complaisent dans des situations de rentes et n'investissent pas dans la Recherche et le Développement.

 

"Nous sommes à la frontière de l'innovation", la société n'a plus la capacité d'absorber cette innovation car elle ne répond pas à ses besoins.

 

Stéphane Mouton, professeur agrégé de droit public, pose la question de la pertinence sur le plan juridique de constitutionnaliser l'innovation. Certes c'est un atout économique mais constitutionnaliser ne s'apparente pas à du bricolage juridique, cela doit être qualitatif.

 

La constitution est un texte fondateur, un pacte républicain qui met en jeu l'action politique de l'état. Stéphane Mouton insiste bien : « constitutionnaliser est un acte fondamental ».

 

Constitutionnaliser tout et n'importe quoi peut être contre-productif et affaiblir la Constitution elle-même. De plus, le principe d'innovation est déjà dans la constitution, dans l'article 9 de la Charte.
 

Une des propositions potentielles que nous pourrions déjà faire sans toucher la Constitution serait d'avoir une lecture positive du principe de précaution au lieu d'en avoir une lecture négative.

 

Enfin « statistiquement », l'utilisation par la Cour Constitutionnelle du principe de précaution, qui était sa vocation première, est dans les faits la moins usitée. Le Conseil d'état et les Tribunaux sont quant à eux plus agressifs, mais à un niveau bien inférieur. Toutefois, nous ne pouvons pas nous désintéresser de cette interprétation au niveau des Cours d'Appel et des tribunaux.

 

Enfin le principe de précaution et son utilisation nous apprennent beaucoup sur notre société.

 

Nous voyons émerger un transfert des peurs, les problématiques de santé qui avaient guidés le principe de précaution, la vache folle, le sida...  ont été remplacés avec la crise par des peurs économiques. Avec ce transfert, un effet de vase communiquant s'opère, affaiblissant le principe de précaution au profit du principe d'innovation.

 

Le principe de précaution qui était vu et utilisé comme un rempart contre l'innovation l'est de moins en moins et devrait à terme ne plus l'être.

 

Dominique Chagnolllaud, Président du Cercle des constitutionnalistes est revenu sur la Constitutionnalisation du Principe de précaution et a remis en perspective ce principe par rapport aux autres éléments du texte. « Tout principe constitutionnel a valeur constitutionnelle, même quand celui-ci a un contenu approximatif, voire creux ».

 

Constatant de plus en plus que les principes acquièrent leur autonomie, voire une vie propre. Le juge ne se contentant plus d'une lecture explicite, mais en lui accordant une valeur implicite, il fait des principes un standard de jugement ».

 

Cela a d'autant plus d'impact, que ce changement se fait avec une extrême rapidité. Les juristes n'hésitent plus à s'emparer de ces principes dans leurs décisions, beaucoup plus vite que leurs aînés et à leurs prédécesseurs ne le faisaient.

 

Il a ainsi fallu moins de dix ans au principe de précaution pour qu'une jurisprudence apparaisse alors que plus de 50 ans furent nécessaire pour voir la Déclaration des Droits de l'Homme de 1948 devant un tribunal.

 

Dominique Chagnollaud est donc très réticent pour insérer un nouveau principe qui, pour lui, « serait dangereux pour notre droit » et « une véritable bombe à neutron dont on ne peut pas mesurer les impacts futurs ».

 

Bruno Bachelier, ancien directeur général du CIRAD et membre du conseil scientifique de la fondation pour l'innovation politique, pose la question du manque de cohérence dans les politiques publiques. De plus, il se demande quel pourrait être l'impact d'une charte sur l'innovation, si elle n'est pas efficace. En effet, un manque manifeste de cohérence existe entre le déclaratif et l'action des pouvoirs publics. L'exemple des OGM est, pour le reprendre, un cas emblématique. Bruno Bachelier s'aligne sur ce point aux propos tenus précédemment par Michel Berson. Pour lui, les effets négatifs de cette lâcheté politique se font déjà sentir car Limagrain et bien d'autres ne cherchent même plus à déposer des demandes d'essais en plein champs. À moyen terme, dans dix ans, nous seront obligés de demander aux USA de nous vendre leur savoir faire.



 

Le Ministre Arnaud Montebourg a conclu les échanges : « Il faut se dégager du court terme économique et politique. Et en ce sens l'Office Parlementaire joue un rôle important ».

 

L'homme n'est pas figé. L'homme est un produit de l'évolution.

Il nous reste à imaginer comment nous imaginons cette évolution et non comment nous subissons cette évolution.

 

Pour moi, rien n’est donné, le chemin n'est pas tracé, nous devons croire dans le progrès.

L'innovation passionne l'humanité. D'autant qu'aujourd'hui, il est largement admis que nous vivons dans un monde aux ressources finies. Toutes les nations cherchent les progrès en préservant les ressources et au profit du plus grand nombre. La France est dans cette course mondiale, elle a le soutien du Gouvernement, du Parlement et ce soutien dépasse le clivage Gauche-Droite.

 

L'engagement du gouvernement est financier. 34 Milliards sont investis via le Grand Emprunt par des fonds publics. 20 Milliards seront ajoutés par des fonds privés. Et les 34 plans de la Nouvelle France Industrielle devraient avoir trouvé leurs financements. En ce sens, c'est le 8 juillet prochain que nous aurons la confirmation de financement.

 

Sur le principe de précaution, nous ne pouvons pas mettre en doute la sincérité du constituant en 2005. La lecture du principe ne doit pas être biaisé.

 

Arnaud Montebourg appelle sur ce point une nouvelle jurisprudence, plus claire et plus respectueuse de l'esprit de la loi.

 

Le principe de précaution et le principe d'innovation doivent trouver une articulation et se modérer l'un l'autre. Le débat ne doit pas être bridé au sein des institutions. La discussion avec la société civile doit être constante. Mais il revient au final aux institutions de trancher.

Ce que je n'admet pas c'est le terrorisme intellectuel et physique qui consiste à s'interdire de dépasser les limites de la connaissance.

 

Le gouvernement n'a pas raison d'accepter la stigmatisation de la recherche. Il est légitime de se poser des questions et d'évaluer la recherche scientifique.