STRATEGIES

Paris Defense Strategie Forum : Métaux critiques et stratégiques, leviers de la réindustrialisation et de souveraineté


David Commarmond
Samedi 15 Mars 2025


Le Paris Defense Strategie Forum a consacré sa troisième journée à une conférence cruciale explorant les liens entre les métaux rares, la réindustrialisation et la souveraineté européenne.



Le Paris Defense Strategie Forum dans sa 3e journée a accueilli une conférence portant sur les métaux rares, la réindustrialisation et la souveraineté européenne.

En introduction la parole fut donnée à Didier Julienne qui a réitéré sa critique du terme "métaux rares", qu'il considère comme un concept sans fondement géologique ou scientifique. Il privilégie les notions de "métaux critiques", caractérisés par une disponibilité géologique limitée et une difficulté de substitution, et de "métaux stratégiques", dont la pertinence est liée aux politiques étatiques. Selon lui, le terme "métaux rares" embrouille les esprits. Il a également souligné l'importance des procédés de transformation des minerais et le fait que la Chine maîtrise une part importante de ces procédés. Concernant le recyclage, il a affirmé que le vrai recyclage est souvent une opération à perte, mais essentielle pour obtenir de la matière. Il a mentionné la possibilité de recycler les batteries de véhicules électriques, malgré la nécessité de main-d'œuvre pour le désassemblage.

Marine Champon a mis en évidence la dimension géopolitique de l'approvisionnement en métaux, établissant un parallèle avec la dépendance au pétrole. Elle a souligné la forte concentration de la production et de la transformation en Chine et la nécessité pour l'Europe de développer une "diplomatie minière" pour sécuriser ses ressources. Elle a évoqué la "tragédie des horizons" pour illustrer la difficulté de l'Europe à planifier à long terme face à la stratégie proactive de la Chine dans l'acquisition de ressources et le développement d'infrastructures. Elle a également mentionné les partenariats envisagés, comme un éventuel rapprochement avec le Canada, riche en ressources naturelles.
 
Frédéric Gautier a insisté sur le fait que la rareté des métaux est aujourd'hui principalement industrielle, avec une part considérable de la transformation réalisée en Chine suite à des décisions de délocalisation. Il a rappelé que les procédés industriels de transformation étaient initialement français. Il a abordé la notion de "mine urbaine" et le recyclage comme une piste potentielle mais complexe pour réduire la dépendance. Il a souligné les défis techniques et économiques du recyclage, en prenant l'exemple du béton recyclé.
 
Philippe Roca a exploré les possibilités de mobilisation de l'épargne pour financer les sujets stratégiques, évoquant la création de "livrets d'épargne" dédiés, potentiellement avec une allocation partielle contrainte. Il a présenté Fonds Histos, un fonds de financement pour les entreprises de défense et leur chaîne d'approvisionnement, visant à soutenir les PME et les ETI du secteur. Il a souligné les défis du financement privé pour des projets à long terme et à faible rentabilité immédiate, comme le recyclage. Il a plaidé pour un rôle plus important de l'État dans la prise de risque et le financement de ces initiatives, notamment via des organismes comme la BPI. Il a également mentionné l'importance des stocks stratégiques et la question de qui doit en supporter le coût.
 
Éric Lamarque
a partagé son analyse sur la financiarisation des entreprises, qui conduit à une gestion des stocks très tendue et une sensibilité accrue aux crises. Il a noté que les investisseurs privés recherchent la rentabilité et que le financement de projets à perte est difficile en dehors d'une intervention étatique. Il a également évoqué les contraintes ESG qui peuvent limiter les investissements dans certaines industries, y compris la défense, bien que des évolutions soient en cours. Il a souligné la nécessité d'aligner la chaîne d'approvisionnement industrielle avec la chaîne de financement.
 
La discussion a également porté sur la politique industrielle européenne, avec l'idée de reprendre une politique de filière qui a été abandonnée. Le temps nécessaire pour développer de nouvelles mines en Europe, ce type de projet prenant entre 8 et 15ans. Il  a été souligné comme une complexité supplémentaire. La nécessité d'une diplomatie minière française ou européenne a été évoquée face à la nationalisation des ressources dans d'autres régions du monde. Un intervenant de l'assistance a souligné l'importance de la maîtrise des procédés de transformation et des équipements industriels, ainsi que le rôle potentiel du recyclage comme amortisseur de la volatilité des prix des métaux.
 
La question de l'acceptabilité sociale des projets miniers en Europe a été identifiée comme un frein majeur. Enfin, la possibilité d'étendre l'Union européenne à des pays démocratiques riches en ressources naturelles comme le Canada a été soulevée. Didier Julienne a conclu en soulignant qu'en économie de guerre, tous les métaux sont stratégiques et qu'il faut se concentrer sur les ressources disponibles localement pour construire des filières.




Questions du public

Paris Defense Strategie Forum : Métaux critiques et stratégiques, leviers de la réindustrialisation et de souveraineté
Dans les questions du public, un représentant d'une association a soulevé plusieurs points concernant l'autonomie stratégique et la réindustrialisation. Il a insisté sur la nécessité de passer d'une logique de consommation à une logique de production pour atteindre cette autonomie, soulignant que l'accès à la ressource seule ne suffit pas. La maîtrise des procédés de transformation, tels que l'hydrométallurgie et la métallurgie des poudres, la possession d'actifs industriels et la disponibilité d'équipements clés sont tout aussi importantes. Cette intervention a mis en lumière la perte de terrain de l'Europe dans ces domaines malgré la présence d'acteurs compétents. La question de savoir s'il ne serait pas plus pertinent de se positionner sur des états de finage intermédiaire face à la potentielle richesse géologique limitée de l'Europe a également été posée. En écho, Didier Julienne a souligné que le vrai recyclage est souvent une opération à perte, bien qu'essentiel pour la matière. Philippe Roca a, quant à lui, mis en avant les défis du financement privé pour des opérations non rentables et le rôle potentiel de l'État dans le soutien à de telles initiatives.
 
La seconde partie de l'intervention du président de l'association a interpellé les financiers sur la dérive d'un modèle de financiarisation des entreprises, caractérisé par des stocks réduits et une vulnérabilité accrue aux crises. Il a suggéré que le recyclage pourrait intervenir comme un amortisseur de la volatilité des prix des commodités. Philippe Roca a répondu en expliquant que les actionnaires privés recherchent la rentabilité et qu'il est difficile de financer des activités à perte sans une intervention de l'État. Il a évoqué la possibilité d'un financement étatique via des organismes comme la BPI, potentiellement couplé à une fiscalité adaptée sur les dividendes. La nécessité d'aligner la chaîne de financement avec la chaîne industrielle a été soulignée. Ces échanges ont mis en évidence la tension entre les impératifs financiers de rentabilité à court terme et les besoins stratégiques de sécurisation des approvisionnements et de développement d'une base industrielle européenne robuste.