Gouvernance

Paroles d’Experts : « Comment sélectionner des sources fiables et mieux détecter les infox et fake news ?


David Commarmond


Introduction : deux ans de pandémie, I-expo revient, le retour à la vie normale était presque revenu, s’était sans compté sur l’arrivée d’une autre crise, la Guerre en Ukraine. Le monde est toujours plus incertain et les sources de confusion viennent aujourd’hui de l’est (Russie), après être venues de l’Asie (Chine), et de l’Ouest (USA). « Maîtriser l’information dans un monde très incertain et complexe est une nécessité. Data-driven propose de nouvelles stratégies.



La table ronde inaugurale propose de répondre à trois questions :
  • Le rôle plus que jamais stratégique de l’intelligence économique et de la veille?
  • Quelle nouvelle gouvernance de l’information et des données ?
  • Comment renforcer la transformation des métiers de l’information ?
 
La table ronde était animée par Fabrice Frossard, intervenant à l’EGE. Avec les interventions de Christophe Bisson, Professeur à Skema, Caroline Faillet, fondatrice d’OPINION ACT, Mounir Rochdi, Expert international en Competitive Intelligence & en Innovation, Centre du commerce international et Denis Berthault, Président, GFII

Christophe Bisson prit la parole en premier et évoque l’agilité des entreprises

Il a d’abord mis l’accent sur l’importance de l’anticipation dans la prise de décision et du poids vital de la transformation digitale dans toutes les organisations. Cette transformation devrait être liée à la compréhension de son écosystème d’où l’importance de l‘Intelligence Economique et Stratégique (IES) pour celle-ci. C’est ainsi qu’il a étudié avec sa collègue Prof N. Boukef pour la première fois l’Intelligence pour la transformation digitale (ITD) dans une étude menée sur 78 entreprises avec notamment la participation de plusieurs présidents de multinationales (le dossier en français lié à la première étude sur IES et transformation digitale est téléchargeable via : ce lien.
 
Les 3 piliers de l’ITD proposés sont :
  1. Stratégie des données
  2. IT pour collecter et analyser les données, informations (mobilisant l’intelligence artificielle)
  3. La structuration de l’ITD via des professionnels, process et organisation
 
L’analyse de cette étude permet d’établir une typologie des pratiques et peut aider toutes les entreprises à améliorer leur ITD. Et, ils ont démontré la corrélation entre le niveau de pratiques de ITD et l’agilité de l’entreprise. Les entreprises les plus agiles sont celles qui ont un haut niveau de stratégie sur leurs données couplés aux outils les plus sophistiqués avec IA et aussi des professionnels en charge d’orchestrer la collecte, analyse et dissémination des informations, connaissances pour la décision. Si l’IES est en France est considérée comme les « yeux et les oreilles », il souligne que les meilleures performances en matière d’agilité sont celles qui mobilisent de façon systématique les professionnels de l IES dans les cercles de décision. De plus, si la technologie est importante cela doit être couplé aux performances dans les 2 autres piliers du modèle car 17% des entreprises interrogées ont un haut niveau technologique pour ITD mais seules 3% ont plus haut niveau d’agilité. Il souligne l’importance que l IES soit considérée comme « le cerveau » des organisations et de combler le fossé entre les décideurs, les technologistes, et les personnes en charge d’apporter les connaissances. Ainsi correspond selon lui à l IES augmentée ce qu’il a développé dans le Msc pour lequel il est directeur scientifique « International Strategy & Influence », Skema.
 
De plus, une étude de Forrester en 2020 souligne que 60 à 73% des données en entreprise sont inutilisées ce qui implique selon Christophe un changement de paradigme. Ce qu’il illustre par le cas Altix, PME de haute technologie française, leader mondiale de l’imagerie dans le circuit imprimé (Télécharger Etude de cas l’entreprise Altix, PME de haute technologie française, leader mondiale de l’imagerie dans le circuit imprimé. (veillemag.com)).

 

La parole fut donnée à Caroline Faillet, qui évoqua les risques numériques.

« Internet est aujourd’hui partout, accessible en permanence, il a envahi nos vies professionnelles et personnelles ». Et pour Caroline, cela signifie que cela change nos pratiques du numérique. Trois éléments saillants se dégage :
  • fragmentation des outils
  • hybridation entre l’humain et la machine. « Nous passons tous d’une solution à une autre avec beaucoup de facilité ».
 
Aujourd’hui, une information peut-être trouvée sur le dark web, être publiée ensuite sur les médias sociaux et trouver une large audience. Qualifier l’information dans toutes ses composantes demande de multiples compétences, techniques, juridiques, et bien d’autres encore qui dépasse de loin celles du bon sens. Et tout ce travail prend du temps.
  • le besoin de sûreté : lorsque l’on observe les besoins informationnels globaux des entreprises, on se rend compte que le métier de veilleur glisse sensiblement vers les métiers de gestion du risque. « Avant on faisait de la veille, maintenant on fait presque de la « sûreté » car on cartographie un ensemble de risques numériques».

Denis Berthaud du GFII se veut plus offensif. Pour lui le mot risque devient de plus en plus associé au mot « guerre ». Par voie de conséquence, le sourcing devient essentiel dans la garantie et la confiance dans la connaissance et la qualité des sources. Son intervention datée au tout début du conflit entre la Russie et l’Ukraine prend a posteriori une autre dimension. Mais les conflits précédents au Yémen, Mali contenait certains embryons de ces dimensions.
 
Mounir Rochdi complète les visions précédentes avec quatre mots clés qui caractérisent aujourd’hui l’information. Les utilisateurs, les moteurs de recherche et les outils de veille veulent tous répondre aux mêmes besoins : des résultats pertinents, à jour et rapides. La clé de voûte de ces besoins est le contenu. En effet, nous recherchons du contenu, pour être visible, nous avons de contenu, pour influencer nous avons besoin de contenu, nous achetons et nous vendons du contenu et enfin pour enseigner, nous utilisons du contenu.
 
Le contenu est devenu aujourd'hui Dynamique, Collectif et Volatil.
  • Dynamique puisque l'information aujourd'hui peut être disponible sous multiple format: texte, son, image et vidéo. Nous pouvons y ajouter même le format oral lors de discussions.
  • Collectif parce qu'il n'y a plus un seul émetteur original d'une information. Auparavant, les agences de presse telles que Reuters, AFP et autres, possédaient un certain monopole sur la paternité des informations diffusées. La majorité des informations avaient comme point de départ une dépêche. Aujourd'hui une vidéo publiée par un internaute sur le terrain, une photo ou un document indiscret diffusé peuvent être la source originale d'une information majeure. Cela incite par contre à une plus grande vigilance quant à la véracité de l'information.
  • Volatil enfin, car le contenu peut disparaître aussi rapidement qu'il est apparu. On passe très rapidement d'un sujet à un autre. L'information est toujours présente mais noyée par d'autres nouveauté. Nous pensons qu'elle a disparu, mais en réalité elle est juste cachée dans la masse.
 
Pour répondre à ces nouvelles contraintes, Google a notamment développé l’algorithme MUM pour Multitask Unified Model (Modèle Unifié Multitâches). L'acronyme MUM pour maman en anglais pourrait nous donner une idée drôle sur comment le moteur considérerait ses utilisateurs.
 
Par ailleurs, une nouvelle donne entre en vigueur dans l'information. C'est celle de la forte incertitude introduite par un événement soudain. Cette nouvelle incertitude a bien été mise en avant par la Covid-19 notamment, la guerre en Ukraine ou encore la campagne présidentielle américaine. Elle déstabilise les modèles existant de prédiction, de projection et d'anticipation et pousse à devenir très agile.
 
Tous le monde accède à de l'information aujourd'hui. La question est de savoir quelle est sa qualité et sa validité. Ces deux dépendent fortement de l'émetteur, mais de la cible aussi. Une information considérée comme non valide par des utilisateurs, ne le sera pas par d'autres car elle répondraient à des convictions personnelles profondes. Seul un spécialiste de l'information peut avoir, encore, une neutralité dans l'analyse du contenu pour distinguer le vrai du faux,  le pertinent du bruit. Mais jusqu'à quand ?  


Pour conclure cette table ronde Fabrice Frossard invite les intervenants à préciser leur pensée.
 
  • sur la maîtrise de l’information offensive
Pour Caroline Faillet, nous devons muscler notre approche offensive. Elle rappelle que Russia Today et Sputnik (qui étaient des courroies d’influence de la Russie) n’ont été interdites que très récemment. Nous sommes vulnérables si on se refuse d’utiliser les armes de l’influence.
 
Elle souligne et déplore aussi la nocivité du modèle économique gratuit des réseaux sociaux.
Elle attend avec impatience et l’émergence du Web 3, elle est confiante dans la disparition du modèle Web 2.0 qui a été détourné de sa vocation initiale, pour en faire en outil de promotion de la haine en ligne. Maîtriser la dépendance informationnelle.

Denis Berthaud esquisse l’idée d’un internet scindé entre des grandes zones culturelles (Occident, Chinois, Russe …) qui semble se dessiner et devenir de plus en plus probable.
 
  • sur la maîtrise de la dépendance informationnelle
Pour Denis Berthaud, il est important de favoriser la souveraineté numérique. Taclant au passage Google « Google n’est pas un moteur de recherche, mais un moteur de recommandation ». En fonction de notre profil, nos résultats seront personnalisés. Google fait de l’influence et de la publicité.
 
Le combat pour se passer de Google n’est pas gagné. Mounir rappelle que la dernière mouture de l’algorithme de Google, MUM1, a pour objectif pour de nous rendre encore plus dépendants.
 
1 On peut lire sur Abondance : « Google a annoncé (…) un nouvel algorithme nommé MUM (Multitask Unified Model ou Modèle Unifié Multitâches) chargée en intelligence artificielle pour explorer de façon encore plus approfondie les intentions de recherche de ses utilisateurs. »