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Retour à eFutura, Souveraineté à l'ère numérique : Un défi pour l'Europe ?

eFutura, Association pour la transition numérique.


David Commarmond


Le 17 octobre 2024, à Paris, l'association professionnelle efutura a organisé un débat public sur le thème "SOUVERAINETÉ A L'ÈRE NUMÉRIQUE", axé sur les enjeux de souveraineté à l'ère des technologies de rupture. Sous la présidence et l'autorité de Jean-Pierre La Hausse de Lalouvière , les tables rondes animées par Wladimir TARANOFF, Responsable pédagogique du MBA Digital Marketing & Business étaient particulièrement riches et intéressantes.



L'Europe : entre fragmentation et dépendance

Jean Peeters, ancien président de l'Université de Bretagne Sud, a synthétisé les conclusions des deux tables rondes en soulignant la difficulté pour l'Europe de parler d'une seule voix en matière de souveraineté numérique. L'intervention d'Alain Juillet, ancien Directeur du Renseignement de la DGSE, a illustré pendant cette table ronde la fragmentation en pointant "l'initiative des trois mers ", un groupe de 13 pays d'Europe de l'Est privilégiant une alliance stratégique avec les États-Unis face à la menace russe. Cette division géographique et politique, ancrée dans l'histoire et les enjeux géopolitiques contemporains, complexifie la construction d'une souveraineté numérique européenne cohérente et unie.
 
Face à cette fragmentation, la dépendance de l'Europe aux technologies américaines s'est imposée comme un défi majeur. Anne LE HENANFF   députée du Morbihan a alerté sur l'influence des géants du Web, majoritairement américains, et sur leur rôle dans la collecte et l'exploitation des données, suivie par celle de la Chine. Tout au long des discussions, Anne Le Henaff insiste sur la nécessité de protéger les données sensibles, notamment les données de santé et les données éducatives. Elle s'inquiète de la centralisation de ces données par les géants technologiques américains, qui pourraient les exploiter à des fins commerciales ou politiques. Elle cite l'exemple de Bill Gates, dont la fondation collecte des données de santé dans le monde entier, et met en garde contre les risques de dérives liés à la monétisation de ces données. Elle appelle à une prise de conscience des administrations et des entreprises françaises sur l'importance de protéger leurs propres données. Alain Juillet a rappelé, que le caractère caritatif de la fondation de Bill Gates a permis d'acheter les données médicales de 80 pays dans le monde.
 

Général WATIN-AUGOUARD souligne l'importance de la cybersécurité pour la souveraineté nationale. Il rappelle que la France a été le premier pays au monde à assumer le développement d'une capacité offensive dans le cyberespace, témoignant ainsi de sa volonté de se protéger et de se défendre dans cet espace stratégique. Il insiste également sur la nécessité d'une collaboration européenne en matière de cybersécurité, tout en reconnaissant les difficultés liées aux intérêts divergents des États membres. Il appelle à une "stratégie" commune pour renforcer la cyberdéfense européenne, tout en soulignant que certains domaines, "purement nationaux", doivent rester sous le contrôle des États. Pour reprendre le Général de Gaulle, "Le bouclier américain, je n'y crois pas", cette citation, reflète la vision du Général WATIN-AUGOUARD sur la nécessité pour la France et l'Europe de garantir leur propre sécurité, sans dépendre des États-Unis.
 

Guillaume Poupard, ancien Directeur Général de l'ANSSI et aujourd'hui à Docapost, a abondé dans ce sens en soulignant le déséquilibre flagrant du nombre de lobbyistes américains et français à Bruxelles : 10 000 contre 120. Cette asymétrie, révélatrice d'un rapport de force défavorable à l'Europe, met en lumière les difficultés pour le continent d'affirmer son autonomie stratégique face à l'influence américaine et à notre propension, à abandonner un peu trop rapidement.

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L'urgence d'une souveraineté individuelle et collective

La question de la souveraineté individuelle, au cœur des débats contemporains sur le numérique, a également été abordée lors des tables rondes. Myriam Quemener, magistrat honoraire, a insisté sur la nécessité de sensibiliser les citoyens aux enjeux de la protection des données personnelles, face à la surveillance de masse et à l'exploitation des informations par les géants du Web. La multiplication des cyberattaques, notamment contre des institutions clés comme l'Université Paris-Saclay, a rappelé la vulnérabilité des systèmes d'information et l'importance d'une cyberdéfense robuste.
 
Cédric Villani, mathématicien et ancien député, a quant à lui mis en avant la nécessité d'une éducation au numérique dès le plus jeune âge, permettant aux citoyens de développer une compréhension critique des technologies et de leurs usages. Il a également insisté sur l'importance de la formation tout au long de la vie pour s'adapter aux mutations rapides du monde du travail et aux nouveaux métiers du numérique.
 
Cornelia Fendeisen, cheffe du département RH de la filière numérique de l'État et co-vice-présidente de l'association impact , elle a souligné la rapidité des changements induits par le numérique, affirmant que "le monde qui [nous] entoure [...] ne ressemble plus en rien à ce qu'on a encore connu". Elle a mis en avant l'importance de l'adaptabilité et de la formation continue pour réussir dans cet environnement en perpétuelle évolution. Illustrant ses affirmations par des exemples d'usages personnels dans l'apprentissage des langues, des savoirs.
 

Olivier Babeau reprenant la Boëtie, rappelle que "Nous sommes peut-être notre premier ennemi et moi je crois toujours que notre vrai problème c'est la servitude volontaire [...] qui fait que nous sommes les premiers à être l'artisan de notre perte en ligne". Soulignant ainsi l'importance d'une prise de conscience individuelle face aux enjeux du numérique et la nécessité de développer un esprit critique face aux technologies.
 

Éric Caire Ministre de la Cybersécurité au Quebec, dézoome la problématique du prisme franco-français. Sa vision du français comme un outil stratégique pour affirmer la souveraineté numérique du Québec dans un contexte nord-américain dominé par l'anglais est un atout. Il explique que l'exigence de la langue française dans les appels d'offres pour des services numériques permet au Québec de privilégier des solutions développées par des entreprises francophones. Le ministre souligne ainsi que la langue française, en plus d'être un vecteur de culture et d'identité, représente un avantage concurrentiel pour le Québec dans le domaine du numérique. En exigeant des solutions en français, le Québec peut s'affranchir de la dépendance aux géants technologiques américains et favoriser le développement d'un écosystème numérique francophone, contribuant ainsi à la fois à sa souveraineté numérique et à la promotion de la langue française au Quebec.
 

Face à ces enjeux, les intervenants ont plaidé pour une approche multidimensionnelle de la souveraineté numérique, impliquant à la fois les individus, les États et l'Europe. Anne Le Henaff, députée du Morbihan a appelé à la définition d'un socle commun de valeurs européennes, fondé sur la démocratie, la liberté, la protection notamment des citoyens et des organisations", pour garantir une approche cohérente et solidaire face aux défis du numérique.
 
 

Relever le défi de la souveraineté : un impératif pour l'avenir de l'Europe

Jean Peeters a conclu les débats en soulignant l'importance d'une "analyse de risque" pour identifier les domaines stratégiques où la souveraineté numérique est essentielle, notamment la santé, l'éducation et la défense. L'Europe doit ainsi s'engager dans une stratégie ambitieuse pour développer des technologies souveraines, soutenir l'innovation et garantir la protection des données sensibles.

La mise en place d'une réglementation équilibrée, qui protège les citoyens sans entraver l'innovation, est également cruciale. La députée du Morbihan a insisté sur la nécessité d'une collaboration étroite entre les États membres et les institutions européennes pour élaborer un cadre juridique clair et efficace, capable de répondre aux défis du numérique tout en favorisant la compétitivité des entreprises européennes.
 

Enfin, la formation des citoyens aux enjeux du numérique et la promotion d'une utilisation responsable et éclairée des technologies sont des éléments essentiels pour construire une souveraineté numérique durable et inclusive. Seule une mobilisation collective, associant les pouvoirs publics, les entreprises et les citoyens, permettra à l'Europe de s'affirmer comme un acteur majeur du monde numérique, capable de garantir la liberté, la sécurité et la prospérité de ses citoyens.


La dématérialisation, la prise en charge et la préservation des contenus et des documents physiques ou numériques sont un élément clé de la compétitivité dans tous les domaines d'activité. Cependant, elles comportent aussi un éventail de dangers qu'il est important d'étudier et de contrôler sur le long terme.
 
L'objectif d'eFutura, créé en 2015, est d'accompagner et de regrouper les professionnels des secteurs de la dématérialisation des contenus, de leur sécurisation, de leur préservation, de leur stockage et de leur hébergement. Cela inclut les fournisseurs de solutions et de services, les entreprises cherchant à bénéficier de ces processus, les acteurs du secteur éducatif et universitaire formant les futurs acteurs et les institutions publiques et juridiques travaillant dans ces domaines.