©Thierry Portal. Signaux faibles et prospective
Ainsi, la prospective n'est ni la prévision ni la futurologie, mais une science de l'action et de l'anti-fatalité qui permet de comprendre et, entre autres, de prévoir éventuellement les crises, les signaux faibles, les ruptures, les problèmes, les risques ou innovations émergents, ou encore les évolutions plus incertaines.[[1]]
Vous voudrez bien un peu de théorie ?
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[[1]] Portal Thierry, Roux-Dufort Christophe, « Prévenir les crises », 2013 Armand Colin).
Trois concepts majeurs en prospective
La tendance
Elle englobe des concepts « supérieurs » grâce aux techniques de séries temporelles, statistiques, extrapolation de tendance ou méta-analyse (analyse littéraire ou meilleures pratiques). Exemple : le vieillissement de la population est l’une des mégatendances la plus corroborée au monde.
Concepts de base : le mouvement, la mégatendance, les raisons qui nous poussent et nous influencent, l’analyses des courbes, les défis importants ou encore le changement, qui peuvent représenter les formes les plus objectives de la connaissance prospective.
Concepts de base : le mouvement, la mégatendance, les raisons qui nous poussent et nous influencent, l’analyses des courbes, les défis importants ou encore le changement, qui peuvent représenter les formes les plus objectives de la connaissance prospective.
Le scénario
Il traite de concepts de « niveau moyen » qui sont liés aux connaissances prospectives, mélange de connaissance objective et subjective. Introduite par Herman Kahn dans les années 1950, l’approche du scénario commence par le rassemblement des connaissances pertinentes et des faits objectifs en relation avec la problématique étudiée. Ensuite, cette connaissance objective est modifiée à l’aide d’un élément déclencheur à faible probabilité : un évènement transformateur du parcours linéaire est ajouté à l’équation ou à la description. Le résultat de cette fusion est un scénario.
Concepts de base : cartes cognitives, analyses des interactions, réactions en chaîne, perturbations, évènements improbables ou hypothèses formulées au hasard, visions, prévisions, imagination, stratégies, plans.
Concepts de base : cartes cognitives, analyses des interactions, réactions en chaîne, perturbations, évènements improbables ou hypothèses formulées au hasard, visions, prévisions, imagination, stratégies, plans.
Les signaux faibles
Ils sont issus d’une connaissance subjective, de niveau « inférieur ». Pierre Massé[[1]] a été l’un des premiers à présenter la notion de signal faible, qu’il décrit comme un signe annonciateur du futur : « un signe, insignifiant si l’on reste dans les dimensions du présent, mais qui possède des conséquences réelles énormes ».
La première utilisation de ce concept en sciences de l’organisation a été formulée par Igor Ansoff[[2]] qui définit le signal faible comme suit : « une information d'alerte précoce, de faible intensité, pouvant être annonciatrice d'une tendance ou d'un événement important ». La contribution majeure de Ansoff à la théorie de la stratégie est l'identification de l'importance de l'environnement dans le processus de planification stratégique. En conséquence, il a encouragé les entreprises à surveiller attentivement leur environnement et à identifier les signaux faibles qui pourraient indiquer des tendances futures importantes.
La première utilisation de ce concept en sciences de l’organisation a été formulée par Igor Ansoff[[2]] qui définit le signal faible comme suit : « une information d'alerte précoce, de faible intensité, pouvant être annonciatrice d'une tendance ou d'un événement important ». La contribution majeure de Ansoff à la théorie de la stratégie est l'identification de l'importance de l'environnement dans le processus de planification stratégique. En conséquence, il a encouragé les entreprises à surveiller attentivement leur environnement et à identifier les signaux faibles qui pourraient indiquer des tendances futures importantes.
[[1]] Massé Pierre, « Le plan ou l’anti-hasard », Gallimard NRF, 1965
[[2]] Ansoff Igor, « Managing Strategic Surprise by Response to Weak Signals », Winter, 1975, Vol. 2
Enfin, l’économiste Michel Godet définit un germe /signal faible comme étant un facteur de changement presque imperceptible au moment présent mais qui représentera une forte tendance dans le futur.
Il est à noter que la prospective propose des outils pour qualifier les risques émergents à travers les signaux faibles (ou forts) dont il existe une zoologie :
- Cygnes noirs : N.N. Taleb[[1]] évoque les risques à très faible occurrence mais avec un impact catastrophique (Tsunami japon / CEN Fukushima 2011, Ouragan Katrina 2005…).
- Eléphants in the Room : cette notion évoque des risques dont on connaît la puissance mais qui ne sont pas suffisamment pris en compte.
- Méduses : il s’agit d’une catégorie de risques qui paraissent encore assez lointain mais dont on peut déjà percevoir les effets aujourd’hui.
- Canaris (ou colibris) : le signe annonciateur d’une crise imminente (par analogie au canari annonciateur du coup de grisou dans les mines d’antan).
Concepts de base : anomalies, observations, interprétations, phénomènes étonnants, surprises, idées insolites, croyances, intuitions, présages du futur, germes, nouvelles questions soulevées, problématiques alarmantes, nouveaux risques et crises, menaces, précurs
[[1]] Taleb NNicolas, « Le cygne noir, la puissance de l’imprévisible », Les belles lettres, 2012, Paris
Deux écoles pour l’étude des signaux faibles
En termes ontologique et épistémologiques, il y a deux écoles majeures concernant la détection et le contrôle des signaux faibles en futurologie[[1]] . La première suit l’approche traditionnelle d’extrapolation des signaux faibles et des éléments improbables. La seconde est une approche de gestion des tendances qui prend en compte une tout autre série d’observations ou d’informations assez vagues.
- Faisant écho aux définitions des signaux faibles établies par Massé, Ansoff et Godet, la première école dite ‘Traditionnelle’ fait encore figure de règle en recherche prospective. Elle étudie les principes d’extrapolation qui surviennent suite à des signaux faibles ou à des évènements improbables. Pour la prospective, les signaux faibles peuvent être :
A – Continus : il s’agit d’une lente, subtile mais inexorable montée en puissance de situations à risques (Mika Mannermaa[[2]].
B – Discontinus : comme un écho sur un sonar, le signal faible indique sa présence par intermittence.
La seconde école du ‘pattern management’ : cette école considère les signaux faibles comme des constructions totalement subjectives.
B – Discontinus : comme un écho sur un sonar, le signal faible indique sa présence par intermittence.
La seconde école du ‘pattern management’ : cette école considère les signaux faibles comme des constructions totalement subjectives.
- Nous avons tendance à considérer des éléments qui sortent de notre domaine de compétence comme des signaux faibles, et, à l’inverse, nous ignorons les nouveaux éléments qui apparaissent, ou nous les relions simplement à ce qui existe déjà. Selon Tuomo Kuosa, un élément peut être perçu comme un signal faible par un individu alors qu’un autre ne verrait là qu’une information désuète ou absurde[[3]]url:#_ftn3 . Ainsi, pour cette nouvelle école, il n’existe pas de réel signal faible actuel, car nous sommes incapables d’identifier les éléments qui peuvent être objectivement acceptés comme tels.
Cette école affirme donc que les signaux faibles sont des observations ou des idées insolites, fondées à partir d’interprétations subjectives et de la connaissance tacite d’un sujet quelconque, et permettant seulement d’identifier et de gérer les qui ne font pas encore partie de nos connaissances communes.
Nous verrons dans un second volet pourquoi l’approche des signaux faibles dans l’étude des phénomènes de crise est particulièrement intéressante…
[[1]] Portal T., Roux-Dufort C. « Prévenir les crises », , 2013 Armand Colin
[[2] Mika Mannermaa, « Strong future from weak signals », 2004, Helsinky, Wsoy
[[3]] Cf. Tuomo Kuosa, Deux écoles de signaux faibles en futurologie, in « Prévenir les crises », Portal et Roux-Dufort, déjà cité
Lecturer, auteur primé FNEGE, direction pédagogique (Management des crises), chargé d’enseignement, Consultant senior Crisis Management, trainer et co-scénariste. Passionné par le sujet des crises / risques depuis plus de trente ans : « indépendant, je forme, écris et conseille ».
Entre 2022 et 2024, a co dirigé la pédagogie du MBA Management et communication de crise chez De Vinci Exedec (Prix Innovation 2022 et le Prix du Lancement Eduniversal 2023). Avant cela, il intervenait déjà dans de nombreux établissements d'enseignement supérieur (Master 2) dont : Paris Saclay (Sciences Po et droit), Panthéon Sorbonne (Ecole de Management / Gestion globale Risques et Crises), Ileri (Institut Libre des Relations Internationales et des Sciences Politiques) et diverses autres écoles et universités spécialisées en Cybersécurité, Ressources Humaines, Environnement, Communication, Commerce...
De 2001 à 2024 : près d'agences et cabinets conseils en communication sensible/crise, plus de vingt (20) années passées à décrypter les jeux d’acteurs dans l’écologie des organisations (exemple : intelligence économique - due diligence des parties prenantes), débroussailler les sujets complexes (ex : tendances puis scénarios à risques) et déminer les terrains délicats (ex : anticipation et signaux faibles annonciateurs de crise). Plusieurs livres remarqués sur le management des crises, dont « Prévenir les crises », avec C. Roux-Dufort, élu Meilleur essai en 2015 par la FNEGE.
Auparavant, membre de plusieurs cabinets d'élus locaux avec comme mission essentielle la coordination municipale et la communication locale.
Ancien chargé de mission près du Ministère de l’écologie pour mettre en place les premières expérimentations d’information préventive sur les risques majeurs (ex : dicrim).
https://www.linkedin.com/in/thierry-portal/
Entre 2022 et 2024, a co dirigé la pédagogie du MBA Management et communication de crise chez De Vinci Exedec (Prix Innovation 2022 et le Prix du Lancement Eduniversal 2023). Avant cela, il intervenait déjà dans de nombreux établissements d'enseignement supérieur (Master 2) dont : Paris Saclay (Sciences Po et droit), Panthéon Sorbonne (Ecole de Management / Gestion globale Risques et Crises), Ileri (Institut Libre des Relations Internationales et des Sciences Politiques) et diverses autres écoles et universités spécialisées en Cybersécurité, Ressources Humaines, Environnement, Communication, Commerce...
De 2001 à 2024 : près d'agences et cabinets conseils en communication sensible/crise, plus de vingt (20) années passées à décrypter les jeux d’acteurs dans l’écologie des organisations (exemple : intelligence économique - due diligence des parties prenantes), débroussailler les sujets complexes (ex : tendances puis scénarios à risques) et déminer les terrains délicats (ex : anticipation et signaux faibles annonciateurs de crise). Plusieurs livres remarqués sur le management des crises, dont « Prévenir les crises », avec C. Roux-Dufort, élu Meilleur essai en 2015 par la FNEGE.
Auparavant, membre de plusieurs cabinets d'élus locaux avec comme mission essentielle la coordination municipale et la communication locale.
Ancien chargé de mission près du Ministère de l’écologie pour mettre en place les premières expérimentations d’information préventive sur les risques majeurs (ex : dicrim).
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A lire : Crises et facteur humain Les nouvelles frontières mentales des crises Sous la direction de Thierry Portal
Ce livre explore les contributions théoriques et pratiques visant à intégrer la dimension humaine dans les phénomènes de crise. À travers une série d’entretiens réalisés en 2008 et 2009 avec des experts reconnus, il met en évidence l'importance cruciale du facteur psychologique dans le déclenchement, la gestion, la résolution et l'apprentissage des situations incertaines.**
L'auteur examine les crises de nos sociétés contemporaines en utilisant le prisme de la psychologie et du facteur humain, des angles généralement peu explorés. En rassemblant autour de cette thématique quelques-uns des spécialistes, experts et chercheurs les plus éminents, il s'efforce de rendre claires et accessibles des matières réputées complexes, s'appuyant sur de nombreux exemples, qu'ils soient récents (crise de la Société Générale, crise économique et financière actuelle, suicides en entreprise, libération d’otages tels qu'Ingrid Betancourt, ouragan Katrina, affaire d’Outreau, tsunami en Indonésie...) ou plus anciens, mais ayant marqué les esprits (attentats du World Trade Center, explosion de la navette Challenger, guerre du Golfe, catastrophe du Heysel, crise de Cuba…).
L'auteur examine les crises de nos sociétés contemporaines en utilisant le prisme de la psychologie et du facteur humain, des angles généralement peu explorés. En rassemblant autour de cette thématique quelques-uns des spécialistes, experts et chercheurs les plus éminents, il s'efforce de rendre claires et accessibles des matières réputées complexes, s'appuyant sur de nombreux exemples, qu'ils soient récents (crise de la Société Générale, crise économique et financière actuelle, suicides en entreprise, libération d’otages tels qu'Ingrid Betancourt, ouragan Katrina, affaire d’Outreau, tsunami en Indonésie...) ou plus anciens, mais ayant marqué les esprits (attentats du World Trade Center, explosion de la navette Challenger, guerre du Golfe, catastrophe du Heysel, crise de Cuba…).