Santé

Table ronde sur les fakes news, la désinformation et les bulles de filtre


Boubacar DIALLO


Le marché de l’information d’aujourd’hui occupe une place importante dans la vie quotidienne des individus, des entreprises et des acteurs politiques.



L’accumulation de masses d’informations de toute nature (vraies et fausses) fait qu’il est quasi-impossible de les contrôler et de les cerner. Les médias sociaux et classiques relayent les informations sans vérifier le contenu que la société consomme. Face ce fléau il est urgent d’éclairer la population sur ce qu’est un fake new, la désinformation, les bulles de filtre, l’influence des GAFA et les méthodes de protection.
 
Ce compte rendu retrace les discussions croisées entre professionnels, journalistes d’investigations et chercheurs universitaires, autour d’une table ronde « Comment s’assurer de la fiabilité de l’information à l’heure des fake news, des bulles de filtre et de la désinformation ? » le 20 mars 2019 à Paris, lors de l’édition d’I-expo Data intelligence forum.
 
Parmi eux, Thibault Renard (Responsable Prospective - Data Intelligence à CCI France), Caroline Faillet (CEO, Co-fondatrice de Boléro), Thomas Durand (Directeur scientifique ASTEC, chaine Youtube La Tronche en Biais), Thomas Huchon (journaliste chez SPICEE), Sylvain LOUVET (journaliste d'investigation, vice-président du collectif FAKEOFF) et Thierry Lafon, école doctorale - Université de Bordeaux.

Les fakes news, les bulles de filtres et désinformation : définitions et mécanisme ?

Thierry Lafon : Pour lui dans la recherche universitaire, le français ne permet pas de définir le terme « désinformation ». Ainsi il y a deux cas de désinformation en anglais à savoir la DISinformation et la MISinformation. Le premier cas se définit comme étant la volonté de tromper soit par des vérités parcellaires, des contre-vérités ou des mensonges et le second c’est l’impossibilité d’accéder à une information soit de manière pratique ou volontaire (se contenter d’une seule source information par paresse). C’est dans ce deuxième cas à cause de la paresse, qu’apparait la bulle de filtre, c’est-à-dire rester enfermé dans un seul type d’information. C’est par exemple à l’époque le fait d’acheter dans un kiosque de journaux un seul titre et dans ce cas de figure on reste enfermé dans la bulle de filtre de la ligne éditoriale que l’on achète. Selon T. Lafon, l’avantage de la bulle de filtre est la protection contre la surinformation et le sentiment de satisfaction de confort. D’où les biais de confirmation. L’inconvénient est l’effet d’enferment c’est-à-dire qu’on reste enfermé par l’algorithme sur un seule source d’information. Quant à la fake news son objectif est de fausser le jugement et provoquer l’indignation qui va inciter à la réaction.
 
La recherche a montré qu’il existe deux systèmes de pensée : le système 2 (ou lent) qui est un mode de pensée lié au raisonnement analytique et le système 1 (ou rapide) rapide qui est soit intuitif ou soit lié à des raccourcis de pensée (biais). Dans ces systèmes, et particulièrement le 1, il existe différents biais que sont les biais cognitifs comme le biais de confirmation, c’est-à-dire lorsque l’information reçue conforte le jugement de la personne. Il y a également les biais de disponibilité sur lequel s’appuient les marques pour leur publicité et en fin les biais émotifs. Ces derniers se caractérisent par la sur-confiance en soi et l’illusion de contrôle. C’est souvent le cas dans les fakes news.
 
Caroline Faillet apporte un point de vue du coté entreprise. Selon C. Faillet, le terme fake news se traduit officiellement en français par intox et se définit comme étant la volonté de nuire en falsifiant l’information jusqu’au mensonge en passant l’erreur également. Pour elle la désinformation a toujours existé notamment la propagation de la rumeur. La nouveauté aujourd’hui est la possibilité de tracer la désinformation c’est-à-dire savoir d’où elle vient, mesurer son impact, évaluer le taux de contamination dans les réseaux sociaux et la contrôler.
 
Les fakes news constituent un instrument de manipulation politique et de propagation d’idéologie notamment les idées d’extrême droite. Donc c’est phénomène qui ne date pas d’aujourd’hui. Par exemple en France, la perte de confiance des populations envers les élites politiques ne cesse de se creuser. On ne croit quasiment plus à ce que raconte le journal télévisé du matin ou du soir. C’est un facteur nourrissant la croissance des fakes news.
 
Pour Thomas Huchon, auteur du documentaire « Unfair Game » sur l’election de Donal Trump et son usage des fake news, « Le cas de D. Trump n’est pas nouveau. Le vrai problème aujourd’hui n’est pas les producteurs d’informations. Mais c’est plutôt notre chemin d’accès à l’information. Nous sommes dans des plateformes qui nous radicalisent. Nous utilisons les services de Google, Facebook, Youtube entre contrepartie de fournir toutes nos données personnelles. Ce qui permet à ces GAFA de nous mieux cibler et dominer le marché et influencer les pouvoirs publics. C’est l’exemple des de Cambridge Analytica sur élections présidentielles américaines : la vente de fakes news racistes pour faire basculer l’élection en faveur de D. Trump. En France c’est le Front National (devenu Rassemblement National) qui est le premier parti politique à avoir créé un site internet 1995 pour véhiculer son idéologie ». Ces plateformes sont en train de tuer les démocraties et de tuer notre capacité à vivre ensemble.
 
Pour Thibault Renard, animateur de la table ronde, « Le gros problème des fakes news, est aussi le relayeur, par exemple sur les réseaux sociaux, car il s’appuie non seulement son biais de confirmation, mais il devient à son tour dans une économie de l’attention son tour un producteur d’information et de renforcement de la fake news au sein de sa communauté ».
 
La force de ces fake news est donc aussi leur degré d’influence rapide car la société actuelle est consommatrice des réseaux sociaux (canal de diffusion de fake news) et sans nécessairement vérifier la fiabilité de l’information et de la source. Par exemple une analyse du chercheur Romain Badouard1 montre que dans une étude réalisée par la société de sondage BVA en mars 2018 sur un échantillon de 1053 français, 53% partagent les informations sans vérifier la source et 59% la partage même s’ils savent que la source n’est pas totalement fiable.

Comment lutter contre les fakes news et la désinformation ?

Aujourd’hui les fakes news sont devenues un grand enjeu de la société actuelle. En effet, il y a des motivations derrière toute fakes news. Thomas Huchon : Il a créé un média d’information, Spicee, payant sans publicité et qui réalise des vidéos sur temps long sur internet. Selon lui internet est l’outil moderne pour propager une idéologie, une fausse information. « Aujourd’hui, le plus important est non pas de décrypter ce qui vrai du faux, mais plutôt d’essayer d’attaquer le raisonnement d’une information fausse. Car ces problématiques de fausses informations est un problème pour les jeunes et à l’intérieur des entreprises ». Pour lui, ce sont les plateformes qui sont responsables de ce phénomène de désinformation.
 
Sylvain Louvet : « mon engagement dans la lutte contre les fakes news est de l’attente Charlie hebdo en 2015. Avec le collectif FakeOff2, nous avons commencé à sensibiliser les jeunes en ciblant les établissements scolaires pour faire l’éducation des médias ». Leur méthode consiste à prendre un groupe de vingt enfants pour les apprendre à chercher l’information et les sources. Il conclut cette expérience sur le fait que pour lutter contre les fakes news, « il faut expliquer aux jeunes enfants et adultes que derrière chaque information il quelqu’un qui, parfois a un intérêt ou pas à désinformer.

Mais notre gros souci est que nous n’arrivons pas savoir comment ces jeunes enfants s’informent ».
En intelligence économique il existe des méthodes d’analyse de l’information

Thierry Lafon : Pour lui « dans la communauté scientifique le postulat de base de recherche de la vérité d’une information est l’infirmation : on cherche toujours à infirmer une hypothèse émise plutôt que de la confirmer en sciences ». Par ailleurs, il ne faut pas diaboliser la bulle de filtre, car elle permet également de se protéger de la désinformation. Dans le monde de l’entreprise, c’est une autre méthode qui permet de quantifier la désinformation.
 
Caroline Faillet : « En entreprise il s’agira d’abord de définir l’univers sémantique de travail et circonscrire le sujet. Par exemple au sujet de la rumeur sur laine de verre qui est accusée de radioactive, de provoquer le cancer, d’être interdit dans certains pays. Pour ce sujet il faut modéliser le parcours d’influence. On collecte des données pour voir les points de contacts les plus sollicités et analyser les taux de contamination sur le sujet à travers google. Une autre manière consiste à analyser et croiser les informations du côté opposé pour éviter de tomber dans le biais de la bulle de filtre. Cela permet de voir le taux de contamination, l’impact du sujet et la manipulation de l’information ».
 
Thomas Huchon- : « La seule manière de mener un combat intellectuel est de s’interroger sur les failles dans le raisonnement d’une désinformation car c’est une manière d’avoir un pas de recul, et de semer le doute ».
 
Thibault Renard- : Selon lui, il faut développer un esprit critique face une information ou un scénario biaisé. « Pour valider une information il y a une méthode ACH (analyse d’hypothèses concurrentes) qui consiste lister les hypothèses, les faits et analyser avec des croix et des moins ».
 
Par ailleurs, la régulation de l’espace numérique (les réseaux) pose un dilemme entre limitation de la circulation de trop d’informations sur les réseaux sociaux et la menace sur la liberté d’expression. La loi sur la manipulation de l’information a été validé par le conseil constitutionnel le 20 décembre 2018 pour lutter contre la diffusion de fausses informations. C’est tout l’intérêt de descendre sur le terrain pour éduquer les jeunes qui sont les plus sensibles et consommateurs de services numériques. Les médias de leur côté mènent un combat de lutte contre les fakes news qui leur soutirent de lecteurs.
 
En conclusion ce débat entre professionnels, journalistes et universitaires a permis d’éclairer sur les fakes news, la désinformation et les bulles de filtre notamment en termes de compréhension et de méthodes pratiques de protection. Car aujourd’hui la guerre économique est une guerre de l’information qui se gagne dans les esprits, par les médias en changeant l’image de l’entreprise, en modifiant la perception des individus et en les ralliant à une idéologie. Néanmoins s’il est important de toujours s’interroger sur la fiabilité des informations que l’on reçoit, il s’agit aussi de le faire concernant nos propres outils et de nos propres raisonnements. C’est la première arme de protection.