Gouvernance

Tête, cœur, corps : et si le corps prenait les rênes de la veille stratégique? Tribune libre d'Anna Elviro


Jacqueline Sala
Vendredi 15 Novembre 2024


Nous disposons tous de trois centres d’intelligence : la tête, le cœur et le corps. Quel rôle joue chacun dans la veille stratégique ? Pourquoi l’intelligence du corps est-elle si rarement évoquée ? A-t-elle un rôle à jouer ? Cet article explore comment ces trois dimensions interagissent et influencent notre capacité à anticiper et à réagir dans des environnements économiques complexes, et propose de donner une place plus importante à l’intelligence du corps, un atout essentiel souvent sous-estimé.




Le monde marche sur la tête

Il est bien connu que l’intelligence économique privilégie principalement l’intelligence mentale, fondée sur la pensée, l’analyse, la stratégie, la prévoyance, le discernement et la créativité. Cette forme d’intelligence se révèle particulièrement efficace pour comprendre, apprendre et se projeter dans l’avenir.
Cependant, dans un environnement toujours plus complexe et interconnecté, un centre d’intelligence ne semble pas être suffisant

Faut-il se casser la tête ?

En effet, s’appuyer excessivement sur l’intelligence mentale comporte des risques pour la veille stratégique.
Nous pouvons tomber dans le piège des biais cognitifs qui altèrent notre jugement, prêter moins d’attention aux niveaux d’énergie, aux états physiques, aux signaux corporels et non verbaux de nos interlocuteurs. Les implicites de la communication, pourtant cruciaux dans la détection des signaux faibles, risquent d’être négligés, tout comme les états émotionnels des autres et les nôtres.
Qu’en est-il également des aspects irrationnels, si caractéristiques de la nature humaine ? Les comportements économiques, comme l’ont démontré les travaux en économie comportementale, ne sont pas toujours rationnels.

En fin de compte, l’intelligence mentale seule crée un décalage entre ce que nous comprenons avec notre tête et ce que nous ressentons à travers notre cœur et notre corps. Cet écart génère stress et tensions, des signaux qui indiquent qu’il est peut-être temps d’arrêter de « se casser la tête » et d’explorer d’autre formes d’intelligence au service de la veille stratégique.

Prenons le sujet à cœur

Depuis quelques années, l’intelligence émotionnelle, ou intelligence du cœur, gagne en importance dans l'environnement professionnel.

Cette forme d'intelligence filtre le monde à travers le prisme des relations humaines, favorisant la connexion, l'affection, la motivation, l'empathie et l'écoute. Selon les travaux du psychologue Daniel Goleman, l'intelligence émotionnelle est cruciale pour naviguer efficacement dans les relations humaines au sein des organisations.
Elle permet de conscientiser, nommer et réguler son propre état émotionnel, tout en étant sensible à l'état émotionnel de son environnement
 

La force des émotions

Tête, cœur, corps : et si le corps prenait les rênes de la veille stratégique? Tribune libre d'Anna Elviro
Autrefois perçues comme des signes de faiblesse, les émotions jouent désormais un rôle croissant dans la prise de décisions stratégiques.
Par exemple, les consultants et ingénieurs adoptent de plus en plus des postures de coachs, proposant des solutions industrielles en accord avec les aspirations et motivations des clients, et non plus uniquement basées sur la compatibilité technique. La motivation constitue un levier clé dans la réussite des stratégies, et devient ainsi essentielle en veille stratégique.
Elle apporte à l’intelligence économique une dimension humaine indispensable, permettant de naviguer dans la complexité et l’imprévisibilité des interactions humaines.
 

Allons-y à bras le corps

Enfin, qu’en est-il de l’intelligence du corps ? Souvent négligée, elle est pourtant la première de nos intelligences, celle qui garantit notre survie et notre ancrage dans le monde. Les sensations corporelles fournissent des informations fondamentales sur notre état intérieur et influencent nos décisions. Ignorer ces signaux peut conduire à des déséquilibres et à des souffrances.
 

Le corps une ressource consommable ?

Bien souvent, nous croyons prendre soin de notre corps sans réaliser que nous le traitons comme un consommable, une ressource à maintenir. « Je mange sainement, je fais du sport, je dors huit heures. » Cependant, cette approche utilitaire, bien que bénéfique, ne représente qu'une fraction de ce que signifie véritablement écouter et comprendre notre corps.
 

Le corps, l’archive de notre histoire

Le corps constitue l’Archive de Notre Histoire. Alors que notre esprit peut évacuer, omettre ou fuir certains souvenirs, le corps, lui, les conserve. Cette mémoire corporelle peut influencer nos réactions et nos décisions de manière inconsciente. Là où l’esprit tend à ignorer, évacuer ou fuir ces ressentis, écouter son corps permet d’aligner nos décisions.
Car, à sa manière, le corps "sait" ce que la tête et le cœur peuvent parfois ignorer.
 

Tout a commencé par le corps

D'après les recherches du neuroscientifique Antonio Damasio, le corps joue un rôle essentiel dans notre intelligence, tant mentale qu’émotionnelle. Il agit comme une source primaire d'informations en envoyant en permanence des signaux au cerveau. À chaque instant, l’ensemble des ressentis corporels dessine une "cartographie multidimensionnelle" de notre état interne.
Ces sensations servent souvent de signaux d’alerte. Dans des situations de stress extrême comme le burnout, alors que l'esprit peut vouloir persévérer, c'est le corps qui tire la sonnette d'alarme, signalant que la santé et la vie même sont en danger.

L'intelligence du corps peut être considérée comme le carburant de notre énergie mentale. Apprendre à écouter ces messages permet d'aligner plus étroitement notre corps et notre esprit.
 

Les Émotions : une Manifestation Corporelle

Les émotions sont intimement liées au corps, se traduisant par des réactions physiques telles que des contractions musculaires, des variations du rythme cardiaque ou des libérations hormonales

Les signaux corporels ne trompent pas

Le développement de l'intelligence kinesthésique implique une attention particulière aux signaux que notre corps nous envoie constamment.
Il s'agit d'une forme de "veille corporelle" qui nous permet de : détecter les tensions physiques (dos chargé, cœur qui palpite, nuque tendue), lire nos réactions émotionnelles à travers nos réponses corporelles, émettre des hypothèses quant aux sensations physiques, évaluer notre niveau d'énergie, de confort ou d'inconfort.
 

L'Intelligence corporelle : un tout méconnu pour la veille stratégique

Le corps possède une intelligence propre, souvent plus intuitive et fiable que notre raisonnement conscient. Dans le domaine de la veille stratégique et de l'intelligence économique, traditionnellement basées sur l'analyse rationnelle des données, cette intelligence corporelle peut se révéler être un outil précieux, notamment dans la détection de tendances et de signaux faibles. Intégrer le corps dans la veille stratégique, c'est développer une présence corporelle qui permet d'explorer des lieux, des atmosphères et les sensations qu'ils éveillent en nous.

Par exemple, un veilleur pourrait ressentir une tension inexpliquée lors d'une visite chez un concurrent, signalant potentiellement une information cachée. C'est aussi savoir écouter nos ressentis physiques dans la prise de décisions et la recherche de solutions, avant de faire appel à notre esprit rationnel.
Ces insights corporels peuvent offrir une perspective complémentaire à l'analyse des données, enrichissant ainsi le processus décisionnel.
 

Anna Elviro, coach d’organisation spécialisée dans les paradoxes et les contradictions, invite les professionnels à s’ouvrir à de nouvelles options et à découvrir des pistes d’action concrètes. De plus, deux jeux inédits sont disponibles dans l’ouvrage, en téléchargement pour permettre aux lecteurs de s’exercer et de mettre en pratique les concepts présentés.
Créatrice - Entrepreneuse Créatrice - Entrepreneuse - Innov'sens
juillet 2016 - aujourd’hui · 7 ans 10 mois