DC : En tant que spécialiste des organisations, comment regardez-vous la discipline de l’intelligence économique ?
SB : Il est frappant de voir que même dans les secteurs d’élite mettant en œuvre des technologies de pointe, la question de l’Organisation du Travail des équipes continue à se poser et reste centrale. Mme Knauf les formule comme des problèmes non résolus de « fonctionnement en Silos, difficulté de circulation d’information, partage de connaissances.
Ces problèmes de fonctionnement, qui relèvent pour moi de « l’Organisation du Travail » au sens large, sont la conséquence directe d’un monde professionnel structuré par le Taylorisme. Taylor découpait les opérations en tâches élémentaires pour les normaliser et en optimiser la réalisation. Presque tous s’en plaignent, en en décrivant les conséquences (les silos, les séparations) mais pas la cause, c’est-à-dire la manière dont est pensée l’Organisation du Travail et les fonctionnements. Or celle-ci peut être transformée.
Ces problèmes de fonctionnement, qui relèvent pour moi de « l’Organisation du Travail » au sens large, sont la conséquence directe d’un monde professionnel structuré par le Taylorisme. Taylor découpait les opérations en tâches élémentaires pour les normaliser et en optimiser la réalisation. Presque tous s’en plaignent, en en décrivant les conséquences (les silos, les séparations) mais pas la cause, c’est-à-dire la manière dont est pensée l’Organisation du Travail et les fonctionnements. Or celle-ci peut être transformée.
DC : Un guichet unique serait une fausse bonne idée ?
SB : La demande d’une métabase de connaissances et de la constitution d’un réseau d’acteurs qui ait les moyens de se mobiliser collectivement, relève de cette même logique à transformer. Cette transformation consiste à chercher à « relier plus » et à se méfier des biais provoqués par la séparation des sujets.
Cela rejoint l’idée de Mr Bisson. Son deuxième message porte sur l’intelligence collective. Je comprends le terme d’intelligence dans son sens premier, « d’intellingere » c’est-à-dire la capacité à « comprendre ensemble les rapports entre les choses » et d’agir en conséquence pour le bien du groupe. Par le passé, nous avons su faire preuve de cette « intelligence collective ».
Paradoxalement ce sont bien de ces fonctionnements anciens, ancrés que viendront les solutions. Innovare veut dire « revenir à ». Notons bien que cette capacité ancienne d’intelligence collective est la caractéristique qui a permis à notre espèce de se développer. Cette « innovation » bien qu’elle soit de rupture par rapport aux fonctionnements de notre époque, pourrait être facile à « re-développer ». Il nous suffit d’en comprendre le besoin et de nous donner le temps de la pratiquer. Ce qui veut dire être capable de prendre un peu de distance par rapport au court terme et aux jeux des intérêts qui traversent nos sociétés.
Reformulé la posture que nous devrions adopter serait d’accepter de se poser, de regarder collectivement comment nous fonctionnons, de bien analyser le cœur des intérêts de chacun et de cultiver la confiance au sein du groupe pour transformer les Organisations du Travail actuelles. Cette transformation n’est pas digitale, n’est pas centrée sur le télétravail mais vise plutôt à rendre les groupes capables d’appréhender la complexité de leurs situations.
Cela rejoint l’idée de Mr Bisson. Son deuxième message porte sur l’intelligence collective. Je comprends le terme d’intelligence dans son sens premier, « d’intellingere » c’est-à-dire la capacité à « comprendre ensemble les rapports entre les choses » et d’agir en conséquence pour le bien du groupe. Par le passé, nous avons su faire preuve de cette « intelligence collective ».
Paradoxalement ce sont bien de ces fonctionnements anciens, ancrés que viendront les solutions. Innovare veut dire « revenir à ». Notons bien que cette capacité ancienne d’intelligence collective est la caractéristique qui a permis à notre espèce de se développer. Cette « innovation » bien qu’elle soit de rupture par rapport aux fonctionnements de notre époque, pourrait être facile à « re-développer ». Il nous suffit d’en comprendre le besoin et de nous donner le temps de la pratiquer. Ce qui veut dire être capable de prendre un peu de distance par rapport au court terme et aux jeux des intérêts qui traversent nos sociétés.
Reformulé la posture que nous devrions adopter serait d’accepter de se poser, de regarder collectivement comment nous fonctionnons, de bien analyser le cœur des intérêts de chacun et de cultiver la confiance au sein du groupe pour transformer les Organisations du Travail actuelles. Cette transformation n’est pas digitale, n’est pas centrée sur le télétravail mais vise plutôt à rendre les groupes capables d’appréhender la complexité de leurs situations.
DC : Dans votre ouvrage « Complexité mon amour » vous faites référence à Edgar Morin, quel est son apport et comment vous l’intégrez à l’intelligence économique ?
SB : Edgar Morin a développé la Pensée Complexe pour nous aider à réfléchir notre monde. La Pensée complexe nous invite à « relier » et à « distinguer » ce qu’il conviendrait de relier.
Cette invitation complète le principe de « disjonction / réduction » qui structure nombre de nos approches organisationnelles et intellectuelles. La disjonction commande de « séparer » les choses et les évènements pour avoir une chance de les comprendre. La compréhension de leurs interrelations et interdépendances passe alors implicitement au second plan de nos réflexions.
La « réduction » conduit à réduire l’ensemble des dimensions du sujet, comme par exemple « réduire » une personne à sa fonction sans considérer ses autres dimensions, ce qui, nous l’avons tous vécu, diminue significativement nos compréhensions des situations. La « disjonction / réduction » est au sens d’Edgar Morin un paradigme. Ces paradigmes structurent en partie la conduite de nos pensées et souvent nos organisations comme je vous le signalais en début d’entretien.
J’ai proposé dans le livre « complexité mon amour » un cadre, un éclairage qui permet de décliner le paradigme de « reliance » de la Pensée Complexe et de l’intégrer pour transformer nos organisations modernes. Un des axes pour traiter les questions soulevées par l’intelligence Economique serait pour chaque groupe d’adapter ces principes d’organisation à la complexité de leurs situations et de découvrir le début d’un chemin prometteur. Ces principes ne résolvent pas les sujets, mais ils augmentent la capacité du groupe à les traiter !
C’est un apprentissage collectif qui permet de faire fonctionner des groupes multi-métiers, multi-connaissances, de développer des rôles particuliers de « marginaux sécants » dédiés à relier les personnes, les sujets et les opportunités, (Ce sont ces « marginaux sécants » qui feront la force des réseaux humains que souhaite Mr Bondu pour la qualité de la veille économique) de préserver des « espace-temps » sans objectifs autres que de penser et partager la connaissance des situations.
Ce sont aussi des ajustements de postures et de raisonnements. Plus que des ajustements, ce sont souvent même des inversions. Comme le fait de rechercher des émergences, des observations « à la marge » (Charles Darwin, le découvreur de la théorie de l’évolution, nous conseille même de chercher les observations qui ne s’intègrent à aucune théorie – Des observations « Hors théories » en quelque sorte) de se livrer à des séances « exploratoires » sans recherche de solutions immédiates, de retarder l’écriture des feuilles de route pour rester agile, d’identifier des « Portefeuille de problèmes » (et arrêter de vouloir tous les « découper » en petit bouts et de les isoler de leurs contextes), de penser « ET » et pas que « OU », de « co-élaborer » les actions, de réguler l’action par des étapes de « focalisations successives », Etc … les pistes sont multiples et chacun d’entre nous en a déjà, sans le savoir, expérimenté de nombreuses, la plupart du temps avec succès d’ailleurs.
Il nous appartient maintenant de les révéler et les développer. Ces étapes à venir, pourraient apparaître difficiles, car ces pratiques se heurtent aux fonctionnements usuels des entreprises qui sont principalement dirigés par le paradigme cartésien. La caractéristique de ces difficultés devient justement un avantage, car comme tout paradigme il suffit de le voir, de le comprendre pour le modifier. C’est une transformation abordable (Elle est à notre portée et comme ce n’est que de la pensée, elle ne coûte rien !) pourvu que nous acceptions, lors de cette première étape de la transformation, de prendre le temps de dégager les traits communs et de décortiquer les conséquences pratiques de ce paradigme. Paradoxalement, cet exercice d’abstraction, pourtant simple, est délicat à proposer car il contrarie le dogme du « concret » et la religion de « l’immédiateté ».
Enfin cette étape de transformation de l’Organisation du Travail sera indispensable. Indépendamment de la qualité des observations apportées par les outils de l’Intelligence Economique, elles ne nous permettront jamais de prédire avec certitude les réactions de notre monde moderne et toutes les entreprises devront réagir à ces évolutions, ce qui veut dire avoir rendu leurs équipes capables de le faire !
Cette invitation complète le principe de « disjonction / réduction » qui structure nombre de nos approches organisationnelles et intellectuelles. La disjonction commande de « séparer » les choses et les évènements pour avoir une chance de les comprendre. La compréhension de leurs interrelations et interdépendances passe alors implicitement au second plan de nos réflexions.
La « réduction » conduit à réduire l’ensemble des dimensions du sujet, comme par exemple « réduire » une personne à sa fonction sans considérer ses autres dimensions, ce qui, nous l’avons tous vécu, diminue significativement nos compréhensions des situations. La « disjonction / réduction » est au sens d’Edgar Morin un paradigme. Ces paradigmes structurent en partie la conduite de nos pensées et souvent nos organisations comme je vous le signalais en début d’entretien.
J’ai proposé dans le livre « complexité mon amour » un cadre, un éclairage qui permet de décliner le paradigme de « reliance » de la Pensée Complexe et de l’intégrer pour transformer nos organisations modernes. Un des axes pour traiter les questions soulevées par l’intelligence Economique serait pour chaque groupe d’adapter ces principes d’organisation à la complexité de leurs situations et de découvrir le début d’un chemin prometteur. Ces principes ne résolvent pas les sujets, mais ils augmentent la capacité du groupe à les traiter !
C’est un apprentissage collectif qui permet de faire fonctionner des groupes multi-métiers, multi-connaissances, de développer des rôles particuliers de « marginaux sécants » dédiés à relier les personnes, les sujets et les opportunités, (Ce sont ces « marginaux sécants » qui feront la force des réseaux humains que souhaite Mr Bondu pour la qualité de la veille économique) de préserver des « espace-temps » sans objectifs autres que de penser et partager la connaissance des situations.
Ce sont aussi des ajustements de postures et de raisonnements. Plus que des ajustements, ce sont souvent même des inversions. Comme le fait de rechercher des émergences, des observations « à la marge » (Charles Darwin, le découvreur de la théorie de l’évolution, nous conseille même de chercher les observations qui ne s’intègrent à aucune théorie – Des observations « Hors théories » en quelque sorte) de se livrer à des séances « exploratoires » sans recherche de solutions immédiates, de retarder l’écriture des feuilles de route pour rester agile, d’identifier des « Portefeuille de problèmes » (et arrêter de vouloir tous les « découper » en petit bouts et de les isoler de leurs contextes), de penser « ET » et pas que « OU », de « co-élaborer » les actions, de réguler l’action par des étapes de « focalisations successives », Etc … les pistes sont multiples et chacun d’entre nous en a déjà, sans le savoir, expérimenté de nombreuses, la plupart du temps avec succès d’ailleurs.
Il nous appartient maintenant de les révéler et les développer. Ces étapes à venir, pourraient apparaître difficiles, car ces pratiques se heurtent aux fonctionnements usuels des entreprises qui sont principalement dirigés par le paradigme cartésien. La caractéristique de ces difficultés devient justement un avantage, car comme tout paradigme il suffit de le voir, de le comprendre pour le modifier. C’est une transformation abordable (Elle est à notre portée et comme ce n’est que de la pensée, elle ne coûte rien !) pourvu que nous acceptions, lors de cette première étape de la transformation, de prendre le temps de dégager les traits communs et de décortiquer les conséquences pratiques de ce paradigme. Paradoxalement, cet exercice d’abstraction, pourtant simple, est délicat à proposer car il contrarie le dogme du « concret » et la religion de « l’immédiateté ».
Enfin cette étape de transformation de l’Organisation du Travail sera indispensable. Indépendamment de la qualité des observations apportées par les outils de l’Intelligence Economique, elles ne nous permettront jamais de prédire avec certitude les réactions de notre monde moderne et toutes les entreprises devront réagir à ces évolutions, ce qui veut dire avoir rendu leurs équipes capables de le faire !
L’auteur
Stéphane Bernard, mathématicien, ingénieur de l’Ecole Centrale de Paris est spécialiste de l’Organisation du Travail. Il développe un réseau de «compagnons» désireux d’aider les organisations à aborder la complexité croissante des situations qui leur font face.
Il est co-auteur du «Plaisir d’Innover» avec Olivier Pujol (Ed. Kawa 2014) et
«d’Organisation & Changement» avec Daniel Boeri (Ed. Maxima 1998).
Contact :
Stéphane Bernard
Egide.bernard@free.fr
06 62 01 59 90
https://egide-and-co.com/portfolio/le-livre/
Eyrolles
https://www.eyrolles.com/ Entreprise/Livre/complexite- mon-amour--9782493861009/
Il est co-auteur du «Plaisir d’Innover» avec Olivier Pujol (Ed. Kawa 2014) et
«d’Organisation & Changement» avec Daniel Boeri (Ed. Maxima 1998).
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Stéphane Bernard
Egide.bernard@free.fr
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Eyrolles
https://www.eyrolles.com/