Intelligence des risques

Trump, les tarifs douaniers et la guerre économique : stratégie de puissance et reconfiguration des échanges mondiaux ?


Boubacar DIALLO, Analyste intelligence économique
Jeudi 10 Avril 2025


Depuis son retour au premier plan politique, Donald Trump déploie à nouveau une stratégie économique offensive qui repose sur un levier central : les droits de douane. Cette tactique, bien plus qu’un simple outil de politique commerciale, s’inscrit dans une approche systémique de guerre économique visant à redessiner les équilibres mondiaux, relancer l’économie américaine et renforcer sa puissance stratégique. Cet article tente d’apporter une grille de lectures sous différents angles pour décrypter la stratégie trumpiste du protectionnisme économique américain.



Une logique de déstabilisation assumée

Trump, les tarifs douaniers et la guerre économique : stratégie de puissance et reconfiguration des échanges mondiaux ?
Les surtaxes imposées par Trump – jusqu’à 104 % sur les produits chinois ou 46 % sur les importations vietnamiennes – ont pour effet immédiat d’accroître considérablement le coût d’accès au marché américain. Pour des pays dont une part significative du PIB dépend des exportations vers les États-Unis, comme le Vietnam (20 % de son PIB) ou l’Allemagne (industrie automobile), cette pression économique fragilise des pans entiers de leur appareil productif.
 
Cette approche coercitive vise à contraindre les partenaires économiques à revoir leur position stratégique vis-à-vis des États-Unis. En perturbant les chaînes d’exportation, Trump espère créer un rapport de force favorable, forçant ainsi les pays ciblés à négocier de nouvelles conditions d’échange ou à faire des concessions. Cette logique s’apparente à une forme de diplomatie économique coercitive.



Un double levier : relocalisation et avantages fiscaux

En parallèle, le volet incitatif de la politique trumpienne ne doit pas être négligé. Depuis mars 2025, des mesures fiscales attractives ont été mises en place : les entreprises relocalisant leur production sur le sol américain bénéficient d’un taux d’imposition réduit à 15 %. Associée à la pression tarifaire, cette politique fiscale vise à inverser la logique de délocalisation industrielle.
 
Des secteurs stratégiques comme les semi-conducteurs (TSMC, Samsung), ou l’automobile européenne, réévaluent déjà leurs stratégies d’implantation afin d’éviter les droits de douane punitifs tout en profitant d’un environnement fiscal favorable. L’objectif est clair : réindustrialiser les États-Unis, relancer les exportations et améliorer la balance commerciale.
 
Selon le Bureau of Economic Analysis (BEA), les investissements directs étrangers aux États-Unis ont augmenté de 12 % au premier trimestre 2025, portés principalement par le secteur manufacturier. Toutefois, cette tendance reste fragile, et les retours d'emplois industriels se heurtent à une pénurie de main-d'œuvre qualifiée.

Les tarifs comme levier diplomatique dans un monde sans arbitre

Trump, les tarifs douaniers et la guerre économique : stratégie de puissance et reconfiguration des échanges mondiaux ?
Au-delà de l’économie, la stratégie tarifaire est un outil de négociation bilatérale musclée. Plus de 50 pays – dont l’Inde (25 % de taxes) ou le Japon (16 %) – ont entamé des discussions avec Washington pour obtenir des exemptions ou des accords spécifiques. Trump instrumentalise la taxation pour imposer l’ouverture de marchés étrangers aux produits américains, réduire les barrières douanières existantes ou favoriser des achats massifs de biens stratégiques (comme le soja ou le gaz naturel liquéfié).
 
Cette tactique d’« America First » transforme la fiscalité en un instrument diplomatique destiné à renverser les rapports de force. Fait notable : Trump a suspendu l’application des nouveaux tarifs pour 90 jours, sauf pour la Chine, afin d’évaluer les résultats des négociations en cours.
 
Cette stratégie s’exerce dans un contexte de faiblesse institutionnelle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Le mécanisme de règlement des différends est pratiquement paralysé depuis 2020, en raison du blocage de la nomination des juges à l’organe d’appel par les États-Unis. Cette vacance a privé l’organisation de sa capacité à trancher les litiges commerciaux internationaux, offrant ainsi un champ libre aux stratégies unilatérales et à l’émergence de conflits commerciaux bilatéraux non arbitrés.

Une stratégie de puissance, mais non sans risques

Le précédent de 2018-2019 montre que cette approche peut porter certains fruits à court terme : le déficit commercial des États-Unis vis-à-vis de la Chine avait alors diminué de 419 à 345 milliards de dollars. Mais les effets structurels – notamment en matière de relocalisation industrielle – sont restés limités. En 2025, avec des taux bien plus élevés, Trump mise sur un effet d’entraînement. Mais c’est un pari géoéconomique risqué. Les représailles étrangères s’organisent déjà : l’Union européenne et la Chine préparent des contre-mesures ciblées sur des produits symboliques (bourbon, motos américaines, etc.).
 
De leur côté, les entreprises américaines fortement dépendantes des importations – notamment dans le secteur de la distribution et des composants électroniques – alertent sur les surcoûts générés par ces politiques. Selon la National Retail Federation, les hausses tarifaires pourraient entraîner une augmentation moyenne de 5 à 8 % des prix à la consommation sur certains segments d’ici fin 2025.
 
Par ailleurs, l’augmentation du coût des importations risque d’alimenter une inflation interne, fragilisant le pouvoir d’achat des ménages américains. Enfin, la perturbation des chaînes d’approvisionnement mondiales pourrait avoir un effet domino sur les économies interconnectées, en particulier dans les secteurs à forte dépendance technologique.

Conclusion : la guerre économique comme outil de redéfinition géopolitique

Au final, Trump ne se contente pas de gérer une politique commerciale. Il orchestre une véritable stratégie de guerre économique visant à imposer un nouvel ordre commercial international centré sur les intérêts américains. Cette démarche illustre l’intensification des compétitions stratégiques entre grandes puissances, où les outils économiques deviennent des armes de négociation, de pression, voire de domination.
 
Ce retour en force d’une politique de confrontation commerciale, assumée et structurée, s’inscrit dans un monde où les institutions multilatérales comme l’OMC peinent à remplir leur mission. L’économie devient ainsi un terrain d’expression privilégié de la puissance, dans un contexte de recomposition des équilibres géopolitiques.

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