Intelligence des risques

UKRAINE #2. L’équilibre de la terreur. Par Bernard Besson

Prochain article : Le champ de Bataille


Jacqueline Sala
Jeudi 27 Février 2025


Le conflit entre la Russie et les Etats-Unis n’a pas éclaté pour cause de terreur réciproque. En 2022 les deux puissances renoncent à s’affronter directement. En témoigne l’absence d’interdiction aérienne exercée par les Etats-Unis et a fortiori par l’OTAN.



UKRAINE #2. L’équilibre de la terreur. Par Bernard Besson

L’ Occident laisse l’aviation russe décapiter celle de l’Ukraine. La partie sur le plan militaire est jouée dès le début malgré les discours sur les plateaux de télévision. Plusieurs raisons expliquent la non-intervention américaine.

Le 24 février 2022 la Russie dispose de forces balistiques, aériennes et sous-marines redoutables. Les vecteurs R-28 Sarmate, Avangard, Kinjal, Poséidon, RS-26, R28, Zircon pour ne citer que ceux-là sont des armes hypervéloces atteignant des vitesses proches des 30 000 km/h. Ils sont également d’une grande précision. Ces vecteurs utilisent les possibilités offertes par la MHD, Magnétohydrodynamique [1] théorisée en France par le physicien Jean-Pierre Petit. Les forces balistiques russes ont accordé de l’importance à ses publications scientifiques.

Le 21 novembre 2024 une attaque conventionnelle à partir de l’un de ces vecteurs l’Oreshnik (noisetier) pouvant transporter quatre bombes atomiques a touché le complexe militaro-industriel Iouzhmash à Dnipropetrovsk. La destruction par armes cinétiques de ces installations, n’est pas anodine. Il s’agit d’une réponse politique et personnelle adressée au président Joe Biden qui autorisa l’Ukraine le 16 novembre 2024 à tirer 6 missiles ATACMS dans la profondeur du territoire russe[2] .

Pour éviter tout malentendu, le Kremlin prévint les Etats-Unis avant le lancement du missile en certifiant qu’il ne transporterait pas d’armes nucléaires. Avertissement confirmé le lendemain par la porte-parole du Pentagone. Depuis 1945 les deux puissances n’ont jamais cessé d’utiliser les « canaux de sécurité habituels » afin d’éviter les méprises.

Il en fut ainsi lors de la crises des missiles de Cuba en 1962 [3]. Il en va de même dans le monde du renseignement où les dirigeants des deux communautés, russes et américaines, se connaissent et gardent le contact.

La « nuit du noisetier » s’adresse à la France et à la Grande Bretagne autant qu’aux Etats-Unis. La Russie montre qu’elle peut à partir d’un missile hypersonique de moyenne portée (5 000 kms) atteindre le sol ennemi et surtout le sous-sol avec des armes cinétiques [4]. En avertissant l’adversaire, elle montre  que ses vecteurs sont à l’abri de toute interception. Elle étale un souci des populations civiles destiné à la propagande qui impressionne l’opinion.

En ajoutant un échelon conventionnel en amont de la dissuasion nucléaire, la Russie plonge les Etats-Majors de l’OTAN dans une réflexion qu’ils avaient anticipée.
Le Pentagone, bien informé, avait déjà retiré son porte-avions de la mer Rouge [5].
La Chine, préoccupée par Taïwan, observe avec envie ce nouvel outil dissuasif. L’Inde, nous le verrons, coopère déjà avec le complexe militaro-industriel russe.

Ironie de l’Histoire, cette dissuasion non-nucléaire d’une portée moyenne a été rendue possible par le président Donald Trump  lorsqu’il a dénoncé les traités interdisant ce type de missiles sur le théâtre européen. La Russie a dû s’adapter affirme le Kremlin. L’initiative de ces traités et leur dénonciations par les uns ou les autres mérite une étude spécifique tant les propagandes et désinformations entourent le sujet.

Présentée le 13 avril 2018 par le président Poutine devant les députés de la Douma et plusieurs centaines de scientifiques [6] la panoplie balistique russe dissuade pour l’instant tout belligérant, fussent-ils les Etats-Unis. Cette technologie intéresse depuis longtemps les BRICS. Le BrahMos est un missile de croisière supersonique pouvant être lancé à partir d'un sous-marin, d'un bâtiment de surface, d'un avion ou d'une station terrestre.

Développé conjointement par l'Inde et la Russie qui ont créé à cette fin une société commune, BrahMos Aerospace Private Limited, il tire son nom du Brahmapoutre, fleuve indien et de la Moskova, fleuve russe. Sa vitesse de croisière est d'environ Mach 2,5-2,8, ce qui le rend trois fois et demie plus rapide que le missile subsonique américain Harpoon.
 Une version hypersonique de ce vecteur est en développement, le BrahMos-II. Cette supériorité aérospatiale se retrouve dans le domaine aéronautique où les performances des derniers Sukoi 57 [7]et Mig 41 intéressent les armées de plusieurs nations.
 

La suite dans quelques jours ... "Le champ de bataille"

Notes

[[1]] Site de Jean Pierre Petit. Le missile tiré le 21 novembre 2024 était un MRBM « Oreshnik » volant à Mach 10 (3Km/s). Sur ce sujet on se réfèrera aux explications de M Cyril Gloagen cité plus loin. Quant à Jean Pierre Petit sa connaissance intime du milieu scientifique russe en fait un expert également très écouté. Spécialiste des problèmes liés à l’hypervélocité il traite de l’apparition de ces technologies dans l’industrie aérospatiale.
 
[[2]] La paternité de cette décision n’est pour l’instant pas clairement établie. La » profondeur » toute relative n’excède pas 300 kms. Le tir fut d’une efficacité réduite. 5 missile abattus, le 6èmedestabilisé. On peut dire que l’OTAN malgré ses fermes déclarations soutient l’Ukraine comme la corde soutient le pendu.
 
[[3]] « 1962 » Bernard Besson, Odile Jacob, 2015 A cette époque déjà les ambassadeurs des deux puissances jouèrent un rôle stratégique de premier plan. Aujourd’hui encore, des personnalités comme William Burns et Serguei Naryshkin qui se connaissent bien, reproduisent le dialogue de « 1962 ». Equilibre de la terreur oblige.
 
[[4]] Portrait possible du missile russe Oreshnik Cyril Gloagen, expert militaire et géopoliticien. Diploweb 8 décembre 2024. Le spécialiste détaille longuement les défauts et qualités du missile, son histoire technologique.
 
[[5]] Les États-Unis retirent le porte-avions Eisenhower de la mer Rouge en raison de l’intensification des attaques des Houthis. Jade Publié 24 juin 2024
.
[[6]] Site Jean Pierre Petit
 
[[7]]Le Russie revendique une première vente à l’export pour son nouveau chasseur, le Sukhoi Su-57. Le pays acheteur n’a pas été nommé mais il  pourrait s’agir de l’Algérie ou de l’Iran, Aéro Buzz,  article de Frédéric Lert, 18 novembre 2024. On écoutera avec intérêt l’analyse d’Hervé Carresse  le 24 novembre 2024 sur TVL.

A propos de Bernard Besson

Contrôleur général honoraire de la police nationale, Bernard Besson a occupé des postes de direction aux Renseignement généraux puis à la Direction de la surveillance du territoire avant de prendre le commandement des Courses et de Jeux, police judiciaire et financière spécialisée.
Il rejoint à Matignon en 2004 le programme français d’intelligence économique et travaille auprès du Haut responsable. C’est à ce titre qu’il pilote le groupe d’experts chargés d’élaborer le premier référentiel universitaire de formation à l’intelligence économique.
Autorisé à faire valoir ses droits à la retraite il est aujourd’hui consultant international auprès des Nations unies et conduit des audits dans les organisations désireuses de développer une intelligence économique privée, légale et éthique.
Outre ses activités de consultant et de formateur, il édite des ouvrages techniques et économiques. Il est également connu pour ses fictions mettant en scène les affrontements politiques, financiers, religieux et technologiques du vingt et unième siècle.
Ses personnages, les entreprises et les Etats qu’il met en scène, sont inspirés autant par son passé que son présent entre la France et les pays où il intervient.
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