Intelligence des risques

UKRAINE "Offensive secrète franco-ukrainienne pour réduire l'influence russe en Afrique" Par Guiseppe Gagliano


Jacqueline Sala
Vendredi 28 Février 2025


Alors que la guerre en Ukraine se poursuit, Kiev cherche à étendre la bataille sur le front de l'influence globale, y compris en Afrique. De son côté, Paris, fortement ébranlé par la montée de sentiments anti-français en Afrique sahélienne, voit dans cette alliance discrète une occasion de regagner du terrain face à Moscou.



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Une initiative clandestine inédite se tramerait entre Kiev et Paris sur le continent africain.

Selon des informations révélées récemment, le renseignement militaire ukrainien aurait proposé à la France de participer à un plan secret ambitieux visant à déloger l'influence de Moscou dans plusieurs capitales d'Afrique.
Ce projet, confirmé par des sources proches du dossier, s'inscrit dans un contexte géopolitique où l'Afrique est devenue un terrain d'affrontement indirect entre la Russie et les puissances occidentales.

Alors que la guerre en Ukraine se poursuit, Kiev cherche à étendre la bataille sur le front de l'influence globale, y compris en Afrique. De son côté, Paris, fortement ébranlé par la montée de sentiments anti-français en Afrique sahélienne, voit dans cette alliance discrète une occasion de regagner du terrain face à Moscou.

L'initiative survient à un moment jugé opportun : la Russie traverse une phase de vulnérabilité stratégique avec la perte de sa base navale de Tartous en Syrie et le développement encore inachevé d'une base à Tobrouk, en Libye, limitant ses capacités de projection militaire vers l'Afrique. Dans le même temps, les grandes manœuvres d'influence entre Moscou et Washington s'intensifient sur le continent, rappelant les heures de la Guerre froide.
 

Contexte stratégique : pourquoi Kiev et Paris ciblent l'Afrique ?

Le continent africain est devenu, ces dernières années, un enjeu stratégique majeur pour de nombreuses puissances, y compris la Russie, la France et désormais l'Ukraine.

La guerre déclenchée en Europe de l'Est a accru l'importance de l'Afrique dans les calculs diplomatiques : l'Afrique représente en effet 54 voix à l'ONU, soit le plus grand bloc de votes de l'Assemblée générale, et ni Moscou ni les Occidentaux ne peuvent négliger un tel poids. Dès le début du conflit en Ukraine, Russes et Occidentaux ont redoublé d'efforts pour rallier les pays africains à leur cause, entre promesses de partenariats et campagnes d'influence. Moscou, qui présente l'Afrique comme un « centre distinctif et influent du développement mondial » dans sa doctrine 2023, y a vu l'opportunité de contester l'ordre occidental.
 

En parallèle, Paris observe avec préoccupation l'érosion de sa position historique en Afrique francophone.

L'influence française, autrefois prédominante dans le Sahel et en Afrique centrale, a été mise à mal par une série de coups d'État (Mali, Burkina Faso, Guinée, Niger...) s'accompagnant souvent de vives rhétoriques anti-françaises.
Le vide laissé par le retrait des troupes françaises – notamment après la fin de l'opération Barkhane au Mali – a été rapidement comblé par la Russie via le groupe paramilitaire Wagner, qui a proposé ses services de sécurité à des régimes militaires en quête de nouveaux alliés. « La Russie, via des groupes mercenaires comme Wagner, assure la sécurité de certains autocrates africains tout en cultivant un sentiment anti-français par le biais de fake news et d'attaques hybrides », souligne un rapport français sur la défense en Afrique. Cette offensive russe a permis à Moscou de gagner en influence dans des pays naguère alliés de Paris, du Mali à la Centrafrique, en passant par le Soudan.
 

Pour l'Ukraine, cibler la présence russe en Afrique répond à une double logique.

D'une part, affaiblir les positions de Moscou sur le continent revient à diminuer son soutien international et à l'isoler davantage sur la scène diplomatique. D'autre part, Kiev cherche à étendre la confrontation au-delà du champ de bataille européen en contestant la Russie sur tous les fronts possibles.
« Depuis septembre 2023, le Soudan est devenu l'un des théâtres africains de la guerre opposant la Russie à l'Ukraine », rappelle un analyste, soulignant que Kiev a adopté une stratégie proactive en Afrique pour contrer l'avantage russe en matière d'influence et d'information.
En pratique, l'Ukraine s'est déjà immiscée dans certains dossiers africains : ainsi, pendant la guerre civile soudanaise, elle a discrètement soutenu une des factions en conflit afin de nuire aux intérêts de Wagner sur place. Pour le président Volodymyr Zelensky, rallier les nations africaines à la cause ukrainienne – ou du moins détacher ces pays de l'orbite du Kremlin – pourrait faire pencher la balance diplomatique en sa faveur dans les forums internationaux.
 

Capacités et limites russes : Tartous perdue, Tobrouk en construction

La Russie de Vladimir Poutine a certes multiplié les offensives diplomatiques et militaires en Afrique, mais elle se heurte aujourd'hui à des contraintes logistiques et stratégiques accrues.

L'évacuation précipitée de la base navale russe de Tartous en Syrie en est l'illustration la plus marquante. Ce port syrien, seule installation navale russe en Méditerranée depuis la Guerre froide, constituait un nœud vital pour approvisionner les opérations extérieures de Moscou et projeter sa puissance vers les rivages africains. Or, fin 2024, confrontée à de nouvelles incertitudes en Syrie, Moscou a dû vider Tartous de ses navires de guerre : des images satellites publiées début décembre montraient que tous les bâtiments russes avaient quitté le port.
Selon le renseignement ukrainien, les forces russes ont même démantelé et rapatrié une partie de leurs équipements stationnés en Syrie. Cette perte de Tartous – temporaire ou définitive – porte un coup sévère à la capacité de la Russie de rayonner militairement en Méditerranée et au-delà. Sans ce hub, difficile pour Moscou de soutenir efficacement ses déploiements en Afrique ou d'envoyer rapidement du renfort en cas de besoin.
 

Conscient de cette vulnérabilité, le Kremlin cherche activement des solutions de remplacement.

En Libye, le port de Tobrouk, situé à l'extrême est du pays, est en passe de devenir la nouvelle ancre russe sur la côte méditerranéenne.

Des experts ont relevé que Moscou aurait entamé des travaux d'amélioration des infrastructures à Tobrouk, dans l'optique d'y établir à terme une base navale permanente. Cependant, ce projet est encore loin d'être abouti : il nécessite un accord formel avec les autorités libyennes de l'est (le maréchal Haftar et son parlement à Benghazi) et reste tributaire de la stabilisation d'un pays toujours divisé. « Une base navale en bonne et due forme à Tobrouk requerrait la signature d'un accord avec le pouvoir de Benghazi », rappelait récemment Le Monde, soulignant les obstacles politiques à surmonter pour Moscou.
En attendant, la capacité de réponse des forces russes en Afrique demeure limitée. Sans point d'appui proche, l'armée russe doit compter sur des vols long-courriers stratégiques, des escales discrètes (en Iran, en Érythrée ou ailleurs) et sur la flexibilité de Wagner pour maintenir sa présence sur le continent.
 

Justement, le groupe Wagner – fer de lance officieux de Moscou en Afrique – traverse lui aussi une zone de turbulence.

Depuis la disparition de son fondateur, Evgueni Prigojine, dans un crash aérien en août 2023, l'efficacité de l'appareil paramilitaire russe en Afrique s'est trouvée amoindrie. Certes, le Kremlin a rapidement repris en main les actifs de Wagner, tentant de les intégrer davantage à son ministère de la Défense. Néanmoins, la confusion qui a suivi la mutinerie avortée de Prigojine et la réorganisation du commandement ont pu ralentir certaines opérations sur le terrain africain.

Par ailleurs, la guerre en Ukraine mobilise l'essentiel de l'attention et des ressources de Moscou, réduisant sa marge de manœuvre pour des interventions lointaines. En clair, la Russie de fin 2024 – début 2025 n'a plus tout à fait les moyens de sa politique africaine ambitieuse d'il y a quelques années, du moins pas dans l'immédiat.
Ce constat n'a pas échappé aux stratèges ukrainiens et français, qui y voient une fenêtre d'action : frapper l'influence russe là où elle est fragilisée, avant que Moscou ne rebâtisse ses avant-postes (à Tobrouk, Port-Soudan ou ailleurs) et ne consolide ses alliances.
 

Réactions internationales : Washington, Bruxelles et autres puissances à l'affût
 

L'initiative secrète de Paris et Kiev pour contrer Moscou en Afrique risque de provoquer des réactions en chaîne sur la scène internationale

En premier lieu, Washington suit de très près cette redistribution des cartes en Afrique. Les États-Unis, qui dénoncent régulièrement les exactions de Wagner et l'empreinte « malveillante » de la Russie en Afrique, pourraient applaudir discrètement une opération qui affaiblit leur rival géopolitique. Depuis plusieurs années, les Américains multiplient les mises en garde contre la présence russe : sanctions ciblées contre des dirigeants africains liés à Wagner, classement du groupe mercenaire comme organisation criminelle transnationale, et soutien affiché aux initiatives de stabilisation menées par des partenaires occidentaux.

Des signes montrent même que Washington est prêt à contre-jouer Moscou sur son terrain : en Centrafrique, un mystérieux contrat de formation militaire confié à la société privée américaine Bancroft Global en 2023 a alimenté des rumeurs selon lesquelles les États-Unis déployaient « leur propre Wagner » pour évincer la Russie de Bangui. Si l'opération franco-ukrainienne venait à se concrétiser, il est probable que les États-Unis intensifient leur appui indirect, par le partage de renseignement, la fourniture d'équipements ou l'aide à la coordination diplomatique.
Officiellement, Washington s'en tient toutefois à un discours prudent : favoriser des solutions africaines aux crises africaines, sans ingérence directe, pour ne pas alimenter le narratif russe d'une "nouvelle colonisation" occidentale.
 

Du côté de l'Union européenne, on observe également une convergence d'intérêts avec l'initiative de Kiev et Paris.

UKRAINE "Offensive secrète franco-ukrainienne pour réduire l'influence russe en Afrique" Par Guiseppe Gagliano
L'UE, dont plusieurs États membres ont des liens historiques en Afrique, s'inquiète de voir la Russie saper les efforts de démocratisation et de paix sur le continent.

Bruxelles a d'ailleurs intégré la lutte contre les ingérences russes dans sa stratégie extérieure depuis le début de la guerre en Ukraine. Très tôt, les Européens ont cherché à endiguer la propagande pro-Kremlin en Afrique, par exemple en suspendant la diffusion de Russia Today et Sputnik sur leurs propres territoires dès mars 2022, ou en soutenant financièrement les médias indépendants africains pour contrer les fausses informations.

Dans les cercles diplomatiques, l'UE a appuyé les démarches ukrainiennes visant à rapprocher l'Afrique et l'Occident – on se souvient que plusieurs dirigeants africains ont été invités à assister aux sommets du G7 et de l'Otan en 2022-2023, signe d'une volonté d'ouverture. Il est donc probable que Bruxelles et les capitales européennes accueillent favorablement toute opération affaiblissant l'emprise russe, tout en appelant à la prudence pour ne pas déstabiliser davantage des régions déjà fragiles.
Des pays comme la Pologne ou les États baltes, très engagés aux côtés de l'Ukraine, soutiendraient sans doute activement un tel plan, y voyant le prolongement naturel de la résistance à Moscou sur un autre front.

En revanche, d'autres en Europe pourraient craindre en privé les conséquences d'une « guerre de l'ombre » en Afrique et préféreraient miser sur la diplomatie et le développement pour concurrencer la Russie sur le continent.
 

Moscou, de son côté, ne resterait pas les bras croisés.

Si la Russie décèle des manœuvres clandestines visant ses alliés africains, elle pourrait riposter de manière asymétrique. Historiquement, le Kremlin excelle dans l'art de la guerre informationnelle : on peut s'attendre à une intensification de la propagande anti-occidentale sur les réseaux sociaux africains, dénonçant un supposé "complot néocolonial" mené par Paris et Kiev.

Des manifestations populaires orchestrées ou encouragées par des réseaux pro-russes pourraient éclater dans certaines capitales si les opérations clandestines venaient à être découvertes, ce qui placerait les autorités françaises et ukrainiennes dans une position délicate.
Sur le plan diplomatique, Moscou chercherait sans doute à resserrer les rangs avec ses partenaires encore fidèles – on pense à des pays comme le Mali ou la Centrafrique – en accélérant la signature de nouveaux accords de coopération pour verrouiller ces alliances avant qu'il ne soit trop tard.
Par ailleurs, la Russie pourrait faire appel à ses alliés non occidentaux : par exemple, solliciter un soutien plus prononcé de la Chine ou d'autres puissances émergentes pour condamner toute ingérence occidentale en Afrique et se poser en défenseur de la souveraineté des États africains. Pékin, toutefois, avance ses propres pions prudemment. La Chine voit d'un œil mitigé la compétition Russo-occidentale sur un continent où elle privilégie ses intérêts économiques.
Moins impliquée sur le volet militaire, elle pourrait tirer avantage d'un affaiblissement de la Russie pour accroître son influence commerciale, tout en évitant de s'aliéner ni Moscou ni les capitales africaines. Enfin, les organisations régionales africaines elles-mêmes – Union africaine, CEDEAO, SADC – pourraient réagir si cette lutte souterraine venait à troubler la stabilité de certains pays.

Officiellement attachées au principe de non-ingérence, elles risquent de dénoncer toute opération clandestine étrangère si celle-ci provoque du chaos, tout en fermant possiblement les yeux si l'initiative contribue à rétablir un ordre constitutionnel (par exemple, un retour de civils au pouvoir après un coup d'État militaire pro-russe). L'équation diplomatique est donc complexe : chaque acteur externe calibrera sa réponse en fonction de ses intérêts, dans un jeu d'influence mondialisé dont l'Afrique est désormais le théâtre.
 

Conséquences possibles : vers un nouvel équilibre des forces en Afrique ?
 

Si le plan secret évoqué par Kiev et Paris atteint ses objectifs – à savoir réduire significativement l'influence russe dans plusieurs capitales africaines – les répercussions pourraient être majeures, tant pour la région que pour la scène internationale. Voici les principaux effets à anticiper.
 

Recul diplomatique de Moscou

Une érosion de la présence russe en Afrique se traduirait par la perte d'alliés clés pour le Kremlin. Des gouvernements qui jusqu'ici s'alignaient sur Moscou ou lui offraient un soutien tacite (votes abstentionnistes à l'ONU, relais de la narrative russe, etc.) pourraient basculer vers une position plus neutre voire favorable aux Occidentaux. 

Pour Vladimir Poutine, cela signifierait la fin du discours triomphant sur le "retour" de la Russie en Afrique, entamé lors du sommet de Sotchi en 2019, et une diminution de son levier d'action dans les forums internationaux. Concrètement, on pourrait voir davantage d'États africains soutenir les résolutions condamnant l'agression en Ukraine ou s'abstenir de participer aux initiatives pro-russes. Le prestige international de la Russie – déjà écorné par ses revers militaires – en prendrait un coup supplémentaire, renvoyant l'image d'une puissance en déclin incapable de protéger ses partenaires lointains.

Réaffirmation de l'influence occidentale

Corollaire du point précédent, une Russie affaiblie en Afrique ouvrirait la voie à un retour en force des puissances occidentales dans ces régions. La France, en particulier, pourrait y voir une chance de repositionner ses troupes ou ses missions de sécurité là où elles avaient été poussées vers la sortie (par exemple au Sahel). Une coopération renouvelée avec les armées locales pourrait émerger, centrée sur la lutte anti-terroriste et la formation militaire, mais cette fois en tirant les leçons du passé pour éviter les erreurs ayant alimenté le ressentiment populaire.

Les États-Unis et l'UE, de leur côté, pourraient accroître leurs investissements économiques et aides au développement pour combler le vide et gagner les cœurs des populations, proposant une alternative aux contrats miniers opaques et accords militaires musclés proposés jusque-là par Moscou. L'objectif occidental serait clair : redéfinir un partenariat "gagnant-gagnant" avec l'Afrique, loin des relents colonialistes et en phase avec les aspirations des jeunesses africaines, afin de couper l'herbe sous le pied à toute nouvelle tentative d'ingérence russe ou d'une autre puissance.

Bouleversements politiques locaux

 Une campagne réussie visant à éjecter l'influence russe impliquerait probablement des changements de régimes ou d'alliances dans les pays cibles. Dans des États où Wagner sert de garde-prétorien (comme la Centrafrique ou le Mali), la remise en question de la tutelle russe pourrait encourager des factions internes à contester le pouvoir en place.

On pourrait assister, paradoxalement, à de nouveaux coups de force – cette fois menés contre des juntes pro-russes – ou à des transitions négociées pour ramener des gouvernements plus ouverts à la coopération internationale. Chaque capitale africaine concernée vivrait ces ajustements différemment : là où le sentiment populaire est majoritairement anti-français et prorusse (cas du Mali), l'opération devrait s'accompagner d'un effort soutenu de communication pour légitimer le changement auprès de la population.
À l'inverse, dans des pays où la présence russe est surtout le fait d'une élite au pouvoir impopulaire, la chute de l'influence de Moscou pourrait être accueillie favorablement par une partie de la société civile. Quoi qu'il en soit, de telles secousses politiques comportent des risques : vide sécuritaire temporaire, rancœurs attisées, voire conflits internes si les luttes de pouvoir s'exacerbent. Les artisans du plan clandestin devront veiller à minimiser le chaos induit, sous peine de remplacer un problème par un autre.

Redéfinition de l'équilibre régional

À plus long terme, une diminution de l'empreinte russe pourrait redessiner la carte des influences en Afrique. Un équilibre nouveau émergerait, sans doute plus multipolaire. En l'absence du poids lourd russe, d'autres acteurs pourraient occuper l'espace : la Chine, déjà très implantée économiquement, consoliderait sa position de partenaire incontournable, tout en se gardant d'intervenir militairement; les puissances régionales africaines (Nigeria, Afrique du Sud, Kenya, Égypte...) gagneraient en importance dans la résolution des crises locales, pouvant jouer les médiateurs sans la compétition Est-Ouest en arrière-plan.
La Russie, elle, pourrait tenter de se repositionner via des alliances avec des pays du Moyen-Orient proches de l'Afrique (comme l'Iran ou l'Égypte) pour garder un pied indirect sur le continent, mais son rôle y serait nettement réduit. En somme, l'époque du face-à-face Moscou-Occident en Afrique pourrait laisser place à une configuration plus éclatée où aucun acteur extérieur n'a le monopole, ce qui pourrait offrir aux nations africaines une plus grande marge de manœuvre pour définir elles-mêmes leurs partenariats.
Cependant, il n'est pas exclu que ce vide relatif invite de nouvelles rivalités : la Turquie, les monarchies du Golfe ou même l'Inde pourraient accroître leurs propres engagements en Afrique, ajoutant de nouvelles couches à l'échiquier géopolitique continental.

Conclusion
 
Le pari clandestin que semblent prêts à tenter l'Ukraine et la France en Afrique témoigne de l'internationalisation croissante du conflit russo-ukrainien.

L'Afrique, longtemps périphérique dans les calculs des grandes puissances post-Guerre froide, s'est muée en un champ de bataille diplomatique et stratégique de premier plan, où se joue une partie de l'équilibre du monde de demain. Affaiblir l'influence russe à Bangui, Bamako ou Khartoum, ce n'est pas seulement rabattre les cartes en Afrique centrale ou de l'Ouest – c'est aussi envoyer un message global : celui d'une Russie contenue, repoussée dans ses retranchements, face à une coalition de nations résolues à défendre leurs intérêts et la souveraineté des États vulnérables. Reste que cette guerre de l'ombre n'est pas sans périls. Le succès n'est pas garanti et les dérapages sont possibles, dans des régions déjà marquées par la volatilité politique et les crises humanitaires.

Pour Paris comme pour Kiev, il s'agit d'un jeu subtil, mêlant audace et précaution, où chaque action doit être finement calibrée pour ne pas aliéner les populations locales ni provoquer une escalade incontrôlable avec Moscou. Si l'opération réussit, elle pourrait marquer un tournant dans la rivalité entre grandes puissances en offrant à l'Afrique une chance de souffler entre les étreintes russes et occidentales. Elle signalerait également que l'ère des incursions de Moscou sur tous les continents n'est plus inéluctable. Dans le cas contraire, un échec retentissant conforterait au contraire le Kremlin dans l'idée que l'Afrique demeure son terrain de chasse gardée face à des Occidentaux impuissants.

Quoi qu'il advienne, le simple fait que Kyiv et Paris conjuguent leurs efforts secrets si loin de leurs bases illustre à quel point la géopolitique contemporaine ne connaît plus de frontières : du Donbass aux rives du Sahel, les conflits s'entremêlent et les destins se croisent, remodelant en profondeur l'ordre international. Les prochains mois diront si l'Afrique francophone, en particulier, assiste à un nouveau basculement d'allégeance ou si la Russie parvient à s'accrocher à son pré carré. Une chose est sûre : l'issue de ce bras de fer discret pourrait bien redéfinir l'équilibre des forces sur le continent africain, et au-delà, pour les années à venir.

A propose de Giuseppe Gagliano

Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d'études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d'étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l'accent sur la dimension de l'intelligence et de la géopolitique, en s'inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l'École de Guerre Économique (EGE).
Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/ et avec l'Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l'Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/