Une volonté farouche de convaincre
Quel point commun existe-t-il entre un honke r chinois, un Casanova italien et un Squezzie français ?
Les trois font de l’influence. Certes, le premier est mandaté par le gouvernement de son pays et cherche à promouvoir un narratif officiel, tandis que le second, aventurier vénitien, est mort dans le dénuement après avoir été maitre dans la séduction des femmes. Quant au troisième, Lucas Hauchard de son vrai nom, il compte plus de huit millions d’abonnés sur son compte Instagram où ses vidéos de jeux sont des succès.
Rien ne relie donc apparemment, sauf une volonté farouche de convaincre de plus en plus d’audiences à agir selon leurs vœux. On comprend pourquoi la notion d’influence, présente dans tous les aspects de la vie sociale, est si difficile à définir et encore plus à intégrer dans ses objectifs stratégiques.
Les trois font de l’influence. Certes, le premier est mandaté par le gouvernement de son pays et cherche à promouvoir un narratif officiel, tandis que le second, aventurier vénitien, est mort dans le dénuement après avoir été maitre dans la séduction des femmes. Quant au troisième, Lucas Hauchard de son vrai nom, il compte plus de huit millions d’abonnés sur son compte Instagram où ses vidéos de jeux sont des succès.
Rien ne relie donc apparemment, sauf une volonté farouche de convaincre de plus en plus d’audiences à agir selon leurs vœux. On comprend pourquoi la notion d’influence, présente dans tous les aspects de la vie sociale, est si difficile à définir et encore plus à intégrer dans ses objectifs stratégiques.
Une notion trop longtemps déconsidérée
La France, pays révolutionnaire dans l’esprit et conservateur dans la lettre, ne fait pas exception.
La notion d’influence a mis très longtemps pour sortir de son image de propagande, de manipulation et de désinformation. Vision simpliste, mais sans doute plus confortable, pour éluder tous les problèmes liés aux conséquences de ce mécanisme d’interactions, hyperactif dans notre quotidien, depuis le citoyen jusqu’au ministre. Il aura donc fallu attendre novembre 2022 pour que le Président Macron érige l’influence au rang de fonction stratégique, au même titre que la dissuasion ou l’anticipation.
Les Américains et leurs alliés anglo-saxons, quant à eux, s’étaient emparés du problème dès 2001, alors que les succès militaires sur le terrain contre les talibans ne se traduisaient pas en soutien de la population afghane *1.
La notion d’influence qui s’était limitée jusque-là aux stratégies de vente *2 pénétrait la sphère des opérations militaires avec sa cohorte de notions inédites comme le soft Power ou la guerre cognitive. Un juste retour des choses après la razzia opérée par le marketing sur la terminologie militaire dans les années 50 (campagnes, cibles, opérations publicitaires…).
L’Histoire se prêtait d’ailleurs à une méfiance instinctive, notamment celle du siècle dernier.
L’URSS avait érigé l’influence en arme stratégique, dans son volet désinformation et manipulation *3 , et les démocraties s’étaient retrouvées démunies face aux actions déstabilisatrices orchestrées depuis Moscou. Les communistes avaient en effet compris très tôt que si la religion est l’opium des peuples, l’influence est le shilom qui permet de les droguer rapidement et durablement. Depuis ce temps béni d’un monde bipolaire, on ne cesse de parler d’influence, souvent à tort et à travers, croyant voir ses effets partout quand on ne les voyait nulle part, il y a à peine vingt ans. Étrange retour des choses…
Pourtant l’influence représente le sang qui circule dans les veines du corps social depuis ses origines. Elle est donc inhérente à toutes les sociétés, à toutes les périodes de leur développement et en leur sein, met en œuvre toutes les fonctions et touche tous les individus. Dire cela, c’est admettre enfin que l’influence est un mécanisme d’interaction sociale incontournable. Tout le monde fait et subit l’influence, chaque minute, tous les jours. À ce titre, la limiter aux simples échanges informatifs entre les individus, ou au marketing digital, est trop restrictif. Même s’il est encore difficile pour les experts du domaine d’admettre que l’objectif final de toute communication est d’influencer.
L’influence constitue en effet un « moyen d’amener celui à qui on s’adresse à envisager une autre vision des choses, à changer son paradigme » *4.
Mais c’est plus que cela : elle forge l’intime conviction de chaque individu, avec sa part d’irrationnel et d’instinctif.
Les techniques de séduction et leur littérature foisonnante, en sont un exemple parfait. Qu’est-ce que séduire sinon influencer l’autre sur la façon dont il ou elle me perçoit ? Se pose aussi la question de savoir ce qui caractérise l’audience.
Dans ce domaine, les intentions, ouvertes ou non, de celui qui met en œuvre une stratégie d’influence importent moins que les attentes de l’influencé. À la différence de la communication « classique », la maitrise de l’émetteur et même du vecteur, est moins importante pour un influenceur que celle du récepteur. On comprend pourquoi les sciences sociales se sont emparées du concept et notamment la psychologie sociale, la sociologie et même les neurosciences. En stratégie d’influence, il vaut mieux un message moyen, diffusé de façon non optimale, mais vers une cible parfaitement identifiée que l’inverse. Or chaque audience est différente et c’est là que le bât blesse.
La notion d’influence a mis très longtemps pour sortir de son image de propagande, de manipulation et de désinformation. Vision simpliste, mais sans doute plus confortable, pour éluder tous les problèmes liés aux conséquences de ce mécanisme d’interactions, hyperactif dans notre quotidien, depuis le citoyen jusqu’au ministre. Il aura donc fallu attendre novembre 2022 pour que le Président Macron érige l’influence au rang de fonction stratégique, au même titre que la dissuasion ou l’anticipation.
Les Américains et leurs alliés anglo-saxons, quant à eux, s’étaient emparés du problème dès 2001, alors que les succès militaires sur le terrain contre les talibans ne se traduisaient pas en soutien de la population afghane *1.
La notion d’influence qui s’était limitée jusque-là aux stratégies de vente *2 pénétrait la sphère des opérations militaires avec sa cohorte de notions inédites comme le soft Power ou la guerre cognitive. Un juste retour des choses après la razzia opérée par le marketing sur la terminologie militaire dans les années 50 (campagnes, cibles, opérations publicitaires…).
L’Histoire se prêtait d’ailleurs à une méfiance instinctive, notamment celle du siècle dernier.
L’URSS avait érigé l’influence en arme stratégique, dans son volet désinformation et manipulation *3 , et les démocraties s’étaient retrouvées démunies face aux actions déstabilisatrices orchestrées depuis Moscou. Les communistes avaient en effet compris très tôt que si la religion est l’opium des peuples, l’influence est le shilom qui permet de les droguer rapidement et durablement. Depuis ce temps béni d’un monde bipolaire, on ne cesse de parler d’influence, souvent à tort et à travers, croyant voir ses effets partout quand on ne les voyait nulle part, il y a à peine vingt ans. Étrange retour des choses…
Pourtant l’influence représente le sang qui circule dans les veines du corps social depuis ses origines. Elle est donc inhérente à toutes les sociétés, à toutes les périodes de leur développement et en leur sein, met en œuvre toutes les fonctions et touche tous les individus. Dire cela, c’est admettre enfin que l’influence est un mécanisme d’interaction sociale incontournable. Tout le monde fait et subit l’influence, chaque minute, tous les jours. À ce titre, la limiter aux simples échanges informatifs entre les individus, ou au marketing digital, est trop restrictif. Même s’il est encore difficile pour les experts du domaine d’admettre que l’objectif final de toute communication est d’influencer.
L’influence constitue en effet un « moyen d’amener celui à qui on s’adresse à envisager une autre vision des choses, à changer son paradigme » *4.
Mais c’est plus que cela : elle forge l’intime conviction de chaque individu, avec sa part d’irrationnel et d’instinctif.
Les techniques de séduction et leur littérature foisonnante, en sont un exemple parfait. Qu’est-ce que séduire sinon influencer l’autre sur la façon dont il ou elle me perçoit ? Se pose aussi la question de savoir ce qui caractérise l’audience.
Dans ce domaine, les intentions, ouvertes ou non, de celui qui met en œuvre une stratégie d’influence importent moins que les attentes de l’influencé. À la différence de la communication « classique », la maitrise de l’émetteur et même du vecteur, est moins importante pour un influenceur que celle du récepteur. On comprend pourquoi les sciences sociales se sont emparées du concept et notamment la psychologie sociale, la sociologie et même les neurosciences. En stratégie d’influence, il vaut mieux un message moyen, diffusé de façon non optimale, mais vers une cible parfaitement identifiée que l’inverse. Or chaque audience est différente et c’est là que le bât blesse.
*1 « Winning Hearts and Minds? Examining the Relationship between Aid and Security in Afghanistan’s Helmand Province », Stuart Gordon, Feinstein International Center, april 2011.*f2 Cialdini, R. Influence. The Psychology of Persuasion (1984), Harper Business, Revised edition 2006.*3ftnref3 Lire à ce sujet « Un Russe nommé Poutine », Héléna Perroud , Éditions du Rocher 2018.
*4 JUILLET Alain & RACOUCHOT Bruno, « L'influence, le noble art de l'intelligence économique », Communication & Organisation, n°42, 2012/2
Visée unique versus cibles multiples : étrange kaléidoscope
Chaque individu, même appartenant au même corpus social, est unique par définition. Il est motivé par des intérêts qui lui sont propres (parfois inavouables), qu’il souhaite atteindre par un cheminement intellectuel spécifique (parfois court), avec des moyens personnels (parfois surestimés). Pour cela, il perçoit son environnement et les acteurs qui s’y trouvent au travers d’un prisme particulier.
Ainsi, croyances, éducation, milieu socioprofessionnel, références, prescripteurs, actualités, modes, mais aussi localisation géographique, âge, expériences vécues (ou entendues) … viennent construire un étrange kaléidoscope des perceptions qui fait de chacun d’entre nous une audience unique. Unique dans notre façon de recevoir, trier, interpréter la masse des informations reçues (ou stimuli) puis de réagir (ou pas) à celles-ci *1.
La notion de biais cognitifs a été imaginée pour expliquer en partie l’irrationalité ou l’incohérence de la plupart de nos réponses et des comportements induits par celles-ci, irrationalité et incohérence qui constituent le terrain de jeux de l’influence *2 .
Bien sûr, les préjugés, les émotions *3 , les habitudes mentales ou les limitations attentionnelles et perceptuelles complexifient le façonnage de cette intime conviction, condition impérative du succès lors d’une stratégie d’influence.
Mais le regroupement par classe, communauté, corps professionnel ou selon des orientations idéologiques, religieuses et même sexuelles identiques, reflète surtout l’illusion de groupes homogènes dans leurs comportements puisque homogènes dans leurs modes de vie ou leurs croyances. Cette construction théorique trahit souvent une impuissance des experts à appréhender la complexité des mécanismes d’influence.
Car être un expert en influence, ce n’est pas être un prescripteur d’achat sur Internet ni le spin doctor d’une personnalité politique. C’est d’abord et avant tout, posséder une connaissance théorique qui couvre de multiples domaines, allant de la psychologie sociale à la géopolitique, en passant par la philosophie, la sociologie, les religions, l’histoire, la littérature… Bref, tout ce qui entre en compte dans la détermination de la carte d’identité sociale d’un individu, et influe sur les mécanismes d’élaboration de son intime conviction.
C’est aussi avoir une solide expérience personnelle et professionnelle dans la plupart de ces domaines, car l’influence est le domaine où il faut être un stratège et un stratégiste. On comprend mieux la réticence de certains responsables, notamment de la communication, à considérer l’influence comme le moteur de tout échange informatif. On comprend mieux aussi le recours idéologique aux instituts de sondage pour essayer de dessiner des tendances ou les formules simplistes des responsables politiques : « les Français veulent ceci, détestent cela. » Aveux d’impuissance devant des mécanismes complexes à appréhender et impossibles à maitriser.
D’autant plus, que les modes d’action de l’influence reposent la plupart du temps sur une stratégie indirecte : l’audience visée n’est jamais engagée par l’influenceur lui-même qui préfère utiliser des intermédiaires pour l’atteindre. Cette stratégie à plusieurs bandes renforce la crédibilité de l’émetteur et donc du message, malgré un risque de dénaturation, en dissimulant celui-ci derrière une succession de relais jugés objectifs et/ou désintéressés. Elle le préserve aussi de toute riposte directe des cibles engagées. En influence, pour vivre heureux, vivons cachés ! L’utilisation de proxys est donc habituelle notamment dans les stratégies d’influence des États[ *4 .
Ainsi, croyances, éducation, milieu socioprofessionnel, références, prescripteurs, actualités, modes, mais aussi localisation géographique, âge, expériences vécues (ou entendues) … viennent construire un étrange kaléidoscope des perceptions qui fait de chacun d’entre nous une audience unique. Unique dans notre façon de recevoir, trier, interpréter la masse des informations reçues (ou stimuli) puis de réagir (ou pas) à celles-ci *1.
La notion de biais cognitifs a été imaginée pour expliquer en partie l’irrationalité ou l’incohérence de la plupart de nos réponses et des comportements induits par celles-ci, irrationalité et incohérence qui constituent le terrain de jeux de l’influence *2 .
Bien sûr, les préjugés, les émotions *3 , les habitudes mentales ou les limitations attentionnelles et perceptuelles complexifient le façonnage de cette intime conviction, condition impérative du succès lors d’une stratégie d’influence.
Mais le regroupement par classe, communauté, corps professionnel ou selon des orientations idéologiques, religieuses et même sexuelles identiques, reflète surtout l’illusion de groupes homogènes dans leurs comportements puisque homogènes dans leurs modes de vie ou leurs croyances. Cette construction théorique trahit souvent une impuissance des experts à appréhender la complexité des mécanismes d’influence.
Car être un expert en influence, ce n’est pas être un prescripteur d’achat sur Internet ni le spin doctor d’une personnalité politique. C’est d’abord et avant tout, posséder une connaissance théorique qui couvre de multiples domaines, allant de la psychologie sociale à la géopolitique, en passant par la philosophie, la sociologie, les religions, l’histoire, la littérature… Bref, tout ce qui entre en compte dans la détermination de la carte d’identité sociale d’un individu, et influe sur les mécanismes d’élaboration de son intime conviction.
C’est aussi avoir une solide expérience personnelle et professionnelle dans la plupart de ces domaines, car l’influence est le domaine où il faut être un stratège et un stratégiste. On comprend mieux la réticence de certains responsables, notamment de la communication, à considérer l’influence comme le moteur de tout échange informatif. On comprend mieux aussi le recours idéologique aux instituts de sondage pour essayer de dessiner des tendances ou les formules simplistes des responsables politiques : « les Français veulent ceci, détestent cela. » Aveux d’impuissance devant des mécanismes complexes à appréhender et impossibles à maitriser.
D’autant plus, que les modes d’action de l’influence reposent la plupart du temps sur une stratégie indirecte : l’audience visée n’est jamais engagée par l’influenceur lui-même qui préfère utiliser des intermédiaires pour l’atteindre. Cette stratégie à plusieurs bandes renforce la crédibilité de l’émetteur et donc du message, malgré un risque de dénaturation, en dissimulant celui-ci derrière une succession de relais jugés objectifs et/ou désintéressés. Elle le préserve aussi de toute riposte directe des cibles engagées. En influence, pour vivre heureux, vivons cachés ! L’utilisation de proxys est donc habituelle notamment dans les stratégies d’influence des États[ *4 .
*1 HASTIE Reid, « Problems for judgment and decision making », Annual Review of Psychology, 2001.*2 VERSKY Amos et KAHNEMAN Daniel, « Judgement under uncertainty : Heuristics and biases », Science, 185, n°4157, 1974.*3 NACEUR Abdelmadjid, « Quand l’émotion perçoit et décide : un paradigme se construit », in de la perception à la décision : Intégration de la cognition, l’émotion et la motivation, Boeck Supérieur, Belgique, 2010*4 L’Iran et ses “proxys” au Moyen-Orient. Les défis de la guerre par procuration, Morgan Paglia, Vincent Tourret, IFRI, Focus stratégique, n° 95, mars 2012
L’influence n’est pas « un art simple et tout d’exécution ». Construire un narratif.
Malgré cela, l’influence reste en France encore sous-estimée et parfois méprisée dans les entreprises et les ministères. Aucune formation universitaire ne lui est spécifiquement dédiée *1 . En complément de tout ce qui a été dit précédemment, c’est aussi parce qu’en élaborer une stratégie nécessite des efforts de coordination internes jugés insurmontables pour des résultats longs à venir et difficilement quantifiables. Le problème se pose déjà dans le Marketing pour mesurer l’évaluation de l’efficacité des campagnes de publicité : comment savoir si la progression des ventes d’un jus de fruits est liée à un spot ou la conséquence de la hausse des températures sur la France ? Pourtant, les raisons justifiant l’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie d’influence sont nombreuses.
D’abord parce que si la nature même des crises n’a pas fondamentalement changé, la perception qu’en ont les audiences, de même que la nature et le poids de leurs réactions, elle ont changé. Aujourd’hui, la compréhension de la nature des actions engagées et leur contexte est devenue aussi importante que la recherche des causes et des responsabilités. Les ripostes restent donc souvent insuffisantes si elles ne sont pas accompagnées d’éléments informatifs convaincants, autour de trois axes temporels : « l’entreprise avait fait le maximum pour éviter que cela n’arrive. Elle fait le maximum pour que tout redevienne normal le plus vite possible. Elle fera tout son possible pour ce que cela ne se reproduit pas. »
Cette construction narrative permettra de consolider l’intime conviction des audiences que votre thèse est la bonne.
Une stratégie d’influence se définit donc comme l’art d’organiser et d’employer l’ensemble des données et capacités disponibles dans l’environnement de l’entreprise (diplomatiques, économiques, informationnelles, humaines et socioculturelles) pour atteindre les objectifs stratégiques fixés, en agissant dans les champs psychologiques et cognitifs. On parle parfois de guerre des perceptions *2 qui représente l’affrontement des légitimités perçues par les acteurs d’une crise. Il s’agit de convaincre de la pertinence des décisions et des actions engagées par l’entreprise et ainsi leur donner du sens pour susciter l’adhésion.
Toute stratégie d’influence commence par la construction d’un narratif propre. Il s’agit d’inscrire l’entreprise dans la durée, condition essentielle pour recueillir les bénéfices de l’influence, en lui créant une histoire personnelle. Des individus et des groupes viendront s’y greffer, par choix, convictions ou pragmatisme qui deviendront autant de soutiens, mais aussi de relais potentiels d’influence. En temps de crise, il vaut mieux être défendu par dix clients de l’entreprise que par mille salariés ! Une fois ce narratif construit – et régulièrement actualisé – l’identification des audiences prioritaires peut commencer. L’entreprise ne pouvant matériellement engager tous les individus interagissant dans son environnement, elle va déterminer ceux qui représentent une réelle plus-value mais aussi les plus nocifs.
Croire que l’on est seul sur le champ de bataille de l’influence conduit souvent à des réveils douloureux ou, au moins, à devoir se limiter à une stratégie défensive de contre-influence. L’emploi d’une matrice (cf. ci-dessous) précisant leur positionnement vis-à-vis de l’entreprise et leur niveau d’activité permet de déterminer les axes d’effort des futures opérations d’influence. Les audiences jugées hostiles et actives ne seront pas engagées, car leur ralliement est irréaliste, mais elles seront mises sous surveillance.
Les audiences hostiles, mais inactives feront l’objet d’une attention particulière pour ne pas les voir s’impliquer davantage. Les soutiens inactifs feront l’objet d’opérations d’influence pour qu’ils agissent en faveur de l’entreprise, tandis que les soutiens actifs seront « choyés », car leur prise de position révèle souvent un courage et un sens des responsabilités. Bien sûr, cette matrice ne prend pas en compte les liens qu’ont les différentes audiences entre elles, et n’identifie donc pas les relais permettant d’atteindre les audiences prioritaires indirectement. Une analyse dynamique doit donc venir compléter ce premier état des lieux.
La troisième étape dans l’élaboration d’une stratégie d’influence est la plus importante. Elle vise à coordonner l’ensemble des actions menées dans le temps et l’espace, grâce à une matrice de synchronisation. C’est souvent là que les entreprises rencontrent de vraies difficultés, par manque de culture et de méthode. En effet, tous les membres d’une organisation font de l’influence dans le cadre de leur emploi, mais de façon désordonnée. L’équipe dirigeante ou les cadres, lorsqu’ils rencontrent leurs contacts professionnels ou simplement participent à des réunions externes (séminaires, colloques, rendez-vous), diffusent des messages d’influence parfois sans s’en rendre compte. Si ceux-ci viennent se contredire, l’effet peut être désastreux.
Je me soubirnd d'un collègue lors d’un cocktail de clôture d’un stage, qui se plaignait auprès de mes stagiaires des problèmes récurrents de moyens que connaissait son service. En dix minutes et un verre de l’amitié, il avait altéré les messages positifs que j’avais passé une semaine à leur transmettre. Cette matrice de synchronisation planifiera donc dans le temps *3 les axes d’effort, les cibles prioritaires et les messages à faire passer.
Enfin, la dernière étape dans la construction d’une stratégie d’influence consiste à en mesurer l’efficacité pour amender au besoin les messages, les audiences ou l’agenda établis. Ce n’est pas la phase la plus aisée - nous avons vu plus haut pourquoi – mais elle est indispensable. Elle doit être envisagée sur le moyen terme (semaines, mois), s’appuyer sur des critères précis et doit être élaborée à partir du fusionnement des données recueillies par tous les acteurs de l’influence.
D’abord parce que si la nature même des crises n’a pas fondamentalement changé, la perception qu’en ont les audiences, de même que la nature et le poids de leurs réactions, elle ont changé. Aujourd’hui, la compréhension de la nature des actions engagées et leur contexte est devenue aussi importante que la recherche des causes et des responsabilités. Les ripostes restent donc souvent insuffisantes si elles ne sont pas accompagnées d’éléments informatifs convaincants, autour de trois axes temporels : « l’entreprise avait fait le maximum pour éviter que cela n’arrive. Elle fait le maximum pour que tout redevienne normal le plus vite possible. Elle fera tout son possible pour ce que cela ne se reproduit pas. »
Cette construction narrative permettra de consolider l’intime conviction des audiences que votre thèse est la bonne.
Une stratégie d’influence se définit donc comme l’art d’organiser et d’employer l’ensemble des données et capacités disponibles dans l’environnement de l’entreprise (diplomatiques, économiques, informationnelles, humaines et socioculturelles) pour atteindre les objectifs stratégiques fixés, en agissant dans les champs psychologiques et cognitifs. On parle parfois de guerre des perceptions *2 qui représente l’affrontement des légitimités perçues par les acteurs d’une crise. Il s’agit de convaincre de la pertinence des décisions et des actions engagées par l’entreprise et ainsi leur donner du sens pour susciter l’adhésion.
Toute stratégie d’influence commence par la construction d’un narratif propre. Il s’agit d’inscrire l’entreprise dans la durée, condition essentielle pour recueillir les bénéfices de l’influence, en lui créant une histoire personnelle. Des individus et des groupes viendront s’y greffer, par choix, convictions ou pragmatisme qui deviendront autant de soutiens, mais aussi de relais potentiels d’influence. En temps de crise, il vaut mieux être défendu par dix clients de l’entreprise que par mille salariés ! Une fois ce narratif construit – et régulièrement actualisé – l’identification des audiences prioritaires peut commencer. L’entreprise ne pouvant matériellement engager tous les individus interagissant dans son environnement, elle va déterminer ceux qui représentent une réelle plus-value mais aussi les plus nocifs.
Croire que l’on est seul sur le champ de bataille de l’influence conduit souvent à des réveils douloureux ou, au moins, à devoir se limiter à une stratégie défensive de contre-influence. L’emploi d’une matrice (cf. ci-dessous) précisant leur positionnement vis-à-vis de l’entreprise et leur niveau d’activité permet de déterminer les axes d’effort des futures opérations d’influence. Les audiences jugées hostiles et actives ne seront pas engagées, car leur ralliement est irréaliste, mais elles seront mises sous surveillance.
Les audiences hostiles, mais inactives feront l’objet d’une attention particulière pour ne pas les voir s’impliquer davantage. Les soutiens inactifs feront l’objet d’opérations d’influence pour qu’ils agissent en faveur de l’entreprise, tandis que les soutiens actifs seront « choyés », car leur prise de position révèle souvent un courage et un sens des responsabilités. Bien sûr, cette matrice ne prend pas en compte les liens qu’ont les différentes audiences entre elles, et n’identifie donc pas les relais permettant d’atteindre les audiences prioritaires indirectement. Une analyse dynamique doit donc venir compléter ce premier état des lieux.
La troisième étape dans l’élaboration d’une stratégie d’influence est la plus importante. Elle vise à coordonner l’ensemble des actions menées dans le temps et l’espace, grâce à une matrice de synchronisation. C’est souvent là que les entreprises rencontrent de vraies difficultés, par manque de culture et de méthode. En effet, tous les membres d’une organisation font de l’influence dans le cadre de leur emploi, mais de façon désordonnée. L’équipe dirigeante ou les cadres, lorsqu’ils rencontrent leurs contacts professionnels ou simplement participent à des réunions externes (séminaires, colloques, rendez-vous), diffusent des messages d’influence parfois sans s’en rendre compte. Si ceux-ci viennent se contredire, l’effet peut être désastreux.
Je me soubirnd d'un collègue lors d’un cocktail de clôture d’un stage, qui se plaignait auprès de mes stagiaires des problèmes récurrents de moyens que connaissait son service. En dix minutes et un verre de l’amitié, il avait altéré les messages positifs que j’avais passé une semaine à leur transmettre. Cette matrice de synchronisation planifiera donc dans le temps *3 les axes d’effort, les cibles prioritaires et les messages à faire passer.
Enfin, la dernière étape dans la construction d’une stratégie d’influence consiste à en mesurer l’efficacité pour amender au besoin les messages, les audiences ou l’agenda établis. Ce n’est pas la phase la plus aisée - nous avons vu plus haut pourquoi – mais elle est indispensable. Elle doit être envisagée sur le moyen terme (semaines, mois), s’appuyer sur des critères précis et doit être élaborée à partir du fusionnement des données recueillies par tous les acteurs de l’influence.
*1 Il y a quelques années, j’ai élaboré une maquette de Master en stratégie d’influence qui n’a jamais été concrétisée.*2 The Perception Wars: How Influence Shapes Conflict, Alex Hollings , Independently Published, 2018*3 ]url:#_ftnref3 Au moins, un an.
Et demain ?
L’influence *1,hier décriée, a désormais un avenir radieux devant elle, pour peu que chacun prenne conscience des opportunités qu’elle offre, mais aussi des contraintes qu’elle impose. La conjonction de trois facteurs va sans doute faire d’elle un élément majeur de construction et déconstruction sociales dans les prochaines décennies.
D’abord, un monde hyperconnecté où la diffusion des messages est instantanée et difficilement contrôlable.
Ensuite, un espace digital devenu le terrain de jeux de toutes les stratégies de déstabilisation pour les États comme pour les organisations criminelles.
Enfin, avec l’accélération des progrès de l’Intelligence artificielle, une frontière entre réel et virtuel qui va s’amenuiser au point que les audiences ne se demanderont plus si leur source est fiable, mais d’abord si elle est humaine.
Ces bouleversements technologiques, auxquels il faut ajouter les tensions géopolitiques, vont complexifier encore la détermination des mécanismes d’élaboration de l’intime conviction chez les audiences. Face à un chaos possible, mais encore évitable, une seule solution : accroître la résilience des audiences en faisant un effort sur leurs capacités d’analyse et donc de compréhension. Pour cela, il faudra faire passer des messages clairs, construits et cohérents. L’influence permettra de le faire. À condition d’en maitriser tout le spectre et de ne pas se limiter à en contrer les effets.
D’abord, un monde hyperconnecté où la diffusion des messages est instantanée et difficilement contrôlable.
Ensuite, un espace digital devenu le terrain de jeux de toutes les stratégies de déstabilisation pour les États comme pour les organisations criminelles.
Enfin, avec l’accélération des progrès de l’Intelligence artificielle, une frontière entre réel et virtuel qui va s’amenuiser au point que les audiences ne se demanderont plus si leur source est fiable, mais d’abord si elle est humaine.
Ces bouleversements technologiques, auxquels il faut ajouter les tensions géopolitiques, vont complexifier encore la détermination des mécanismes d’élaboration de l’intime conviction chez les audiences. Face à un chaos possible, mais encore évitable, une seule solution : accroître la résilience des audiences en faisant un effort sur leurs capacités d’analyse et donc de compréhension. Pour cela, il faudra faire passer des messages clairs, construits et cohérents. L’influence permettra de le faire. À condition d’en maitriser tout le spectre et de ne pas se limiter à en contrer les effets.
*1 Lire à ce sujet : « dix ans de réflexion sur l'influence : le bilan de Bruno Racouchot », Communication & Influence n°100, janvier 2019. Disponible sur : http://www.comes-communication.com/files/newsletter/ Communication&Influence_janvier_2019_Bruno_Racouchot.pdf
A propos de Thierry Fulsalba
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Il est l’auteur de différents ouvrages sur la gestion des crises dont Planification et gestion de crise (L’Harmattan, 2009), et l’Art de la crise (L’Harmattan, 2013).
Né à Lyon, Thierry FUSALBA est passionné de théâtre et d’écriture. Il a publié chez l’Harmattan en 2016 un roman Les vies multiples, un carnet de route Les hommes du bord de terre, un essai politique en 2018 Moi, électeur de la République, ainsi qu’un recueil de nouvelles, Mémoires d’outre espace et un recueil de poésies, Poésies incomplètes, en 2023. Marié à Lysiane, il est le papa d’un Nikolas de six ans et vit dans le sud de la Touraine
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Né à Lyon, Thierry FUSALBA est passionné de théâtre et d’écriture. Il a publié chez l’Harmattan en 2016 un roman Les vies multiples, un carnet de route Les hommes du bord de terre, un essai politique en 2018 Moi, électeur de la République, ainsi qu’un recueil de nouvelles, Mémoires d’outre espace et un recueil de poésies, Poésies incomplètes, en 2023. Marié à Lysiane, il est le papa d’un Nikolas de six ans et vit dans le sud de la Touraine
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