Intelligence artificielle

VEILLELAB 29 janvier 2025 : « Les apports de l’IA générative à la veille ». Entretien entre Véronique Mesguich et Natalie Maroun


Natalie Maroun, Rédactrice associée.
Mardi 28 Janvier 2025


Lors du premier VeilleLab de 2025, Véronique Mesguich analysera les contributions des technologies d'IA générative au processus de veille. Elle abordera trois aspects principaux : tout d'abord, elle expliquera ce qui peut être automatisé par les IA et ce qui ne peut pas l'être. A cette occasion elle s'est entretenue avec Natalie Maroun.



Véronique Mesguich proposera une comparaison des modèles de langage et des moteurs de recherche conversationnels.
Enfin, elle élargira la discussion à l'intégration des technologies d'IA dans les outils de veille professionnels et les éditeurs de contenu.
Elle conclura en partageant ses réflexions sur les nouvelles compétences nécessaires pour les professionnels de la veille à l'ère de l'IA

Pourriez-vous svp en quelques mots présenter votre parcours?

Après des études en mathématiques, je me suis orientée vers les sciences de l’information et les métiers des bibliothèques. J’avais en effet découvert avec émerveillement les bibliothèques de l’Université d’Oxford !
J’ai partagé ensuite ma carrière entre les bibliothèques (j’ai dirigé l’Infothèque du Pôle Léonard de Vinci pendant plusieurs années) et la veille. Je suis aujourd’hui consultante et formatrice, j’enseigne la méthodologie de veille dans plusieurs établissements, dont l’Ecole Européenne d’Intelligence Economique et l’EBD, ainsi qu’en entreprise et dans le cadre de l’ADBS.
 

Qu'apporte l'IA générative aux professionnels de la veille?

L’IA est déjà présente depuis des années, et sous plusieurs formes, dans le processus et les outils de veille.  Les IA génératives, basées sur des modèles de langage (qui ne se limitent bien entendu pas au seul ChatGPT) ont apporté de nombreux avantages aux professionnels de la veille.

Dans la phase préparatoire d’une veille, l’IA générative (IAG) permet d’obtenir rapidement un premier état des lieux, de façon à dégager des axes de veille. Le travail de réflexion sur les champs lexicaux est largement facilité par les modèles de langage qui savent produire des listes de termes et expressions en plusieurs langues, classées selon des notions. Les services de recherche web basés sur des IA (SearchGPT, Perplexity) peuvent contribuer au sourcing, en identifiant via des recherches web des listes de sources spécialisées sur un thème de veille (salons professionnels, experts…).
Certains veilleurs utilisent l’IAG pour élaborer des requêtes booléennes, il faut néanmoins rester vigilant sur la rigueur des formulations.

Mais c’est surtout dans la phase d’analyse et de synthèse que les IAG vont apporter aide et gain de temps, grâce à leurs capacités d’analyse sémantique, d’extraction d’entités nommées ou de catégorisation automatique. Face à des volumes importants de documents et données, l’IAG peut permettre d’extraire des signaux faibles et d’effectuer des analyses prédictives. L’analyse de contenus images et vidéos est facilitée par les capacités de reconnaissance visuelle. Ces avancées sont particulièrement utiles pour l’exploitation de contenus OSINT.
Les IAG sont également utiles dans la phase de diffusion, à travers la génération de livrables personnalisés. Les résultats de l’analyse peuvent être restitués sous différentes formes (cartographie, graphe de liens, datavisualisation…) avec une grande plasticité.

La recherche d’informations web met en œuvre des IA depuis déjà quelques années. De nouveaux outils toujours plus puissants et autonomes vont se développer courant 2025. Google a ainsi lancé en test Deep Research, associé à Gemini Advanced, et qui génère des réponses sourcées et approfondies. Le nouvel agent d’OpenAI, Operator, semble très prometteur en matière d’autonomie dans les tâches de recherche web.
Enfin, les éditeurs de contenu sont de plus en plus nombreux à intégrer des IAG dans leurs bases de données, que ce soit dans le secteur scientifique, juridique, médical…
 

Y a-t-il des tâches ou des processus qui ne peuvent pas être automatisés?

Je répondrais plutôt par une affirmation : il y a des tâches qui ne doivent pas être totalement automatisées ! Les IAG nous font gagner du temps avec le traitement automatique de volumes importants de données ou documents. Mais l’analyse fine des résultats, la constitution d’un corpus de sources cohérent et fiable, la prise de distance par rapport à un sujet et plus globalement le processus de prise de décision requièrent encore aujourd’hui la plasticité d’un cerveau humain.

Il en va de même pour la détection des fake news et des biais ; les IAG peuvent aider à les repérer, mais il faut toute la finesse d’un esprit humain pour comprendre, corréler et véritablement transformer l’information en intelligence et créativité.
Comme le dit l’ingénieur et  philosophe Christian Fauré, « notre humanité réside justement dans l’incalculable ».
 

quels défis l'IA pose-t-elle aux éditeurs de plateformes de veille ?

La plupart des plateformes de veille du marché ont été développées avant l’arrivée des IAG en 2022 . Afin de rester compétitifs, les éditeurs ont commencé à intégrer des nouveaux produits et services basés sur l’IA, et concernant surtout les tâches d’automatisation de la classification, la production de résumés ou la génération de livrables personnalisés. Certaines plateformes offrent la possibilité à l’utilisateur de saisir leurs requêtes en langage naturel sous forme de prompts qui seront transformés en requêtes booléennes.

L’un des enjeux majeurs pour les éditeurs de plateforme est la garantie de la qualité et de la fiabilité des informations générées. Cela repose sur la nécessité de disposer de données fiables en entrée, et d’une IA souveraine pour un usage interne, c’est-à-dire conçue pour fonctionner en toute sécurité au sein d’une entreprise ou organisation.
Par ailleurs, les plateformes de veille devront s’adapter face à de nouveaux concurrents ou solutions alternatives. Un outil no-code comme Make permet d’automatiser diverses tâches du processus de veille et peut être couplé avec des modèles de langage.

La question de la transparence, du respect du droit d’auteur et plus généralement de l’éthique dans l’utilisation de l’IA fait également partie des préoccupations, notamment chez Sindup qui a élaboré une charte pour une IA « éthique et responsable »
 

Quelles nouvelles compétences seront nécessaires pour les professionnels de la veille avec l'intégration de l'IA?

Les professionnels de la veille ont acquis de nouvelles compétences en matière de prompt engineering, et maintiennent parfois des bibliothèques de prompts spécifiques.  Leur rôle futur pourrait se situer à la croisée entre l’analyse stratégique, la maitrise technique des IA , la gestion des réseaux humains et   l’éthique de l’information.
Mais j’attire surtout l’attention sur le risque d’érosion de compétences en matière de sourcing, d’élaboration de requêtes complexes ou encore d’analyse critique, face à une apparente facilité d’utilisation des IA.
 

Comment l'enseignement universitaire et la formation continue s'adaptent-ils pour anticiper les changements à venir ?

Nous sommes actuellement dans une phase de forte mutation, un peu comparable à l’arrivée du web dans les années 1990.  Ces mutations vont se poursuivre dans les années à venir, pour sans doute se stabiliser ultérieurement, au point que les IA feront partie intégrante  de nos pratiques professionnelles, de façon transparente. Selon une boutade célèbre, « dès qu’une application fonctionne, on ne parle plus d’IA ! ».
Face à un avenir incertain, il s’agit en matière de formation initiale et continue d’adapter tant les programmes que les approches pédagogiques, afin de préparer les étudiants et les professionnels aux défis d’un monde de l’information dominé par l’automatisation et l’analyse de données.
 

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