Intelligence des Territoires, PME, ETI

les « Rencontres de l’Evaluation des politiques publiques, 2ᵉ Edition »


David Commarmond
Mercredi 15 Avril 2020


LE 13 février 2020 à l’Hôtel de Lassay, France Stratégie a organisé les « Rencontres de l’Evaluation des politiques publiques, 2ᵉ Edition », avec en partenariat le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, cette journée a rassemblé plus de 200 chercheurs, de nombreux parlementaires et administrateurs de l’Assemblée nationale, et des citoyens. 



Introduction

En l’absence de Richard Ferrand, Président de l’Assemblée Nationale, il fut remplacé par M. le Député Laurent Saint-Martin. Sous l’égide d’Hannah Arendt et Pierre Rosanvallon. Monsieur Laurent Saint-Martin donna un cadre général de la journée de ces deux brillants philosophes et auteurs et de leurs écrits. Bien qu’issus de la guerre froide, à l’heure des réseaux sociaux et des infox, leur pensée demeure d’actualité.
 
Ainsi dans son célèbre article « La Crise de la culture, Vérité et politique» Hannah Arendt s’interroge sur la forme de « rivalité et de relation établie entre le fait et la politique  », Celle-ci faisait le constat que le politique ne pouvait durer sans la vérité factuelle, mais il doit la considérer comme une limite du contrat, d’où souvent une relation compliquée entre ces deux thèmes».
 
En parallèle, Pierre Rosanvallon dans son livre « La Contre-Démocratie, la politique à l'âge de la défiance  » l’auteur nous recommande de prendre en considération la défiance des citoyens et de permettre à chacun d’interroger les procédures et de ne pas demander une confiance aveugle parce que simplement c’est une autorité. Il pose le principe que nous devons faire dialoguer les deux autorités, autorité scientifique et autorité législative.

Il propose deux axes d’amélioration :
  • trouver un équilibre entre vérité et politique,
  • trouver une meilleure mise en commun travaux de politique publiques.
 
Il pose la question de comment améliorer la coordination des évaluations ainsi que la production des études et des rapports, éviter la redondance et enfin mieux définir le périmètre et les limites. Il met en garde contre l’apparente simplicité qui se cache le dilemme, « Doit-on piloter ou pilonner ? », car le monde de l’évaluation est complexe. L’autre risque étant de simplifier à l’extrême au risque de rendre simpliste, et c’est là que l’évaluation devient essentielle.
 
 Ce qui sont en effet des questions très actuelles.
 Il laissa ensuite la place à Philippe Aghion pour approfondir la question de la croissance et la décroissance : « Renoncer à la croissance, voire viser la décroissance, quand ce n’est pas mettre fin au capitalisme, de nombreuses voix s’élèvent aujourd’hui pour changer le monde». « Nous avons dépassé le féodalisme, nous pouvons dépasser le capitalisme ».

L'intervention de Philippe Aghion

Philippe Aghion plaide pour une réconciliation et un dialogue apaisé. « Réguler le capitalisme, permet de libérer la croissance, la rendre plus inclusive, plus verte». Il fit un petit rappel géopolitique et historique. Evoquant les modèles de l’Inde et de la Chine qui sont sorties de la pauvreté grâce à la croissance, en trente ans, le niveau de vie a augmenté et l’espérance de vie s’est accrue grâce à elle. Sans croissance, ces deux pays ne seraient pas parvenus à sortir de la pauvreté plusieurs centaines de millions de personnes. « Pourtant la croissance est un phénomène récent dans l’histoire humaine, elle a tout juste 200 ans ». Pendant très longtemps en effet, le rythme de l’évolution du niveau de vie était insignifiant. Aujourd’hui, le moindre habitant français vit beaucoup mieux que Louis XIV.
 
Appuyant ses propos en faisant référence aux travaux de l’historien Joël Moquire et Piketty. Il explore plusieurs problématiques. Avec Joël Moquire, il voit trois grands facteurs qui expliquent pourquoi ce décollage économique a eu lieu en Europe et comment.
 
1. Tout d’abord des innovations comme, la Poste et l’Encyclopédie qui ont favorisé la diffusion du savoir, sa codification, suivie par la liberté du savoir. Ce qui a permis à chaque chercheur de pouvoir s’appuyer sur un socle de connaissances, sans avoir à réinventer la roue.
2. La naissance du concept de brevets qui permet de protéger la propriété de l’innovation.
3. Enfin, la concurrence entre pays européens, « si un scientifique était contrarié dans un pays, il pouvait travailler dans le pays d’à-côté ».
 
Sur les travaux de Piketty, il s’intéresse à savoir comment les inégalités sont apparues, manifestées puis amplifiées en fonction de différents facteurs. Et comment l’innovation qui avait été un élément clé de la croissance était aussi devenu source aussi d’inégalité, de barrières.
 
La difficulté entre les acteurs politiques et économiques est de trouver un équilibre entre des intérêts souvent contradictoires. Entre une course à l’innovation ou des situations de rente, qui freine l’innovation par le lobbying, la réglementation, le contrôle des nouveaux entrants.
 
Des attentes sociétales diverses, tout aussi contradictoires entre l’intérêt collectif et l’intérêt personnel. Des comportements et des stratégies collectives qui privilégient le court terme, « les entreprises préfèrent innover sur les segments où elles excellent », ainsi dans le secteur automobile, le nombre de brevets déposés sur les moteurs thermiques est largement supérieur à ceux déposés sur l’électrique. Ce constat s’applique à l’ensemble des secteurs d’activités, industriels ou pas et les conséquences innombrables sur les entreprises, les administrations et nos vies professionnelles et personnelles.
 
Ce mouvement est amplifié par notre dépendance technologique et informatique et plus particulièrement par les GAFAM. Les inégalités en sont accentuées. La mobilité sociale en est entravée, c’est-à-dire qu’en fonction de votre lieu de résidence, une métropole riche ou non, votre trajectoire professionnelle et personnelle en est conditionnée. Et plus le pays a une mobilité sociale faible et présente une politique conservatrice, moins il est innovant et offre des opportunités. À l’inverse, un pays ayant une forte mobilité sociale et « innovant », plus il offre des opportunités. Toutefois, cette innovation peut devenir un frein, si la part des revenus diminue des personnes travaillant dans ce secteur. On peut ainsi travailler dans un secteur avec de fortes marges, l’entreprise peut engranger des bénéfices colossaux, mais offrir des salaires peu élevés et d’une grande précarité. Et c’est ce qui s’est passé au cours des vingt dernières années.
 
Dans son article « A Theory of Falling Growth and Rising Rents  » qui peut être traduit par la croissance qui tombe et les rentes qui augmentent, Philippe Aghion et Peter Klenow développent une argumentation pour expliquer en quoi la stratégie de Facebook décourage les nouveaux entrants.
 
La stratégie d’achat massif et à prix d’or des pépites par les GAFAM est une stratégie de court terme. D’autre part les avantages initiaux des grands groupes, les capitaux, les établissements secondaires et les succursales, demeurent des avantages compétitifs. Ce qui accroît encore leur hégémonie.
 
La solution proposée par Philippe Aghion. « Il faut repenser les politiques et institutions de la concurrence… pour que les révolutions comme les TICS et IA stimulent la croissance au lieu de l’entraver. » Conséquence, l’innovation baisse, la croissance baisse, tous les indicateurs baissent.
 
Et c’est cela le problème. Facebook est partout et décourage tout le monde. Ce phénomène est d’autant plus fort, qu’aux USA, les fusions et acquisitions sont sans limites et que cela amplifie le sentiment de découragement.
 
Conséquence : La croissance n’est pas qu’une histoire de technologies, c’est la conjonction entre des technologies et des institutions. Et le problème est qu’aux États-Unis la révolution des TICS et plus récemment l’IA rencontrent un cadre juridique et des autorités de la concurrence inadaptées. « Si vous n’avez pas les bonnes institutions, au lieu de stimuler la croissance, elles seront un handicap qui « plomberont » la croissance ».
 
 
Philippe Aghion propose les solutions suivantes  :
  • identifier les leviers de croissance par l’innovation,
  • l’école, « sans de bons tests pisa pour tout le monde, il ne peut y avoir d’innovation »,
  • l’économie du savoir, le financement de la recherche fondamentale est essentiel, nous sommes en perte de vitesse, l’Allemagne, la Chine sont devant nous,
  • la concurrence, il faut laisser les nouveaux entrants venir,
  • dynamisme du marché du travail, par le biais d’une véritable flexi-sécurité.
 
Ensuite analyser dans quelles mesures chacun de ces leviers permet ou non d’augmenter la mobilité sociale.
  • La taxation doit être progressive sans être confiscatoire,
  • Une école et une formation professionnelle véritable,
  • Mettre en place une véritable flexi-sécurité avec une politique d’indemnisation du chômage,
  • Une véritable politique de concurrence,
  • Une politique de financement des campagnes.
 
La croissance inclusive est un ensemble de mesures, ce ne peut être que le premier instrument, mais aussi les autres
 
Réguler la croissance pour une croissance plus verte
Qu’est-ce qui fait que je n’ai pas besoin de la décroissance ?
Si je suis dans un monde sans innovation, alors le seul moyen de traiter le problème des ressources finies, d’éviter le changement climatique, c’est de stopper la croissance. C’est le seul moyen.
 
Mais l’innovation permet de reculer les limites, de limiter la consommation de ressources polluantes, d’utiliser des ressources plus respectueuses de l’environnement, avec l’innovation on peut sortir du malthusianisme, si vous êtes environnementaliste (et nous devons tous l’être), si vous ne croyez pas dans l’innovation vous devez être malthusien. La seule chose qui peut vous empêcher de l’être s’est de croire dans l’innovation.
 
Le problème est que l’innovation n’est pas spontanément verte, c’est le phénomène de dépendance au sentier (théorie en sciences sociales que l’on peut résumer par le poids de l’habitude). C’est pourquoi l’État doit redynamiser l’innovation et rediriger vers l’énergie verte.
 
En regardant le secteur automobile à travers le monde, dans 80 pays, on a regardé les brevets triadiques (USA/Europe/Japon) et on a regardé les brevets « propres » (électricité), « sales » (combustion), en regardant l’historique des sociétés, on peut voir vers quoi elles vont innover. Le nombre de brevets sales est plus élevé que les brevets propres et on souhaiterait que peu à peu la courbe du propre prenne le pas sur le sale. Or dans la dépendance au sentier, on ne veut développer seulement les domaines où la recherche est performante, et laisser de côté les domaines où la recherche est moins performante. Si vous laissez les chercheurs et les industriels livrés à eux-mêmes, ils vont continuer à faire ce qu’ils faisaient avant. Il faut donc que l’État intervienne, sinon les géants feront du lobbying et continueront à innover dans les énergies fossiles. Avec la taxe carbone, vous redirigez les efforts de recherche vers les énergies vertes en rendant moins favorable la recherche vers les énergies fossiles. C’est un moyen d’action. Mais il y en a d’autres, par exemple les subventions, la concurrence, l’innovation, la pression des consommateurs.
 
Des études ont été réalisées, les consommateurs sondés afin de mesurer à quel point ces derniers étaient prêts à payer pour protéger l’environnement (impôts, prix) et avec cela on construit un indicateur de volonté d’environnement.
 
Les indicateurs de concurrence réalisés par l’OCDE, de la Banque de France se combinent avec les indicateurs de volonté d’environnement.
Les valeurs sont l’éducation et la concurrence et non la taxe carbone dans les priorités.
Les deux ensembles font des « super-taxes » carbone.


Conclusion
  • L’innovation doit être dans le débat.
  • Tous les riches ne sont pas des rentiers, il y a des innovateurs,
  • La surtaxation n’est pas nécessaire pour rendre la croissance plus inclusive, ni la plus verte.