Acteurs

Pascal Frion "COMMENT S’INFORMER QUAND ON A TROP D’INFORMATIONS ? "


David Commarmond
Dimanche 8 Février 2015




Le 20 Novembre 2014, à l'IAE de Paris, s'est tenue la 114ème conférence de l'association Alumni présidée par Jérôme Bondu et animée par Pascal Frion sur le thème « COMMENT S’INFORMER QUAND ON A TROP D’INFORMATIONS ? ».

D'une durée de deux heures, la soirée commença, par la présentation de l'intervenant à19h30 jusqu'à 20h15 par Jérôme Bondu, puis elle fut suivie par l'intervention de Pascal Frion de 20h15 à 21h00 et se termina par un débat avec la salle pour se clore à 21h45 par un cocktail dînatoire.

Pascal Frion est expert et consultant en intelligence économique, spécialisé auprès des Pme. Il a créé et dirige "Acrie Réseau" depuis 1999. Il travaille également sur le thème de l’anti-criminalité et la sécurité nationale. Il participe enfin à des travaux de prospective et de développement territorial à l’Institut Jules Verne de l’Institut de Locarn.

Docteur en Intelligence Economique depuis 2012, il a notamment travaillé sur le problème de la surinformation, et il a établi le premier bilan du discours sur l’intelligence économique en France. Il est auteur de deux ouvrages en Intelligence Economique, et d’une thèse qui a reçu une mention spéciale en 2013 décernée par l’Académie de l’Intelligence Economique. Aux Usa, l'association SCIP lui a remis en 2014 le prix « Spécial recognition for outstanding contribution ». 

Divisée en trois temps, cette intervention visait à démontrer par des retours d'expériences pragmatiques des entreprises qu’il a accompagnées, notamment des PME en France, mais aussi à l'international. « L’accès à plus d’informations n’est pas un but en soi ». Trop d’information détruit de la valeur. 

Dans un premier temps, il démontre que les recettes classiques pour nous informer sont issues de l’ère industrielle et nous « sur-informent » souvent plus qu’elles nous informent.
Il nous rappela que les croyances, constitutives de notre identité, jouent un rôle important dans la constitution de celle-ci et de notre équilibre psychique, mais ces même croyances sous-tendent aussi les mauvais réflexes informationnels. 

Enfin, Il critiqua, ce qui a fait l'objet de sa thèse « discours en intelligence économique » qui selon lui n’est pas adapté et présenta une méthodologie en quatre étapes pour une mise en œuvre opérationnelle au niveau individuel et collectif.

Les recettes classiques pour nous informer sont issues de l’ère industrielle et nous surinforment souvent plus qu’elles nous informent. Ces pratiques, font de nous des victimes volontaires et consentantes de la surinformations. Ancrés dans nos usages, valorisés par la société dès l'école. Ces comportements se font parfois au détriment de notre santé et de ses conséquences à court / moyen terme. 
Les pratiques qui dans un monde ou l'information étaient rares et limitées, circonscrites à des milieux professionnels. Dès lors qu'elles s'inscrivent dans un temps long et qu'elles se diffusent, deviennent toxiques et nous empoisonnent aujourd'hui dans notre quotidien.
A l'ère industrielle, la notion de gros volumes avait un sens, les plus gros volumes étaient contenus dans des administrations, des bibliothèques. La consultation de ses données, de ses informations, de ses connaissances, était limitée, ponctuelle et réservée à des « privilégiés ». Jusqu'à encore récemment, même avec Google la consultation était limité à la consultation fixe. Aujourd'hui, la mobilité a mis sur des téléphone ces millions de données.

Autre caractéristique, l'ère industrielle est aussi l'ère de la répétition et la régularité, telle Charlie Chaplin dans les temps modernes, nous tentons de serrer les boulons. Ce comportement se traduit aujourd'hui par notre appétence à attendre l'information plutôt que d'aller la chercher. Enfin, la standardisation, se retrouve dans notre façon de rechercher par mot clé l'information et de poser notre questionnement. Le vecteur texte, que nous privilégions, est pauvre comparé à l'interaction humaine. Pourtant elle est moins mobilisée et valorisée. Cette standardisation se retrouve d'ailleurs dans notre langage courant, notamment dans les références à la norme : « C'est normal », « Ce n'est pas normal ».


L'ère industrielle était obnubilée par la chasse au temps morts et la rareté de l'information permettait au décideur de vouloir « tout » ce qui concerne un sujet. Aujourd'hui, la croissance de la connaissance est telle que ce « tout » est impossible à tenir, sa conservation conduit les structures à gérer des stocks importants d'informations, de documentation et les outils développés, entretiennent cette masse d'information. 

Les personnes chargées de développer ces outils, de les gérer, doivent développer des compétences pour maintenir ces stocks et leur alimentation permanente, mais aussi développer une vision sectorielle, (encore un élément de l'ère industrielle), plutôt que transverse. Hélas l'information est donc encore vue comme une matière première, qui doit répondre à des critères rationnels, qualifiables et sur lequel on peut attendre un ROI. Elle doit pouvoir être donnée dans un temps toujours plus court. A quoi peut il servir des stocks d'informations si les réponses données se comptent en semaines, jours ou heures ? 

Cette logique mécaniste et scientifique du travail, se retrouve dans la logique orientée outil, au détriment de l'humain. L'humain est si complexe, si difficilement prévisible et mesurable, qu'il est souvent préféré se limiter à des éléments quantifiables. Les structures privilégient des logiques de réductions de risques, quitte à limiter ou ignorer une opportunité. Conséquence, l'action est retardée tant que l'organisation n'a pas réunie 'toute' l'information. L'opportunité est neutralisée de son côté par une information standardisée, de faible valeur ajoutée. L'inaction en est bien souvent la finalité.

La créativité, l'imagination, les compétences qui font que chaque individu est unique, apparaissent en queue de peloton, non prioritaires.

Comme les Etats, la logique de puissance qui motive les entreprises, les conduit à avoir une surenchère technologique, au détriment parfois d'une réelle efficacité stratégique.

Nous devrions donc bannir certaines expressions populaires qui ne devraient plus avoir cours car relevant relevant d'un autre temps ou parce qu'elles sont imprécises, excessives, ou trompeuses. Elles sont nombreuses, et la liste est non-exhaustive. On peut en citer quelques-unes : 
  • toute information est bonne à prendre ;
  • commençons par regarder l’existant ;
  • partager l’information, remonter l’information;
  • une entreprise doit être à l’écoute, on doit « tout » savoir;
  • l’ignorance coûte plus cher que la connaissance…
Cela impacte nos pratiques professionnelles : 
Depuis plusieurs années, les nouvelles technologies ont bouleversé nos comportements et organisations. Nous avons la manie de regarder les petites entreprises et les personnes comme si elles étaient des grandes entreprises en modèle réduit. Nous avons pris l'habitude d'aller sur internet par facilité, pour ne pas déranger les gens. Et le confort de l'immédiateté des réponses nous ont conforté dans cette pratique. C'est l'effet Google. Enfin, nous avons appris à être dans le bruit, la généralisation des chaînes de TV en continu nous a habitué à être dans cette cacophonie, plutôt qu'au silence. Et nous allons toujours vers plus d'informations et de données. Le Big Data devient prégnant. Avant, avec peu d’information, nous étions obligés d’émettre des hypothèses, aujourd’hui avec le web et peut-être demain nous raisonnerons différemment.

Mais les entreprises et plus globalement nos sociétés sont dans le déni. Déni de principe de réalité qui se manifeste par le sur-travail. Déni de la surinformation, nous avons trop d’informations généralement inutiles alors que nous manquons d'informations stratégiques.

La qualité du WEB stagne, en vingt ans il y a peu d'évolutions, les techniques de recherche sont les globalement les mêmes – par mots-clés - et la qualité des pratiques générales de la population ne s'est pas accompagné d'une éducation. Enfin les sollicitations permanentes du web, limitent notre capacité d'attention. Et quand ce n'est pas le WEB, les distractions proviennent de nos collègues et nous alternons ainsi les casquettes de victimes et de bourreau. Premier symptôme en général, notre incapacité à lire et se concentrer sur des documents longs.

Nous oublions entre temps de nous concentrer sur l'important. Nous ne recensons pas nos besoins, « dans une base de besoins ». Nous ne la partageons pas donc pas. Très souvent, notre interlocuteur, notre dirigeant, ne sais pas ce qu'il veut car il n'a pas de base de besoins clairement définie mais on continue à lui transférer de l'info. Que dire alors des entreprises dont les salariés sont en désaccord majeur avec leur hiérarchie.

Comme les junkies, nous sommes addictes à l'information. Cette addiction fait de nous un argument de ventes, puisqu'elle fait de nous une cible, nous lui attribuons même nos problèmes, nos déconvenues, car si nous avions l'information nous aurions une meilleure analyse, moins de problèmes de communications.

Nous ignorons alors nos biais cognitifs, nos erreurs de jugement, nos approches, nos comportements et nous mettons peu de contre-mesures et des mesures d’accompagnement.

Les croyances qui sou-tendent les mauvais réflexes informationnels sont l’héritage de notre histoire et de notre éducation. Elles se retrouvent dans notre mode de fonctionnement et notre approche du monde. L’information est considérée comme une matière première. L’approche industrielle dont nous avons développé les caractéristiques. Enfin, l'héritage de Descartes est encore prégnant, même si celui-ci demeure quasiment oublié et applicable, mais qui considère comme « analysable » le monde qui nous entoure. 

Les méthodes d'analyse issues du monde militaire et du monde du journalisme, qui considère l'information comme recoupable, validable, triangulable nous enferre dans des cadres.

La veille qui devrait nous servir à  à savoir ce qui se passe  permet avant tout à s’assurer qu’il ne se passe rien ! Cela peut légitimer l'inaction.

Notre propension à en vouloir plus, encore plus, toujours plus, l'attente de la croissance se développe sur différents modes : réalité augmentée, voiture sur-équipée, connexion permanente. 
Mais l'ère de l’information, répond-elle à nos questions. ?

Si ce soir vous deviez retenir quelque chose de mon message, je souhaiterais que vous reteniez ceci.

Nous nous informons de manière chaotique et de manière mécaniste aujourd’hui : le simple passage en revue de l’information rapidement (ciblage filtrage) est fragile (positivisme, objectivisme excessif). Il y a donc des marges de progrès importantes, malgré les milliers d'heures de navigation sur internet que nous avons accumulées en vingt ans.
Savons-nous mieux gérer l’information aujourd’hui : nos bureaux physiques et nos disques durs sont-ils mieux rangés qu’hier ?
Faut-il encore ranger ou faut-il tagguer ?

La dimension humaine a été ignorée, nous  considérons l'humain comme un objet non identifié, avons peur d’étudier une boite noire, de tomber dans le subjectif. Pourtant nous aurions beaucoup encore à apprendre d'écosystèmes plus riches en interactions comme les petites structures, notamment celles qui présentent des résistances.

La recherche scientifique dans le domaine de la pédagogie, et de la neurologie apporte leur lot d'innovations et de réponses. En effet, nous savons depuis longtemps que l'information qui nous conforte dans nos certitudes est interprétée différemment que celle qui infirme notre croyance. Une information positive sera valorisée, tandis qu'une formation négative sera minorée voire écartée.

Travailler sur nos croyances et biais cognitifs et faire le ménage dans nos têtes et dans nos pratiques pour adapter nos méthodes au monde d'aujourd'hui.

Je plaide non pour plus d'informations mais pour plus de valeur ajoutée. C'est à dire concrètement : 
  • identifier les informations créatrices de valeur (vraiment utiles) ;
  • identifier les informations destructrices de valeur (chronophages, toxiques,  inutiles, générant des interruptions de travail, distractions inopportunes et leur résister, les refuser, s’en sevrer, dégraisser le mammouth) ;
  • élargir le spectre de l’information  en créant une base de besoins, prototypes de recherches, réseaux de capteurs, prototypes d’actualisation, questionnement stratégique et questionnement critique ;
  • s'informant autrement (système informatif performant) : mode de pensée, pensée critique, l’information reléguée en deuxième ligne… ;
  • enfin croire que la bonne info est sur internet est une erreur.