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Les Mondes Anticipes, interview d'Olivier Parent Prospectiviste


David Commarmond
Mercredi 31 Août 2022




DC : Pouvez-vous vous présenter ?

Olivier Parent Prospectiviste
Olivier Parent Prospectiviste

OLIVIER PARENT : je suis prospectiviste. Pour être plus précis, je me revendique d’une double culture artistique et scientifique. En 2006, j’ai fondé FuturHebdo.com, le magazine de nos futurs immédiats, un site de vulgarisation de la prospective. J’ai récidivé en 2015, en créant le Comptoir Prospectiviste.fr, un bureau d'études en prospective stratégique, futur des organisations et sociologie des nouveaux usages. Tous ces éléments ont contribué à la création des Mondes Anticipés, le festival nomade de prospective et d'anticipation qui, au gré de son tour de France, valorise l’innovation et les bonnes pratiques dans les territoires.

En tant que conférencier et consultant expert, j’interviens en université et dans d'autres établissements d’enseignement supérieur, auprès d’institutions et d’associations dans médias radio et presse.
 
Tous ces lieux, toutes ces actions pour rappeler que « Nul n’est censé ignorer le futur » !!!


DC : Pouvez-vous nous parler du Festival des Mondes Anticipés.

OP : Le Festival des Mondes Anticipés est un festival d’un nouveau genre, itinérant tout d’abord, puisque, pour sa première saison 2021-2022, il s’est tenu dans quatre villes à quatre dates différentes. Il est aussi visible dans d’autres événements mais proches des thématiques que nous explorons. Le premier chapitre est ainsi intitulé « Faut-il sauver le vaisseau Terre ? », bien qu’il soit précédé de plusieurs années de réflexion. Le lancement du chapitre 2 est prévu pour Novembre 2022. Il se poursuivra tout au long du premier semestre 2023, ce sont sept villes qui seront visitées pour explorer son thème : « Le corps dans tous ses états. Biologiques, sociales, numériques : faut-il avoir peur des mutations annoncées ? ». Nous avons aussi produit un numéro spécial de FuturHebdo, en version papier, offert aux visiteurs du festival. Le pdf est aujourd’hui disponible sur le site prospectiviste.fr

DC : Quel public touchez-vous ?

OP : Tout public. La sociologie de nos visiteurs est très hétérogène. Bien sûr, il s’agit avant tout d’un public intéressé par les questions que nous portons, ce sont donc des curieux. Cela va des lycéens et des étudiants jusqu’aux professionnels et bien après 77 ans. L’important est la curiosité !

Le premier opus a pu toucher 4000 personnes dont un millier à distance. 


DC : Quelle est sa caractéristique ?

OP : Le festival s’appuie sur une analyse critique de science-fiction. Que ce soit au travers des romans, du cinéma, des jeux vidéo… La SF a désormais acquis ses lettres de noblesse et, en même temps, elle baigne la culture populaire. C’est un outil formidable pour questionner et se questionner. En se restreignant au cinéma de SF, tel qu’il est utilisé dans le festival des Mondes Anticipés, il se révèle plus profond qu’il n’y paraît, de nombreux éléments de philosophie l’imprègne et il peut être utilisé comme base de réflexion. En définitive, il met en lumière beaucoup plus de choses sur notre présent que sur le futur. La SF est une porte ouverte sur un possible, elle soulève une question, une problématique, déroule un scénario et s’achève souvent sur un happy end.
 
Mais l’important n’est pas là. L’important est le chemin proposé, le chemin parcouru et les multiples options possibles que comporte ce chemin. La SF nous dit que d’autres choix sont possibles, soit en posant autrement la question, soit en envisageant un éventail de solutions. Ce qui nous invite à être positif et acteur de nos vies.


DC : Pouvez-vous être plus précis ?

OP : Notre environnement médiatique et économique, nous dit que le bonheur est dans la consommation voire la surconsommation. il oublie d’évoquer les conséquences de nos actes, il les occulte même. Or, chaque acte, chaque achat, aussi minime soit-il, induit notre responsabilité, car indirectement, nous produisons des déchets, nous émettons du CO2 pour produire les objets de notre consommation et les détruire, tout cela à l’échelle individuelle aussi bien que collective. En coupant le lien entre ces différentes actions, la publicité nous place dans une situation délicate : Nos aspirations de consommateurs individuels sont confrontées à nos conséquences collectives et à notre impuissance individuelle. C’est le serpent qui se mord la queue. Notre émotionnel est touché, blessé, et confronté à une force d’inertie liée à des temporalités différentes. Ce discours permanent, les images qui en découlent, finissent par nous imprégner, limitent notre imagination et nos capacités d'action. Nous vivons dans une société de la subjectivité. L’hyperconsommation ne laisse de la place qu’au destin individuel au détriment d’un destin collectif.
 

Il en résulte une atomisation de la société, une « archipélisation ». Nous n’acceptons plus l’autre dans sa diversité et sa complexité. Chaque groupe de pensée devient plus intransigeant, extrême, violent. La société devient un ensemble d’individualités juxtaposées. Jérôme Fourquet fait une magistrale démonstration de ce phénomène dans son ouvrage, sorti en 2019, « l’Archipel Français ».
 

Il démontre que la matrice catho-républicaine s’est complètement disloquée, qu’elle est devenue une composante parmi d’autres. Cet effondrement permet à de nouvelles valeurs d’émerger, des valeurs qui ne sont pas forcément en adéquation avec le substrat  initial.
 
L’effacement progressif de l’ancienne France sous la pression de la France nouvelle induit une sécession des élites, une autonomisation des catégories populaires. L’instauration d’une société multiculturelle de fait, disloque les références culturelles communes (comme l’illustre, par exemple, la spectaculaire diversification des prénoms).


DC : Existe-t'il des solutions pour favoriser le dialogue, abaisser le niveau de tension ?

OP : Je n’ai pas de solutions toutes faites, il n’y a que des pistes de réflexions à proposer. Les solutions ne peuvent être que collectives. Les envisager est la tâche que l’on s’est donné dans le festival des Mondes Anticipés.
 

Quelques pistes de réflexions à explorer : Créer une nouvelle ontologie, une nouvelle définition de la notion d’être. En effet, jusqu’à présent la philosophie classique n’a envisagé la notion d’être que dans une conception restreinte, centrée sur l’homme et sa relation à lui-même. Au cours du dernier siècle, les ontologies classiques, notamment religieuses, se sont aussi effondrées, laissant l’individu du XXIe siècle face à sa dimension la plus restreinte, émotionnelle. Les nouvelles générations, Z, Alpha, qui n’ont connu que ce mode de fonctionnement sont les groupes les plus sensibles de la population à cette nécessité de refondation ontologique.
 

Comme piste de réflexion, on peut aussi « convoquer » Hans Jonas. Philosophe allemand, dans son ouvrage Le principe responsabilité, il propose un nouvel impératif aux temps présents : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d'une vie authentiquement humaine sur Terre. ». Datant de 1979, mais sorti en France en 1991, cet ouvrage n’a rien perdu de sa force et de son actualité. Très connu en Allemagne, Jonas est lu par toutes les générations. En France, son ouvrage a été plus critiqué bien qu’il ait inspiré certains milieux intellectuels ainsi que le principe de précaution du droit français. Sa pensée est aussi à l'origine de l’actuelle notion de développement durable.
 

Quand Hans Jonas pose la question « pourquoi l'humanité doit exister ? », il remet en question l'existence de l'humanité et la réponse qu’il donne va à l’encontre de ce qui semble aller de soi : « L’homme doit exister, vu qu'il a, comme tout être vivant, une valeur absolue qui lui est inhérente et qu'il s'agit par conséquent de protéger quoi qu'il en coûte ». Jonas met en lumière que, à cause de son pouvoir d'influence nouvellement acquis grâce à la technologie, l’humain a désormais les capacités de détruire la nature et lui-même, en peu de temps. Une première dans l’Histoire. Hans Jonas pose le postulat qu'il y a urgence à refonder l'éthique acquise, ancestrale. Celle-ci était basée sur un humain vivant en « cités », citadelles autonomes où il créait son monde et sa morale, sans vraiment toucher à l'être du monde. La cité (grecque) restait soumise à la nature. Cette éthique était une morale d’un présent permanent dépassée, il faut donc réécrire une éthique, une ontologie pour les temps à venir.
 
 C’est l'emprise technico-scientifique de l’humanité sur le réel, sur la nature des choses qui change la donne : désormais, l'humain « mondial » par les conséquences de ses actions dominent le monde (la nature) et la changent sans réelle ligne directrice, si ce n’est le consumérisme (notion liée à l’éthique qu’on a identifiée comme obsolète entre autre à cause de son rapport étroit au présent permanent). L'éthique doit donc se projeter vers l'avenir et vers un collectif qui inclut l’ensemble des formes de vie qui accompagne l’humanité, seul moyen, pour Jonas, de pouvoir énoncer que l’humain doit continuer à exister… 
 

De nombreux documents, des critiques comme celles de « L'Humanité à venir a-t-elle des droits ? Par Laurence Hansen-Love  », des vidéos comme la chaîne d’Alain Bajomée et Catherine Larrère, permettent de découvrir Hans Jonas. Je vous invite à découvrir cet auteur et vous faire votre propre avis. 


Pour aller plus loin :

https://prospectiviste.fr/

https://prospectiviste.fr/futurhebdo-05-numero-special-mondes-anticipes-est-paru-publication/

• « La science-fiction peut-elle être source d’inspiration pour la construction des politiques publiques ? » pour le magazine Horizons publics : https://www.horizonspublics. (vous en retrouverez l'esprit à partir de la page 113 du magazine FuturHebdo numéro spécial Mondes Anticipés : https://prospectiviste.fr/)

• Risques, IA et prospective : un mariage à trois naturel ? Pour le magazine Préventique : https://www.futurhebdo.fr/

• « Océan Arctique 2020-2050 : nouvelles routes maritimes et changement de donne géopolitique pour GEAB (Global European Anticipation Bulletin) du LEAP : https://geab.eu/ocean-

ou : https://www.futurhebdo.fr/
 

• « De la nécessité d'injecter une dimension éthique dans l'IA » pour le magazine Neo Domo (pages 10 à 12) : http://www.cvreal.fr/neo-  
 

• « Enjeux éthique et souveraineté territoriale dans les colonies spatiales humaines » pour Space'ibles, l'observatoire de prospective spatiale du CNES (pages 95 à 98, un parmi bien d'autres articles...) :  https://spaceibles.cnes.fr/

ou https://www.futurhebdo.fr/