Intelligence des Territoires, PME, ETI

Le Cluster Nogentech, un exemple réussi d'Industrie et de Haute technologie


David Commarmond


« Le modèle de clusters d’entreprises est à la fois très ancien, particulièrement actuel et prometteur pour notre économie et nos territoires. A l’occasion de la préparation par France Clusters et ses partenaires du Forum FILEX France, qui célèbrera, les 12 et 13 septembre prochain, 20 ans de politiques publiques de soutien au développement des clusters (1999-2019), Veille Magazine vous propose, en soutien avec France Clusters, une série d’articles sur des clusters dont le dynamisme s’appuie sur une histoire industrielle parfois très ancienne et affichent des parcours et des réussites remarquables. Passionnant ! Ce « tour de France des 20 ans des clusters » commence à Nogent, en Haute-Marne, chez le cluster Nogentech. Moteur, ça tourne !

Vous pourrez ensuite prolonger et échanger sur ces modèles et leurs défis d’aujourd’hui les 12 et 13 septembre lors du 1er Forum des filières d’excellence et des systèmes territoriaux. Ce forum sera aussi l’occasion de célébrer les 20 ans de France Clusters. »



Pouvez-vous nous parler du Cluster Nogentech ?

Christophe Juppin : Voilà presque 20 ans, en 2002, le Cluster Nogentech a été créé pour fédérer les entreprises du territoire. Cinquante entreprises sont membres du cluster ce qui représente environ 3 000 personnes salariées. Deux axes regroupent ces entreprises : - le département « Prosthesis Valley » avec les entreprises liées au secteur des dispositifs médicaux ce qui représente 55 % des membres du cluster
 
- le département « FLAAMM » qui comprend des entreprises spécialisées en Forge-Laser-Aéronautique-Automobile-Mécanique pour 45 %.

Ces deux axes ont été choisis parce qu’ils reflètent l’activité du territoire, mais aussi et surtout dans le but valoriser nos actions « FLAAMM », trop souvent masquées dans les médias par les actions de la « Prosthesis Valley ». Pourtant, les réglementations, les normes et les savoir-faire qui animent ces deux secteurs sont très proches. L’exigence de qualité, la précision et la rigueur qui animent la production de prothèses métalliques ou de pièces d’aviation sont similaires.

 
Parmi les adhérents, on note des leaders mondiaux :

  • la plus grande forge automobile de France : Forges de Courcelles, groupe SIFCOR à Nogent
  • la plus grande forge aéronautique de France : Manoir Aerospace – forges de Bologne, groupe LISI à Bologne
  • la plus grande forge du médical d’Europe : Établissements Maurice Marle à Nogent
Le Cluster Nogentech a été labellisé SPL (Système Productif Localisé) en 2000, puis PER (Pôle d’Excellence Rurale) en juin 2006. Il a été reconnu par l’État en tant que « grappe d’entreprises » en mai 2010.

 


 


Quels sont les principaux freins au développement de ces entreprises ?

Christophe Juppin : Au niveau international, la France est depuis longtemps un pays moteur de l’innovation dans le médical. Notre territoire en est un bon exemple.
 
Le premier frein est la paranoïa dans le domaine du médical à la suite du traumatisme des prothèses PIP. Le monde des dispositifs médicaux au sein de l’Union Européenne traverse une crise historique. En effet, à partir du 26 mai 2020 sera appliqué un nouveau règlement qui introduit des normes plus strictes entraînant un considérable durcissement de la législation. Cette décision est bien anticipée par nos grandes entreprises, mais c’est une catastrophe pour les petites entreprises de moins de 10 personnes, qui sont les plus innovantes ! Si ces petites entreprises cherchent à faire auditer leurs produits en vue de la date fatidique, les auditeurs leur propose un rendez-vous deux ans après…
 
Mais la dynamique reste forte, de même que l'intensité capitalistique du secteur médical et les reventes sont fréquentes. L’ADN du secteur des dispositifs médicaux est robuste.
 
Le marché des prothèses augmente régulièrement et les perspectives de croissance sont importantes. Les prothèses de genou, de hanche et d’épaule sont plus particulièrement concernées du fait de la prise de poids de la population, mais aussi à cause du développement du sport et des traumatismes qui en résultent, auxquels s’ajoutent l’allongement de la durée de la vie et le vieillissement de la population.

Le second frein est lié à la mauvaise image du territoire. Certes la densité de la population est faible, mais ce même territoire compte une densité industrielle considérable grâce à la présence de leaders mondiaux. En conséquence le taux de chômage est particulièrement bas et les potentiels de développement sont considérables. Il y a véritablement de l’avenir sur le territoire.
 
Pour beaucoup, l’emploi ne se crée pas en dehors des métropoles. Nos économistes ne connaissent pas d’exemples de créations d’emplois industriels en milieu rural. Venez en Sud-Haute-Marne, vous aurez une révélation !

Vous êtes optimiste ?

Christophe Juppin : Absolument. Les acteurs économiques et institutionnels ont une forte réactivité au service des besoins des entreprises, ils travaillent harmonieusement à la valorisation du territoire.

 
Quels sont les atouts du territoire : Nous investissons dans la formation, dans tous les savoir-faire mécaniques, matériaux et numériques. Avec l’antenne de l’Université de Technologie de Troyes à Nogent, nous contribuons à former 15 élèves en licence professionnels, 50 élèves ingénieurs en apprentissage par an. Nous compléterons prochainement le parcours de formation dès la 3ᵉ avec l’ouverture d’un nouveau BTS en septembre 2019. D’autres formations sont envisagées, car les besoins de formation sont importants pour répondre aux besoins d’embauche du secteur industriel.
 
Le pôle de compétitivité BioValley France (Illkirch, 67), l’Institut Carnot MICA et le cluster Nogentech (Nogent, 52) se sont rapprochés pour travailler sur leurs complémentarités dans le domaine de l’innovation et favoriser le développement du territoire par le biais d’un partenariat.
 
La faible densité de population favorise un prix du foncier bas, associé à une qualité de vie exceptionnelle dans un lieu exceptionnel. Le Groupement d’Intérêt Public Haute-Marne gère un fonds annuel de 29 millions d’euros d’aide à l’investissement spécifique au territoire, dédié au développement économique et à l’aménagement en Haute-Marne. Son action s’inscrit conformément aux dispositions du code de l’environnement.
 
L’ancienne région Champagne-Ardenne bénéficie d’une colonne vertébrale autoroutière ouverte vers Reims, Paris et Lyon. Le réseau SNCF n’est toutefois pas parfait, nous manquons de dessertes et nous aurions besoin d’un aéroport pour renforcer nos liens à l’international.
 
La Haute-Marne est terre d’accueil de nombreuses entreprises allemandes. Cet intérêt a encore été renforcé ,lors de la création de la grande région, par les volontés parallèles du Grand Est est de se tourner vers l’Allemagne et de l’Allemagne de se tourner vers la France. La Sarre avec la Frankreichstrategie veut former une nouvelle génération d’étudiants totalement bi ou trilingues et proposer dès le plus jeune âge des cours de français. Le Grand Est souhaite multiplier les partenariats avec l’Allemagne.
 
 Le 25 juillet 2006 à Laval, le cluster Nogentech et son département Prosthesis Valley, ont intégré le "réseau thématique Health Tech" pour les dispositifs médicaux. Nogentech a été distingué parmi les écosystèmes les plus favorables aux start’ups de la santé de la French Tech. La communauté French Tech TROYES (Auxerre, Sens, Troyes, Chaumont et Nogent) a été labellisée le 03 avril 2019.

Le territoire entre-t-il dans une mutation importante ?

Christophe Juppin : Outre les performances industrielles déjà cités, le territoire reste un paradis écologique. C’est un paradoxe, mais il cumule trois avantages. Il est à la fois un territoire rural, un territoire numérique ultra connecté et un territoire qui offre de l’emploi, trois sources d’attractivité non négligeables.  
 
En lisière de l’activité économique, un parc national des forêts de Champagne et Bourgogne, le 11ème parc national français, devrait être créé en novembre 2019 sur 244.000 Ha. Un accompagnement économique se met en place et de nouvelles activités vont émerger. Quoi de plus attractif pour un Parisien que de quitter une atmosphère polluée, des loyers inaccessibles pour un territoire hyperconnecté, avec une vie industrielle passionnante à côté d’une nature préservée. Plusieurs jeunes start’ups nous ont déjà contactés.
 
Les ressorts du territoire sont beaucoup plus importants et forts qu’on pourrait le croire. L’histoire du territoire est très ancienne et se trouve au cœur de la période hallstattienne ( -600 av JC). La métallurgie a été transmise aux Celtes et reprise par les cisterciens, jusqu’au 17ᵉ siècle quand le barbier était aussi chirurgien. Depuis 400 ans déjà, le territoire est réputé pour sa coutellerie (Langres puis Nogent) et ses dérivés comme les lames, les ciseaux. Napoléon favorisa cette industrie pour équiper ses armées lors de ses différentes campagnes.
 
Le savoir-faire des hommes et des entreprises a permis d’acquérir une légitimité dans le domaine des matériaux qui a fait pendant longtemps de la Haute-Marne le premier département industriel de France.
 
Aujourd’hui ces entreprises sont toujours vivantes et dépositaires de ce savoir-faire. Elles demeurent à l’écoute des attentes des clients et du marché.

 


Quelques éléments de prospective ?

Christophe Juppin : L’évolution des entreprises, en phase avec celles des marchés, est permanente. Toutefois le secteur industriel demeure fragile au niveau national car il représente aujourd’hui environ 12 % de l’emploi alors qu’ il était il y a quelques années de 24% comme en Allemagne.
 
Aujourd’hui, l’industrie n’a plus rien à voir avec celle du début du siècle. Le drame, c’est que le message ne passe pas bien après des jeunes. Les usines actuelles se numérisent et se robotisent massivement, elles font appel à des connaissances pointues mais aussi à des environnements stériles. Nous sommes bien loin de la suie, la graisse et poussière du début du siècle qui rendaient les travaux industriels pénibles. L’entreprise Forge de Courcelles compte plus de 125 Robots, ils sont chargés de ces travaux répétitifs.
 
La robotique crée de l’emploi, elle devrait se généraliser dans l’usine du futur. Le plan Régional Grand Est sur le numérique, qui prône l’ introduction d’intelligence artificielle pour gérer la data des entreprises devrait voir se généraliser la maintenance prédictive.
 

Point de vue de France Cluster :

Au-delà du succès et de la longévité de l’initiative qui vous est décrite ici, le « cas Nogentech » est à nos yeux tout à fait intéressant à plus d’un titre. Il illustre par exemple combien la structuration d’un tissu économique « en mode cluster » n’est pas une question exclusivement métropolitaine ou de « ville capitale ». On peut être un territoire rural et avoir un tissu entrepreneurial tout à fait remarquable pour qu’une structuration en réseau prenne corps.

Sa « clusterisation » est d’autant plus évidente qu’elle est une condition au désenclavement commercial des entreprises et à leur visibilité nationale ou internationale sur leurs marchés cibles. On note également combien le partenariat multiacteurs est essentiel au succès de l’initiative cluster.
 
L’entreprise est au cœur du dispositif et donne le cap, la collectivité soutient l’animation, assure l’ingénierie et investit dans des équipements structurants, l’acteur académique réintègre des cadres techniques dans l’industrie locale et aide à attirer des talents. Un trio redoutable qui fait le succès de la démarche !
 
Le cluster est un outil au service gagnant/gagnant des entreprises et du territoire. L’histoire de Nogentech incarne également ce que vivent aujourd’hui de nombreux clusters qui, ayant atteint une certaine maturité dans l’accompagnement à l’émergence de projets collaboratifs innovants, cherchent maintenant à s’incarner dans des « lieux d’innovation ».
 
La construction du Pôle technologique de Haute-Champagne a été un projet très structurant dans la démarche. Xavier Roy, directeur général de France Clusters