- L'intelligence économique, une démarche professionnelle, développée par Anne-Marie Libmann de FLA Consultants (www.fla-consultants.com )
- Sources ouvertes liées à la zone russophone et outils d'analyses, par Elian Carsenat de RussoScopie (www.russoscopie.fr )
- Un cas concret russe de conseils opérationnels par Romain Bory de Informacorp
- Les limites fixées par la déontologie de l'intelligence économique en France et en Russie, par Valéry Kojevnikov du Cabinet AK Avocats (www.ak-avocats.fr )
Le contexte : L’intelligence économique suscite bien des fantasmes qui nous entraînent loin d’une réalité autrement concrète et pragmatique. Pourtant l'intelligence économique peut se résumer à l’acquisition et au traitement d’une information professionnelle, capable de soutenir la stratégie et le développement de l’entreprise.
Cette définition appliquée à la Russie, ne change pas la finalité : aider les entreprises françaises à se développer de façon pérenne dans un pays étranger, lui aussi victime d'une image bien déformée.
Lors de ce rendez-vous, ce sont des spécialistes du métier, du droit et des affaires, russophones, qui ont démontré la nécessité d'avoir une expertise fine en la matière et ont exposé une diversité des pratiques, en les qualifiant à l'aide de cas concrets, témoignant d'enjeux stratégiques d'entreprises en Russie.
Un cocktail fut servi à l'issue des interventions et permit de prolonger les échanges.
Thème (1) - Intervention de FLA Consultants
L'intelligence économique, une démarche professionnelle : Anne-Marie Libmann de FLA Consultants, où elle dirige le pôle russe est revenue sur sa conception de l’intelligence économique (IE). Elle commença son intervention par fixer le cadre, les fondements et les références bibliographiques de l'intelligence économique, se référant ainsi au rapport Martre, et à la norme Afnor. Citant au passage quelques références comme Christian Harbulot et Alain Juillet. Elle revint sur la démarche du cycle de renseignement d'affaires, des éléments clés du processus (cycle de veille). Elle insista sur le fait que l'IE avait pour objectif d'être une aide à la prise de décision dans la stratégie de l'entreprise.
Elle donna différentes applications de l'IE dans la vie de l'entreprise. Concurrence, Technique, Influence, Lobbying.
Elle précisa aussi les limites de l'exercice et revint sur le fait que l'information recueillie se voulait blanche avant tout. Elle fit un focus sur les différentes distinctions qualifiant l'information (blanche, grise, noire) afin de démystifier un peu plus l'action d'intelligence économique.
Sur ce point, elle fit un petit historique. Rappelant ainsi que la distinction qui avait un sens dans un monde ou les ressources et l'information étaient rares, difficiles d'accès et difficilement reproductibles. Mais cela c'était avant, avant qu'apparaisse internet, avant que les nouvelles technologies créent de nouvelles richesses rendant ainsi l'information plus accessible, créant aussi de nouvelles raretés de cette matière première, mais pour autant disponible.
Internet donnant ainsi l'illusion que toute la connaissance est accessible à portée de la souris, il n'en est cependant rien. De nombreuses sources d'informations échappent encore aux moteurs de recherches et les barrières de la langue et de la culture ne doivent pas être sous estimées, tout comme l’importance du terrain.
De nombreux obstacles techniques ne permettent pas aux moteurs de recherche d'accéder directement à l'information.
D'autre part la Russie et plus largement les pays de l'ex-URSS se distinguent par une constellation de Républiques, de droits, de langues, difficilement compréhensibles pour les non russophones, un intermédiaire pouvant se révéler vite nécessaire pour s'adresser à la bonne personne, dans la bonne formulation, pour que celle-ci soit comprise et bienveillante à votre égard.
Pour réaliser des recherches efficaces et dans des délais raisonnables, il est impératif d'avoir une bonne méthodologie pour que les découvertes soient fructueuses. Il est clair toutefois que l'information n'est pas gratuite. Tout a un coût, l’intelligence et les données aussi, car elles ont une grande valeur.
Enfin la maîtrise du russe est impérative, les sources et les ressources locales sont très puissantes. N’oublions pas enfin que le secteur informatique russe est tout aussi dynamique et développé que le nôtre.
Thème (2) - Intervention de RussoScopie : Sources ouvertes liées à la zone russophone et fouille de données
Elian Carsenat de RussoScopie (www.russoscopie.fr ) fut chargé de donner quelques clés de compréhension.
Elian lança deux phrases chocs : (1) la France n'a pas de pétrole, mais elle a des idées: elle a inventé l'Intelligence Economique. Est-ce un outil efficace de développement international ? (2) s'il s'avère que les données sont le pétrole du XXIe siècle, la France manque cruellement de données. Il cite Stéphane Grumbach de l'INRIA : "Google connaît mieux la France que l'INSEE" puis encourage à la modestie lorsqu'il s'agit de «comprendre la Russie ». Et enfin, la presse française couvre peu la Russie ou présente une image stéréotypée qui décourage les entreprises, en particulier les PMEs.
Contrairement aux PMEs et au grand-public, les grands groupes et l'Etat ont les moyens de s'informer en dehors de la presse française et de l'Internet gratuit : elles ont accès à des sources ouvertes professionnelles et font leur propre veille sur les sujets qui les intéressent.
Tout comme la France, la Grande Bretagne, les Etats Unis, la Russie dispose de bases de données ouvertes mises en lignes par des administrations (greffe, tribunaux, instituts), de bases payantes éditées par des fournisseurs (journaux, spécialistes) ou intégrées par des professionnels de l'agrégation de données, comme Integrum.
A partir de ces énormes bases de données (9000+ sources agrégées dans Integrum), il est possible de suivre les signaux forts et de détecter des signaux faibles. Il est aussi possible d'extraire des noms de personnes, d'organisations et d'obtenir des indications sur l'évolution des réseaux d'influence dans tel ou tel secteur.
Il présenta ensuite une application de représentation des réseaux d'affaires internationaux (Inde, Chine, Russie, Japon) sur une carte géographique.
Thème (3) - Intervention de Informacorp : Cas concret russe de conseils opérationnels.
Consulter les bases de données est une étape, opérer une prise de contact terrain est l'étape suivante. Sur ce thème, Romain Bory de la Société Informacorp souligne l'importance du respect ou « yvajenie » de ses interlocuteurs, illustrant ses propos par un cas client et les bonnes pratiques que celui-ci avait mises en œuvre tout au long de son installation en Russie.
Selon lui, même en disposant de la meilleure des informations, il faut prouver à ses partenaires russes son respect. Pour appuyer cette démonstration, il a illustré ses propos par un cas d'entreprise concret. Et de citer une entreprise désireuse de s'implanter durablement en Russie, sur le marché de la construction d'infrastructures dans le secteur de l’énergie, disposant de partenaires locaux, et fournissant du matériel lourd spécifique à ce secteur.
La demande de l’industriel était d'avoir une vraie connaissance de la réalité locale sur deux nouveaux projets de constructions d’infrastructures énergétiques en Russie portant sur l’état d’avancement de ces infrastructures, ainsi que des éléments plus opérationnels comme le nom des responsables de la construction, des délais, des méthodes et moyens de financements, ainsi que les sociétés concurrentes.
Les réponses données du groupe d’intelligence économique ont été précises. Le maître d’œuvre russe disposait bien d’un budget établi, d’un délai fixé et précis, les équipements et les installations faisaient l'objet d'un descriptif précis et enfin un concurrent était déjà positionné sur le projet.
La question de l’identification du décideur final, chargé de délivrer l’appel d’offre, fut la question la plus difficile. Une cartographie des acteurs se dessina petit à petit tout au long du processus. Au niveau central de la prise de décision, étaient impliqués le client final, suivi par le donneur d’ordre et le maître d’œuvre, tous deux situés à Moscou ainsi que les filiales locales. En périphérie, se positionnaient les institutions russes et les organismes de sûreté, suivies des administrations locales (oblast et district).
Afin identifier la personne clé, la cartographie a été un élément important pour identifier l'acteur prenant la décision finale.
Cette cartographie comprenait le profil détaillé et très poussé de chaque acteur : l'âge approximatif de la personne, sa formation (technique, commerciale, politique), ses fonctions précédentes, sa reconnaissance, sa fonction actuelle, tout cela afin de placer, face à cet acteur, un homologue capable de discuter et de convaincre.
La réalité s'est trouvée être plus complexe que prévue, deux structures étant chargées de prendre la décision finale ont en effet émergé :
- une structure technique, un collectif de huit opérationnels de la direction des travaux
- une structure politique, collectif de coordination régional : un représentant du maître d’œuvre, un représentant du donneur d’ordre, une représentation de la région et de l’oblast décidant du choix des travaux .
Enfin pour complexifier encore un peu la chose, tous les personnels avaient été rencontrés par le groupe européen concurrent déjà présent sur le territoire, positionné sur le projet, et ayant déjà remporté un premier appel d'offre.
Malgré tous ces handicaps, sur les deux appels d'offres lancés, le client en obtint un.
Thème (4) - Intervention de Informacorp
Georgi Akopov, Président de l’Association des juristes franco-russes, et avocat associé co-fondateur du cabinet AK Avocats, créé il y a 6 ans, a exposé les possibilités de recueil d’informations indispensables à la conclusion d’un contrat, les modalités de négociations, ou les possibilités d’actions d’opposition à un débiteur.
Pour collecter des preuves lors d’un procès, la protection du patrimoine informationnel et la protection des brevets sont essentielles. Avoir une bonne information est essentiel pour se développer, mais il faut savoir identifier la bonne personne pour signer les contrats. Car de nombreuses sociétés font écran, pour plusieurs raisons juridiques internes à la société russe, rendant ainsi difficilement compréhensibles pour les étrangers, de tels schémas organisationnels.
Il est donc nécessaire, pour faire valoir ses droits devant une juridiction judiciaire, de démontrer sa bonne foi et ce dès la signature du contrat. En effet, en cas de malentendu, de conflits, il sera important de prouver par tous les moyens et tous les éléments possibles les éléments constitutifs de cette bonne foi.
C'est pourquoi, l'entreprise doit être scrupuleuse et protéger son patrimoine informationnel, que cela soit ses brevets ou son savoir-faire, il est important de signer des accords de confidentialité encadrant le partenariat.
Les premières sources de publications légales sont rassemblées par Egrul, l’équivalent de notre Kbis. Ce document comporte des informations relatives aux représentants légaux, au capital social, aux procédures collectives et tous les bilans annuels. A noter que Kommersant fournit les informations relatives aux procédures collectives et à la publication des délais de déclaration de créances.
Sur demande d’avocat ou sur ordonnance d’un juge plusieurs autres informations peuvent être demandées obligeant l'entreprise ou les institutions à vous les fournir.
Il est aussi possible de se tourner vers les centres d'impôts, qui disposent d'informations en accès libre comme l’historique des modifications (boite postale, domiciliation), des fusions-acquisitions, les contrats de fusion y étant également répertoriés.
Ne doivent pas être non plus négligées les banques qui peuvent vous fournir la tenue des comptes, les virements et les effets de commerce. Quant aux douanes, elles pourront vous fournir l'accès à tous les dédouanements (produits, prix, quantités, entités déclarantes, vendeurs, certificats) ainsi que les autorisations d’instructions sur le marché russe.
Les tribunaux de commerce sont aussi une source d'information à ne pas négliger, les litiges en cours peuvent y être consultés, et recherchés par nom. Si votre débiteur est en délicatesse avec d'autres partenaires, le tribunal de commerce pourra vous avertir de toute procédure en court. Il sera même possible de demander la mise en place d’une veille auprès des tribunaux et dans la presse aussi, lorsqu’un nom apparaît. Pour ce qui concerne la protection des informations, le système des brevets russe est équivalent aux normes européennes et offre une protection similaire.
Le know-how est protégé par le code civil (art 1465) avec une définition très large – données techniques économiques et organisationnelles - il y a une possibilité d’interdire l’utilisation et de sanctionner la violation. Les accords de confidentialité sont reconnus et appliqués par les tribunaux.
Conclusion : Les quatre intervenants ont décrit et démystifié les actions de trouver de l’information utile en Russie, que cela soit dans la presse ou auprès des institutions russes. La maîtrise de la langue russe est toutefois un pré requis indispensable pour mener une démarche d’intelligence économique en Russie.
L’intelligence économique doit aussi, être associée, et c’est ce qu’a révélé Romain Bory, au respect dû aux partenaires russes, garantie pour la compréhension et le travail en bonne intelligence.
Pour en savoir plus
Bien communiquer avec vos interlocuteurs russes
Interview de Anne Marie Libmann
http://russie.aujourdhuilemonde.com/l%E2%80%99intelligence-economique-alliee-des-russes-en-quete-de-marches
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