Afrique

La culture doit être une dynamique pour la relation de la France avec l’Afrique et les pays du Golfe


Denis Deschamps


La diplomatie culturelle, « vecteur d’excellence de la coopération Afrique-France-Golfe » était le sujet de la 14e Conférence des Ambassadeurs Africains de Paris organisée avec succès le 25 septembre dernier par AfricaPresse à l’UNESCO, en marge du 19ème Sommet de la Francophonie



La culture doit être une dynamique pour la relation de la France avec l’Afrique et les pays du Golfe
Les 10 ambassadeurs présents lors de cette importante manifestation ont fait état des actions et projets de leurs pays respectifs dans le domaine culturel à l’international, en particulier avec la France, puisque c’était le sujet. Ont été ainsi abordées des questions aussi diverses que la restitution et la conservation des œuvres d’art, la lutte contre les trafics et la contrefaçon, le développement de nouveaux musées, comme le Louvre Abu Dhabi, ou encore la promotion de l’industrie de la Rumba en RDC (république démocratique du Congo).
 
Avec le « butin » historique que le français constitue pour les pays francophones (on compte, selon l’OIF – Organisation internationale de la Francophonie, aujourd’hui 88 Etats et gouvernements dans le monde), en particulier en Afrique, la France dispose d’un atout majeur pour une diplomatie culturelle, qu’elle peut mettre au service du développement de son action économique. Mais cet atout indéniable ne doit pas être pris pour un acquis qui serait garant pour l’avenir, car la France doit aujourd’hui faire face à la concurrence d’autres pays qui ont, eux-aussi, des stratégies de politiques culturelles (Les anglais, mais aussi les allemands nous taillent ainsi des croupières sérieuses dans le domaine muséal, particulièrement en Afrique où nos agences et opérateurs pensaient agir comme en terrain conquis… ).

En d’autres termes, la France doit absolument veiller à s’adapter et constamment se renouveler pour pouvoir proposer à des peuples jeunes (plus de la moitié des africains ont moins de 25 ans) des produits culturels qui sont adaptés à leurs usages et envies. Car il s’agit bien là de « consommation » dont on parle, et ce de préférence sur un mode numérique, que nous devons désormais envisager la culture, qui, soulignons-le à nouveau, est désormais essentiellement constituée de produits dont l’intemporalité n’est plus vraiment le sujet.
 
De ce point de vue, les Jeux Olympiques de Paris ont fait la démonstration particulièrement réussie de cette évolution. Lors des cérémonies d’ouverture et de clôture de ces JO 2024, on a certes bien retrouvé la France éternelle (et somme toute rassurante, pour nous, tout autant que pour les générations d’africains plus âgés), symbolisée (dans le désordre) par Edith Piaf, Michel Polnareff, Claude François, Joe Dassin, Charles Aznavour, Johny Halliday et Zizi Jeammaire… mais les organisateurs de ces événements pluvieux ont aussi parfaitement su mélanger les genres, en faisant intervenir des artistes comme Aya Nakamura (franco-malienne) avec la Garde républicaine et Yseult (franco-camerounaise) pour nous achever en beauté avec « comme d’habitude ».
 
Aussi, la « French touch » de la musique électronique (Jean-Michel Jarre faisant le grand-père d’une floppée de brillants rejetons, comme Kavinski, Cassius, Etienne de Crecy, Daft punk et j’en passe….) a superbement magnifié le final de cette période olympique rêvée, dont on se rappelle maintenant avec bonheur, après avoir beaucoup beaucoup râlé (comme tout bon parisien qui se respecte) lorsqu’elle se mettait en place. Nous sommes en effet vraiment passés à autre chose, de même que l’Afrique et les pays du Golfe sont entrés avec force et résolution dans le monde du numérique.
 
De cela, il faut bien prendre conscience et veiller à ce que l’offre française de contenus culturels soit adaptée et au niveau de ce qui est attendu par les clients de cette culture conçue comme un bien de consommation. Au-delà de l’écrire et de le répéter, il faut le faire, ce qui n’est pas si simple, quand bien même on y mettra toute notre bonne volonté et les moyens de nos agences spécialisées dans le rayonnement de la France.
 
En effet, on doit faire face à la colonisation numérique des anglo-saxons (au travers des géants de l’Internet, comme META), en Afrique comme ailleurs, et également à nos propres contraintes (en particulier, nos règles de la propriété intellectuelle qui protègent certes la création, mais limitent quelque peu la libre diffusion / reproduction des œuvres, contrairement à l’approche anglo-saxonne du sujet, beaucoup plus pragmatique sur le droit d’auteur…) qui peuvent ainsi rendre plus difficile la création, par exemple, de musées virtuels (à qui appartient donc le « jumeau numérique » de l’œuvre d’art qu’on ne compte pas restituer, parce qu’appartenant à notre « patrimoine » sans partage possible ?)
 
Il est d’autres aspects sur des sujets porteurs pour l’économie, comme les Edtechs, mais dont les contenus francophones doivent aussi pouvoir correspondre à une génération de « nouveaux africains » et autres jeunes des pays du Golfe qui sont aujourd’hui dans un contexte de « nouvelles indépendances » et sont de plus en plus fascinés par les webtoons. L’attractivité de notre système de formation (avec malheureusement des grandes écoles, dites d’excellence, qui baragouinent de plus en plus en « globish » et pratiquent volontiers la vulgate « woke »…) dépendra en fait de cette dynamique numérique qu’il conviendra nécessairement d’impulser, avec l’aide de créateurs contemporains qui ne sont pas nécessairement des académiques.
 
Comme cela a été rappelé lors de la Conférence des ambassadeurs organisée à l’UNESCO, il faut savoir dépasser les querelles patrimoniales (même si elles sont bien évidemment parfaitement justes, de part et d’autre), pour prendre l’Afrique (et le Golfe) au travers de sa multiplicité, sachant que la France doit s’attacher à faire toujours partie de cette diversité, dont la dynamique est sans doute ce qui nous sauvera du destin de pays-musée, que le feuilleton Netflix « Emily in Paris » semble vouloir nous réserver (mais Rome devrait prendre le relais).
 
Pour revenir aux JO de Paris 2024, on retiendra enfin que le film Netflix « Sous la Seine » (avec les requins) a été le plus grand succès français sur cette plateforme mondiale et largement anglo-saxonne de streaming. La catastrophe annoncée dans ce long-métrage télévisuel serait-elle alors une ressource possible pour passer d’un monde ancien au « nouveau monde » ; étant entendu que ce dernier a déjà pris un sérieux coup de vieux ? Il n’est pas interdit d’espérer et de croire que la France retrouvera un jour sa place, avec ses partenaires africains e francophones, dans une dynamique culturelle mondiale qui n’est pas sans lien avec l’économie.

Par Denis Deschamps, Membre de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer (ASOM)
DJulius Conseil

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