Personnalités

Documentaire, Pyramide le grand virage : une mise en perspective pour décrypter les techniques des documenteurs.


David Commarmond
Mercredi 21 Avril 2021


Le documentaire "Pyramide le grand virage" a pour but de démonter des mythes particuliers : ceux véhiculés autour de la construction des pyramides. Entretien avec son réalisateur Cyril Barbas.



Comment est née l'idée de ce projet de documentaire "Pyramides, le Grand virage" ?

Etant passionné par l'Égypte depuis ma tendre enfance, je n'ai jamais loupé aucun document au titre accrocheur qui pouvait attiser ma curiosité que je nourrissais pour l'Egypte, jusqu'à tomber il y a 10 ans sur le documentaire « La révélation des Pyramides » : quel choc !
 
 J'ai tout de suite adhéré à ce film. Je peux d'ailleurs dire sans aucun doute que je détiens le record du nombre de visionnages sur Youtube, avec « Gizeh 2005 » et les conférences qui sont venues compléter ces films.
 
J'ai suivi les péripéties de son réalisateur, intégré les groupes Facebook qui partageaient et soutenaient les thèses mentionnées dans ces différents films et même participé financièrement à la production (dons sur Ululle) et à l'avant-première de la suite de LRDP, BAM (Bâtisseurs de l'Ancien Monde).
 
A la suite de ça, j'ai décidé d'entreprendre le voyage qui allait bouleversé ma vision des choses. Je suis allé en Egypte. Il est, certes, très impressionnant de se trouver en face des pyramides mais, il en est tout autant de découvrir les multiples autres constructions et richesses qu'offrent l'Egypte aux visiteurs. 
 
Au-delà de l'émerveillement, le constat fût terrible. Pensant être très averti et avoir étudié ce sujet, après ces longues années d'intérêts pour toutes ces théories, je me suis confronté à mon manque de connaissance sur cet Égypte, qui je rappelle, couvre environ 3 000 ans d'histoire. Il était certains que mes choix en matière d'informations m'ont amené à me concentrer uniquement sur la grande Pyramide et ces théories qui vendent du mystère et qui négligent au passage tout un pan de l'histoire de l'Egypte. 
 
J'ai donc entrepris, à mon retour de ce voyage, de m'informer et me documenter sur cette civilisation en reprenant un processus dit scolaire. Par la suite j'ai aussi fait sauter cette dernière barrière cognitive qui m'empêchait d'écouter les contradicteurs de ces théoriciens de l'Egypte.
 
Aujourd'hui, après une longue documentation, il est certain, que l'on ne peut plus considérer ces théories comme viables. En effet, ceux qui vendent du mystère et leur insistance à négliger un grand nombre de documents et d'informations pouvant contredire leurs thèses traduit bien un intérêt tout à fait différent aux caractère informatifs.
 
C'est pourquoi j'ai décidé de proposer un film qui offre pour la première fois une réponse dans le même cadre que celui utilisé par les pseudo-archéologues : le cinéma. 

 

 


Pouvez-vous nous en dire plus sur les fantasmes et la désinformation, qui circulent sur le net dans les domaines historiques et archéologiques ?

En ce qui concerne la documentation disponible pour s'informer sur ces sujets, vous avez 3 types d'école. Je parle bien entendu de vidéos ou documentaires, le livre et la revue scientifique étant très souvent mis de côté.
 
La première est celle du documentaire traditionnel qui explique des parties bien spécifiques d'une découverte en Egypte avec, bien entendu, les lenteurs et toutes les informations importantes qu'il convient de donner à juste titre dans un documentaire informatif. Je pense au nom des rois, des dieux, des dynasties etc. Mais ces informations ne peuvent être assimilées par le spectateurs que s'il ne possède une connaissance lui permettant de situer le propos.
 
La deuxième pan est celui de la vulgarisation scientifique proposée par des Youtubeurs qui, eux, alternent entre découverte avérée et mythe et légende faisant un grand écart entre fiction et réalité. Ils utilisent le mystère pour cumuler plus de vues sur leurs vidéos. Ce qui en soit n'est pas choquant compte tenu des motivations des youtubeurs a réalisé toujours plus de vues et à susciter des réactions sur le net (Planète raw, Monde mystérieux, etc).
 
La dernière, la plus dangereuse selon moi, car j'ai été victime de ce dernier, est le documentaire pseudo archéologique. Ce genre se présente comme sérieux, avec une conscience scientifique sérieuse, mais qui en réalité est un loup travesti en agneau.
 
Je m'explique. Dans la mesure où vous ne posez pas les bases permettant au spectateur de faire la différence entre le fait et la fiction, vous emmenez le spectateur dans un état de remise en questions, parfois profonde et qui peut engendrer un problème par la suite : dans sa façon de se situer face aux personnes, dans ses interactions sociales.
 
Je pense, par exemple, aux multiples polémiques engendrées par un documentaire « Opération Lune » qui se moquait des théories autour de la conquête spatiale. Celui-ci reprenait les codes du documentaire. Malgré la stupidité des propos, beaucoup y ont cru. Le documentaliste, William Karel a malheureusement cru que l'incongruité des propos lui permettrait d'être démasqué facilement, mais ce ne fût pas le cas. Je vous laisse imaginer le désordre chez ceux qui se sont arrêté à la fin du film convaincu par le propos.

Sur internet, il existe déjà des ressources, des chaînes Youtube notamment, qui combattent ces mythes. Pourquoi avoir choisi la voie du documentaire ? Que souhaitez-vous apporter de nouveau en matière de vulgarisation scientifique ?

J'ai choisi la voie du documentaire pour des raisons très simples : les adhérents aux théories pseudo archéologiques ne citent pas réellement d'auteurs de livre, de youtubeurs ou encore moins des publications scientifique sur ces sujets, de toute façon inexistantes, mais plus souvent des films. Je n'utilise pas le mot « documentaire » pour des raisons évoquées plus haut, mais le mot « film » comme LRDP, K2019, Gizeh 2005 ou pour la plus extrême la série « Alien théories » afin de ne pas légitimer leurs points de vue.
 
Donc, l'idée d'offrir un documentaire au format long et qui comportera environ 5 heures de bonus permettra plus aisément au public, je pense, de se trouver un nouveau support crédible pour en parler et échanger avec les sceptiques des thèses dites officielles.

Le teaser de "Pyramides, le grand virage" reprend les codes des documentaires sensationnalistes, voire conspirationnistes. Est-ce délibéré ?

Il n'est pas nécessaire de parler de codes conspirationnistes. Il serait plus juste de dire que les conspirationnistes ont, eux, le soucis de la mise en scène, contrairement aux documentaires traditionnels.
 
Étant tout de même passionné par ce que je fais, je tente par tous les moyens d'intéresser le maximum de monde. Je dois donc montrer les théories pseudo-archéologiques, ce qui m'oblige à plonger le spectateur dans le même état de perception que LRDP ; mais aussi, dans un second temps, de le ramener sur le terrain de la raison grâce à quelques artifices, encore secrets, vous vous en doutez...

Pourtant, dans ces productions, on voit bien aussi intervenir des scientifiques. Comment dans ce cas distinguer un scientifique d'un pseudo-scientifique ?

Ecoutez, c'est très simple. Si je demande à un mécanicien d'aujourd'hui de me parler de machine à vapeur, vous comprendrez que cela pose problème. Pourtant, on parle bien de véhicules de transport. C'est de même pour ces spécialistes de la construction qui réfutent la capacité de recréer une pyramide aujourd'hui. Je pense, par exemple, au constructeur de Viaduc de Millau. Il est certes très compétent dans son domaine : le béton et les structures en acier. On parle bien de construction, mais pas de construction antique.
 
Ce décalage qui parait invisible est bien entendu tout à fait perceptible par les spécialistes qui connaissent réellement les techniques et les méthodes employées durant l'Antiquité, comme Jean-Pierre Adam.
 
Donc, il n'est pas question de dire qu'ils ne sont pas de bons scientifiques ou professionnels. Mais leurs interventions sont sorties de leur contexte, le plus souvent pour légitimer un propos qui va dans le sens de la narration.

 


Justement, y'aura t'il des interview d'experts dans ce documentaire ? Comment les avez-vous choisis ?

Le but de ce film, je le rappelle, est d'offrir un point de vue différent pour le spectateur qui ne dispose actuellement que de documentaires sérieux, mais qui ne traitent pas directement de la pseudo archéologie.
 
J'ai donc déjà choisi des gens de profession qui offraient un point de vue contradictoire. C'est la première approche. De plus, je suis allé chercher ceux qui ont été utilisés, malgré eux, dans ces films et qui aujourd'hui avec assurance peuvent livrer leurs explications sans avoir peur d'être coupés au montage ou tout simplement utilisés par un habile et subtil montage.

 

 


Comment expliquez-vous cette fascination et cette profusion de théories autour des pyramides, plus que tout autre monument ?

C'est d'une simplicité déconcertante quand on étudie les pyramides.
On se rend compte que toutes ces idées pseudo-scientifiques remontent à très loin bien avant la découverte de Touthankamon, le questionnement permanent sur ces bâtiments en loccurence Chéops s'étale jusqu'aux années 90. Il est vrai que le nombre d'auteurs a chuté à partir de cette époque, car les nombreuses découvertes réalisées en Egypte ont permis quand même de calmer les ardeurs de ces auteurs.
 
Mais la fascination est toujours là ! La fiction, le cinéma ont utilisé ces pyramides et cette civilisation égyptienne comme le catalyseur d'une époque lointaine où les prouesses, les trésors, la magie dominaient le monde.
 
Mais faut-il vraiment en vouloir à la fiction et à Indiana Jones ? La fiction joue très bien son rôle, quand elle reste dans le domaine de la fiction.
 
Quand à dire pourquoi Cheops et pourquoi pas le temple de Kailâsanâtha ? Je ne sais pas, sans doute par manque de publicité.

Vous dénoncez le "storytelling" autour des "mystères" des pyramides, et le fait que cela amènerait le spectateur à confondre le mythe et la réalité. Mais, dès lors que l'on raconte une histoire au travers d'une œuvre culturelle, ce storytelling n'est-il pas une étape d'incontournable, si l'on veut être lu ou vu ?

Si je vous dis : je vais vous révéler la réponse à tout ces mystères en début de film et que je finis le film sans vous donner de réponses, vous vous sentirez tout de même désabusé...voici le mensonge du storytelling.
 
Sinon oui, il est bien évident qu'il faut cultiver l'intérêt chez le spectateur, mais ça c'est le rôle du documentaire au cinéma.

 


Aujourd'hui, l'offre répondant à la demande, il existe pléthore de documentaires sur les pyramides, régulièrement diffusés à la télévision et sur le net. Est-ce vraiment un problème si au final il y a quelques documentaires "dissidents" ou "atypiques" face à une majorité de documentaires sérieux ? Après tout, ne vaut-il mieux pas laisser le spectateur satisfaire sa curiosité, et tirer lui-même ses propres conclusions ?

Bien évidement que non ce n'est pas grave si ces documentaires existent, qu'ils attirent au moins la curiosité sur l'Egypte. Seulement dans la mesure où le spectateur a la possibilité de visionner le point de vue opposé, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. De même, je dois dire que l'archéologue Mark lhener est venu à l'egyptologie par le biais de la pseudo-archéologie qu'il réfute désormais aujourd'hui. Cela prouve tout de même que cette pseudo archéologie a au moins l'avantage d'intéresser.
 
Et pour parler de faire ses propres recherches, il faut tout de même en sentir le besoin. Si l'explication des pierres moulées pour bâtir une pyramide vous suffisent, il y a très peu de chance que vous faisiez des recherches pour savoir si c'est vrai, surtout si on vous l'a vendu comme une explication authentique.
Il faut souvent un choc à ce niveaux là. De nombreux youtubeurs et personnes tentent bien de faire entendre raison aux publics concernés aux travers de travaux pénibles et fatigants, car pour démonter une idée reçue il faut fournir beaucoup beaucoup d'arguments et être calme et méthodique.
 
Donc je ne pense pas que le public est vraiment envie de mener ces recherches, au contraire, imaginer que l'on s'est trompé est souvent dur. Cela là était pour moi. Je me suis senti berné, c'est dur tout de même.

 


Quelle suite est prévue ? Des interventions-projections ? Une série ?

Déjà finir la réalisation de ce film qui, je vous l'assure, nécessite beaucoup de travail. A l'heure où je vous parle, nous venons de réaliser la dernière interview nécessaire au montage du film, mais il reste des étapes importantes encore des expériences pour les bonus et d'autres petits tournages.
 
J'attends de voir les retombées de ce film. Après la mise en ligne du film viendront les bonus et si le succès est au rendez-vous, peut-être que nous irons plus loin. En tout cas je le souhaite ardemment.


Pour suivre Cyril Barbas : sur Facebook
 


Pour en savoir plus