
Le modèle télévisuel du management
Et dans la réalité ? Plusieurs interrogations
L’analyse
L’incapacité « objective » à mettre en œuvre efficacement ces compétences managériales conduisant à l’élimination théâtralisée par le fameux « you’re fired ». Dans la pratique, les décisions d’élimination apparaissent dictées par des considérations subjectives et dramaturgiques qui visent à nourrir un récit à suspens emplis de rebondissement.
Le mythe de la toute-puissance de l’autorité
La réalité professionnelle d’un manager ou d’un directeur de projet vise des objectifs stratégiques et opérationnels clairs, contraints par des délais et budgets impartis, imposants l’optimisation des ressources à la disposition de ses équipes, en recherchant à concilier au mieux efficacité et qualité dans le respect des normes légales et de conformité strictes aux bonnes pratiques professionnelles applicables, monitorés/objectivés par des indicateurs de performance clés (KPI) prédéterminés et fixes, et ce pour la plus grande satisfaction des parties prenantes.
En revanche, le « manager » qui a le plus de chance de prospérer dans le cadre de « The Apprentice » est celui qui, indépendamment de bonnes compétences techniques, éventuellement complétées d’une intelligence tactique avérée, saura se démarquer par son individualisme, sa rouerie, au détriment de la collaboration, qui s’adaptera avec la plus grandes agilité aux variations des critères de jugements du « maitre du jeu » dictés par les besoins narratifs de l’émission à même d’attirer l’attention des spectateurs, qui prendra des libertés avec les normes éthiques et de conformité pour nourrir ou accentuer l’aspect émotionnel de la narration « dramatique » en train de s’improviser collectivement.
La différence avec la réalité managériale est, de toute évidence, bien flagrante.
La gestion d’un État est-elle similaire à celle d’une entreprise ?
Plus particulièrement, peut-on gérer un État fédéral comme les États-Unis d’Amérique, ayant été perçu depuis 1945 en tant que superpuissance garante de la sécurité des démocraties libérales, comme une entreprise ?
En première analyse, la direction stratégique d’un État et celle d’une entreprise présentent des similitudes dans l’analyse des enjeux, la prise de décision et la gestion des ressources. Cependant, elles diffèrent fondamentalement sur plusieurs aspects, notamment en matière de finalité, de gouvernance, de temporalité et de contraintes.
Par exemple, la mission première d’un État peut-être d’assurer la prospérité de sa population en garantissant la sécurité, la justice, la santé, la cohésion sociale, la stabilité de ses relations internationales et de son environnement économique, à travers un juste équilibre entre services publics, entreprises publiques et entreprises privées.
Ainsi, le dirigeant politique doit constamment arbitrer entre des intérêts souvent divergents et gérer des enjeux complexes tels que la stabilité politique, le développement économique et la justice sociale. Son action s’inscrit dans une logique de long terme, au-delà des cycles électoraux ou économiques même s’il reste un objectif central lorsqu’une réélection est possible.
De l’autre côté, la finalité première d’une entreprise est la rentabilité et la création de valeur pour ses actionnaires ou ses propriétaires. Elle opère dans un environnement concurrentiel où elle doit maximiser ses profits et optimiser ses ressources. Son horizon stratégique est souvent de court ou moyen terme, aligné sur les cycles économiques et les exigences des investisseurs.
États et entreprises diffèrent aussi au niveau de leur gouvernance, de leur rapport avec leurs parties prenantes respectives et la nature même de ces parties prenantes (citoyens ou sujets contre actionnaires individuels ou institutionnels). États et entreprises divergent aussi au niveau de leur rapport à la loi, la réglementation et la norme (les premiers les définissent et s’y contraignent, les seconds ont l’obligation de les appliquer et tentent constamment de s’y soustraire).
Des logiques différentes
Ainsi, si un dirigeant d’entreprise peut s’inspirer de certaines pratiques étatiques et vice-versa, la finalité et les contraintes propres à chaque entité restent des barrières structurelles qui empêchent toute assimilation complète entre ces deux formes de gouvernance.
Pour répondre à la question concernant une superpuissance perçue par tous comme garante de la sécurité des démocraties libérales, gérer un État fédéral comme les États-Unis, selon une logique entrepreneuriale stricte est assurément une illusion.
Les contraintes institutionnelles, la diversité des parties prenantes et la mission même de l’État (l’intérêt général des citoyens et des entreprises plutôt que le profit) rendent impossible une telle approche sans heurter de profondes résistances, la gouvernance d’un État fédéral reposant avant tout sur la négociation, la patience et la prise en compte des équilibres démocratiques.
Au niveau des relations internationales

La tendance à la simplification utile au manager et au dirigeant d’entreprise devient, dans ce contexte, un handicap qui ne tarde pas à produire des effets en boomerang. Si on peut se permettre le luxe d’humilier un chef d’entreprise concurrent, il n’en est rien d’un chef d’état, qu’il soit perçu ou non comme un compétiteur.
Conclusion
A propos de Jan-Cédric Hansen
Le Dr Jan-Cedric Hansen au-delà de son champ de compétence dans le décryptage des enjeux du pilotage stratégique et de management des crises (auteur ou coauteur de Risques majeurs, incertitudes et décisions - Approche pluridisciplinaire et multisectorielle (2016) https://www.decitre.fr/livres/risques-majeurs-incertitudes-et-decisions-9782822404303.html?srsltid=AfmBOopzTkydhS0Jv0qJbUQRdNWh79MAk_QASmfUpiDzHA9cJTNF9j7G
• Manuel De Médecine De Catastrophe (2017) https://www.vg-librairies.fr/specialites-medicales/5692-manuel-de-medecine-de-catastrophe.html
• Innovations & management des structures de santé en France (2021) https://www.leh.fr/edition/p/innovations-management-des-structures-de-sante-en-france-9782848748962
• Piloter et décider en SSE - Décideur Santé (2024) https://www.leh.fr/edition/p/piloter-et-decider-en-sse-9782386120244.
Il anime, chaque année, un séminaire d’une semaine à l’université de Szeged sur les impacts des questions sanitaires sur les relations internationales Europe-Afrique.