Intelligence Collective & Management

Pascal Frion : Retour d'expérience à l'EGE


David Commarmond


Le 13 février 2013, s'est tenu au Café Tourville, 43 avenue de la Motte-Picquet à Paris près de l'Ecole Militaire, un retour d'expérience organisé par l'Ecole de Guerre Economique invitant Pascal Frion à présenter les résultats de ses recherches «L'Echec de l'IE dans les TPE», en présence de son président Christian Harbulot



Introduction de Christian Harbulot
Pascal Frion est un camarade de route depuis 1996, depuis une rencontre à l’IGR à Rennes. Il a réalisé son stage de fin d’étude puis son service national à Intelco, puis il a créé sa propre entreprise, Acrie, début 1998.
 
Objet de la thèse de Pascal Frion
Pascal Frion s'est attaché pendant cinq ans à décortiquer les discours sur l'intelligence économique en France, depuis le début des années 1990. Ce travail s'est fait dans le cadre d'une thèse en Sciences de l’information et de la communication, auprès de Nicolas Moinet, à l’Université de Poitiers.
 
Pascal Frion a étudié des centaines de discours et à mis en évidence la faible percée (pour ne pas dire l’échec) des discours sur l’IE auprès des Tpe et des petites Pme. Il présente le fruit de ses recherches sur la différence entre la veille et l'IE, la surinformation, les comportements informationnels et n'en reste pas à un constat d'échec du discours sur l'intelligence économique.
 
Pascal Frion se risque aussi à en proposer un discours radicalement nouveau. L'information ne devant pas être le centre de l'univers de l'IE, d'autres considérations opérationnelles plus fortes doivent être mobilisées, notamment, l'auteur propose une approche complexe, défocalisante, humaine, ne commençant pas par la veille. La perception humaine de la surinformation existe, l'information n'est donc pas forcément une bonne chose, pourquoi faudrait-il systématiquement l'accepter ou la tolérer, dans le paradigme du progrès ? L'auteur propose un nouveau Rmi. Un Rmi(t). Un Refus Méthodologique de l'Information, qui soit Temporaire, afin de vraiment mettre la discussion critique avant que la seule information disponible vienne en masse polluer la réflexion initiale.
 
Les similitudes
Pour Pascal Frion, la totalité des discours repose sur des bases sous-jacentes communes, qui les rendent très homogènes, malgré leurs variétés d'univers, qu'ils soient politiques, commerciaux, universitaires, ou issus de programmes régionaux, ou de conférences.
 
Parmi ces éléments fondamentaux, en analysant plus de 150 définitions de l'intelligence économique, la notion d'information a été observée comme très présente dans le discours, alors qu'elle ne représente pas un poids  et une place si importante dans les processus de décision.
 
De même, la psychologie, la sociologie et plus généralement les aspects humains sont particulièrement absents du discours. Celui-ci étant beaucoup plus tourné et orienté sur le niveau fonctionnaliste. Le discours et le raisonnement proposé auraient même tendance à se réduire à la proposition suivante « récupérez un maximum d'information, analysez-là, et votre situation sera  meilleure pour décider et agir stratégiquement ».
 
L'auteur a notamment identifié dans les discours officiels (Martre 1994, Carayon 2003, et Buquen  2012) que des références à la totalité (par exemple la nécessité de mobiliser la totalité de l'information) était présentes deux fois par page ! Ainsi, si vous n'avez pas « toute » l'information, vous ne pouvez pas faire de l'intelligence économique ! Exagérations, absurdité, immaturité, ces travaux de recherche les présentent sans concessions.
 
Des résultats peu probants
Les effets de cette vision et de ces pratiques purement mécanistes et normalisantes de veille ne furent pas sans conséquences. Les actions mises en œuvre sont avant tout répétitives, vues comme fastidieuses, se concentrant avant tout sur l'information disponible : « ce sera déjà pas mal d'analyser l'information disponible » !  Alliée à la croyance « fausse » qu'il suffirait d'avaler de l'information et de l'analyser, pour en retirer l'énergie nourrissante et éclairante, pour améliorer le processus de décision et la situation de l'entreprise (en référence à Bachelard qui dénonce la croyance que l’action d’internaliser suffirait pour intérioriser).
 
Cette approche purement mécanique, digne de l'ère industrielle, fonctionnaliste et non humaniste, étouffa la dimension humaine au profit d'une organisation anachronique, taylorienne : « toujours plus, plus vite, plus tôt ». Privilégiant l'approche presse-bouton, à l'individu, dès que celle-ci était possible. Cet individu ou ce groupe d'individus trop difficile à gérer, instables, trop soumis aux émotions, n'arrêtant pas de se questionner, risquant de remettre en question un processus industriel approuvé et mûrement réfléchi.
 
Trop d'informations tue l'information
Le questionnement stratégique et le questionnement agile furent peu mobilisés. La surinformation fut quasiment moquée dans le discours en intelligence économique : « si vous souffrez de surinformation, c'est que vous ne travaillez pas assez, que vous ne ciblez pas assez où que vous devez utiliser un logiciel plus puissant ».
 
Si nous avons tous vécu des situations dans lesquelles une information à profondément été bénéfique et a changé notre manière de penser, il n'en demeure pas moins que la règle que l'information est une bonne chose est fausse, immature et dénuée de discussion critique au sens épistémologique.
 
Le cas particulier des TPE
Les TPE forment dans le monde entrepreneurial, un terreau à part. Le profil des dirigeants n'est pas homogène, ils ne cherchent pas à croître forcément, ils ne cherchent pas rationaliser à tout prix leurs processus de production. Combien d'entre nous avons eu comme difficulté à obtenir des devis d'artisans : nombre d’entre eux ne courent pas après le travail, ils préfèreraient travailler  moins et gagner autant. La diversité de leurs statuts, de leurs chiffres d'affaires, de leurs secteurs d'activités qui recouvrent des réalités trop différentes pour que des instituts d'études proposent des travaux sur des territoires dont la taille est inférieure au département.
 
Pour Pascal Frion, à ce niveau du territoire, nous sommes souvent dans la non-information. L'information stratégique dont auraient besoin les Tpe et les Pme sur une zone de chalandise restreinte, est souvent absente : « elle n’existe pas ». Ainsi, les petites entreprise ont pris l’habitude de prendre des décisions avec peu d’information voire « sans » information et non avec « toute l’information », comme il a été évoqué dans les discours sur l’IE depuis 20 ans. Les Tpe ont donc développé leur intelligence de décider quand elles n’ont pas assez d’information et non leur intelligence à gérer des grandes quantités d’information, qui est davantage visible dans les grandes entreprises.
 
Conclusion
Le discours est fragile non seulement à destinations des Tpe, mais également pour les grandes entreprises, les territoires et pour la politique publique également, dans des aspects offensifs et défensifs.
 
Alain Juillet, membre de son jury, a écrit que le discours à destination des Tpe est un échec et il appelle de ses vœux l’expérimentation des travaux de Pascal Frion.
Cette thèse est donc un appel à nous rassembler et à proposer la prochaine génération de discours pour l'intelligence économique à la Française.
 
Christian Harbulot a remercié Pascal Frion pour ces travaux majeurs et il a notamment insisté sur cette idée de non-information – lorsque l’information n’existe pas -  et il suggère d’aller identifier l’information qui n’est pas évoquée sur certains marchés.